CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 07/06/2022, 20TL20132, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association le Jardin d'Enfants Toulousain a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Toulouse à lui verser la somme en principal de 400 000 euros, à parfaire, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la violation par la commune de ses obligations de lui verser les subventions contractuellement dues assortie des intérêts légaux à compter de la date d'exigibilité des subventions dues au titre des années 2015 et 2016.

Par un jugement n°1703755 du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2020, sous le n°20BX00132 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 16 janvier 2022 sous le n°20TL20132 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse et un mémoire récapitulatif enregistré le 28 février 2022 et non communiqué, l'association le Jardin d'Enfants Toulousain, représentée par l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle Miguérès Moulin, agissant par Me Miguérès, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 novembre 2019 ;

2°) à titre principal, de condamner la commune de Toulouse à lui verser une somme de 400 000 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'exigibilité des subventions, en réparation du préjudice résultant de la violation par la commune de son obligation de verser les subventions contractuellement convenues ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert ayant pour mission de fournir à la cour tous éléments permettant de fixer le montant de la condamnation à son profit, le cas échéant de donner mission à l'expert de concilier les parties ;

4°) de mettre à la charge de la commune une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la suspension de la subvention équivalait à un retrait, la commune a méconnu l'article 9 de la convention d'objectifs et de moyens conclue avec elle, la décision du 11 décembre 2015 correspondait à une résiliation qui ne pouvait être mise en œuvre qu'en respectant les termes de l'article 10 de la convention, la commune aurait dû la mettre en demeure de réparer le manquement et prononcer la résiliation à l'expiration d'un délai de deux mois en cas de mise en demeure infructueuse ;
- la décision du 11 décembre 2015 est privée de base légale ; le retrait n'était possible qu'en application des règles contractuelles relatives à la résiliation, or, elle n'a commis aucune faute et n'a reçu aucune mise en demeure préalable prévue à l'article 10, la commune n'a pas respecté le délai de préavis contractuel de l'article 10, elle a refusé ses invitations à résoudre le litige à l'amiable en conformité avec l'article 11 ;
- la décision du 11 décembre 2015 de suspension de la subvention ne repose sur aucun motif valable, la commune s'est en fait fondée sur des griefs concernant le mauvais fonctionnement de la crèche gérée par l'association les Petits Jardiniers Toulousains, la nature des prestations fournies par l'Union des associations pour la petite enfance (UDAPPE) était connue, dans les détails, de la commune dès l'origine, le seul fait d'avoir utilisé une partie des subventions pour rémunérer les prestations de l'Union ne constituait pas un manquement contractuel ;
- la décision de la commune l'a privée de subventions sur la période allant de juillet 2015 à juillet 2016, l'a contrainte à réduire ses coûts fixes et à procéder au licenciement économique de trois salariés, lui causant un préjudice évalué à la somme de 400 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2020, la commune de Toulouse, représentée par la SCP Bouyssou et associés, agissant par Me Teisseyre, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'association le Jardin d'Enfants Toulousain en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de l'association le Jardin d'Enfants Toulousain

Par une ordonnance du 7 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Sylvie Cherrier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chevallier, représentant la commune de Toulouse.


Considérant ce qui suit :

1. L'association le Jardin d'Enfants Toulousain, qui gérait un établissement d'accueil d'enfants de deux à quatre ans à Toulouse, a conclu, le 29 juillet 2013, avec la commune de Toulouse une convention d'objectifs et de moyens prévoyant le versement par la commune d'une subvention annuelle d'aide au fonctionnement calculée sur la base du nombre d'heures facturées aux familles et du taux en vigueur adopté, chaque année, par le conseil municipal. Par une lettre du 11 décembre 2015, l'adjointe au maire de Toulouse en charge de la petite enfance a informé le président de l'association de ce qu'elle avait décidé de suspendre l'exécution de la convention et de ne pas verser le reliquat de la subvention due au titre de l'année 2015 en raison de manquements de l'association à ses obligations contractuelles. L'association le Jardin d'Enfants Toulousain relève appel du jugement du 8 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a refusé de faire droit à ses conclusions indemnitaires.


