CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 24/05/2022, 19TL24235, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Trémouilles a demandé au tribunal administratif de Toulouse :
- de condamner M. F... E..., M. C... A... et la société Socotec au paiement de la somme de 22 400 euros au titre des travaux de reprise des désordres relatifs à l'humidité à l'intérieur du quillodrome construit en 2010 ;
- de condamner M. F... E..., M. C... A..., le Bet Inse et la société Forclum Guirande devenue Eiffage Energie Quercy Rouergue au paiement de la somme de 493 000 euros au titre des travaux de reprise des désordres relatifs aux panneaux photovoltaïques installés en toiture du quillodrome ;
- de condamner M. F... E..., M. C... A..., le Bet Inse et la société Ciso au paiement de la somme de 71 000 euros au titre des travaux de reprise de la couverture en bac acier ;
- de condamner M. F... E..., M. C... A... et la société Socotec au paiement de la somme de 20 238,20 euros au titre de la ventilation mécanique mise en place par la collectivité ;
- de condamner M. F... E..., M. C... A... et la société Socotec au paiement de la somme de 132 542,17 euros au titre des pertes de production.

Par un jugement n° 1700971 du 12 septembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse :
- a condamné solidairement M. F... E..., M. C... A... et la société Socotec à payer à la commune de Trémouilles