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la convention d'objectifs et de moyens conclue entre la commune de Toulouse et l'association le Jardin d'Enfants Toulousain : " La ville de Toulouse peut suspendre ou diminuer les versements ou demander le reversement de tout ou partie des sommes déjà versées au titre de la présente subvention, dans l'un des cas suivants : / Non exécution de la convention par l'association / La subvention a été utilisée à des fins non conformes à l'objet de la présente convention / Les obligations de l'association Le Jardin d'Enfants Toulousains prévues à l'article 7 de la présente convention n'ont pas été respectées / En cas de résiliation telle que prévue à l'article 10 de la présente convention ". Aux termes de l'article 10 de cette même convention : " (...) En cas de non-respect, par l'une ou l'autre des parties, des engagements respectifs inscrits dans la présente convention, celle-ci pourra être résiliée de plein droit, par l'une ou l'autre partie, à l'expiration d'un délai de 2 mois suivant la mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée sans effet. La résiliation sera effective à l'issue du délai de préavis de deux mois commençant à courir à compter de la notification de la mise en demeure (...). ".
3. A l'appui du moyen tiré de l'absence de base légale de la décision du 11 décembre 2015, l'association appelante expose que cette décision doit s'analyser, soit, comme un retrait de subvention lequel n'aurait été possible qu'en application des règles contractuelles relatives à la résiliation prévues à l'article 10 précité de la convention d'objectif et en cas de non-respect de ses engagements contractuels, soit comme une résiliation. Toutefois, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, la décision contestée s'est bornée à suspendre le versement de la subvention accordée dans le cadre de la convention d'objectifs et de moyens du 29 juillet 2013 sur le fondement des stipulations de l'article 9 précité. Elle ne constitue ainsi ni une décision de retrait de subvention dès lors qu'elle n'impliquait aucune restitution de sommes déjà versées par la commune, ni une décision de résiliation de la convention, laquelle n'a simplement pas été renouvelée à son terme. Par suite, l'association le Jardin d'Enfants Toulousain ne peut utilement soutenir que le formalisme préalable à la résiliation prévu par l'article 10 de la convention n'aurait pas été respecté et le moyen qu'elle invoque tiré du défaut de base légale de la décision de suspension des versements de subvention doit donc être écarté.
4. En deuxième lieu, l'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire ou, encore, qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention.
5. En vertu de l'article 7 de la convention, l'association le Jardin d'Enfants Toulousain " s'engage à utiliser la subvention conformément à l'objet pour lequel elle a été attribuée et définie à l'article 2 de la présente convention / 7.1 : Obligation de se soumettre au contrôle annuel de l'utilisation de la subvention : (...) En application de l'article L 1611-4 du Code général des collectivités territoriales, l'autorité territoriale se réserve le droit de procéder à tout contrôle ou de demander tout document complémentaire qu'elle jugerait nécessaire à l'évaluation de l'activité du bénéficiaire (...)Tout manquement aux obligations définies au présent article pourra entraîner la suspension voire la résiliation de la présente convention, en application de l'article 10 ci-après. ".
6. Il résulte de l'instruction, qu'au cours de l'année 2015, un contrôle par les services municipaux des documents comptables fournis par l'association a permis de constater que celle-ci procédait à des versements importants au profit d'une autre association, l'Union des associations pour la petite enfance, dont les seuls membres sont l'association appelante ainsi que l'association les Petits Jardiniers Toulousains, gestionnaire d'une crèche accueillant des enfants de zéro à deux ans à la même adresse. Estimant ces versements en grande partie financés par la subvention accordée et ignorant la nature des actions ou missions menées par l'Union, la commune a regardé comme non justifiée à ce stade l'utilisation de la subvention à des fins conformes à l'objet de la convention d'objectifs qu'elle avait conclue avec l'association le Jardin d'Enfants Toulousain. Elle a alors décidé, le 11 décembre 2015, de suspendre le versement du reliquat de subvention annuelle due à l'association et l'a invitée à apporter des éléments justificatifs des versements. L'association estime que cette décision ne repose sur aucun motif valable et qu'elle méconnaît les stipulations de l'article 9 de la convention d'objectifs et de moyens citées au point 2. Cependant, d'une part, contrairement à ce qu'elle soutient, la décision de suspension du versement du reliquat de subvention n'est pas fondée sur des griefs reprochés à l'autre association gestionnaire de la crèche mais bien sur un grief propre reproché à l'appelante tiré de ce qu'elle n'a pas justifié d'une utilisation de la subvention versée par la commune conforme à son objet. D'autre part, s'il résulte de l'instruction que l'Union des associations pour la petite enfance mettait à disposition de ses membres des salariés à temps partagé et qu'elle leur refacturait également des charges générales soit au prorata du nombre d'enfants de chacune ou à 50/50, l'attestation de l'expert-comptable de l'Union en date du 11 mars 2016 ne donne aucun détail sur ces postes de charges dont , au demeurant, un rapport d'audit en date du 19 mars 2016, diligenté à la demande de la commune, expose l'absence de justification. Aucun éclairage n'a été ainsi apporté sur une partie des prestations de l'Union. La circonstance que la commune ait demandé, le 11 décembre 2015, à l'association des éléments justificatifs ne faisait, par ailleurs, pas obstacle à ce qu'elle décide le même jour de suspendre les versements de subvention. En outre, la commune pouvait, quand bien même elle n'aurait pas ignoré l'existence de l'Union et de versements à son profit, contrôler annuellement la destination de la subvention qu'elle versait, en vertu de la convention d'objectifs et de moyens. Dans ces conditions et alors qu'il n'est pas contesté que les versements opérés, pour un montant hors cotisation de 123 519 euros en 2014, ont été en partie financés par la subvention versée par la commune de Toulouse, c'est à bon droit que celle-ci a considéré, en l'absence de connaissance précise des actions de l'Union des associations pour la petite enfance, que l'association le Jardin d'Enfants Toulousain ne pouvait, en l'état, être regardée comme respectant l'obligation résultant de l'article 7 de ladite convention d'utiliser la subvention conformément à son objet. Cette méconnaissance justifiait la suspension du versement de la subvention, en application de l'article 9 de cette même convention. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 9 de ladite convention et de ce que la décision du 11 décembre 2015 ne reposerait sur aucun motif valable ne peuvent qu'être écartés.

7. En troisième lieu, la circonstance que le maire de Toulouse aurait refusé les invitations de l'association en vue d'un règlement amiable du litige prévu à l'article 11 de la convention en vertu duquel " En cas de difficulté sur l'interprétation ou l'exécution de la présente convention les parties s'efforceront de résoudre leur différend à l'amiable ", stipulation dépourvue de caractère impératif, est sans incidence sur la mise en œuvre de l'article 9 de cette même convention.

8. Il résulte de ce qui précède que l'association le Jardin d'Enfants Toulousain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.


Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Toulouse, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'association le Jardin d'Enfants Toulousain de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette association le versement d'une somme de 1 500 euros à la commune de Toulouse au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.





D E C I D E :



Article 1er : La requête de l'association le Jardin d'Enfants Toulousain est rejetée.

Article 2 : L'association le Jardin d'Enfants Toulousain versera à la commune de Toulouse une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association le Jardin d'Enfants Toulousain et à la commune de Toulouse.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2022.


Le rapporteur,




T. Teulière

La présidente,




A. Geslan-Demaret
La greffière,




M-M. Maillat
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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N° 20TL20132



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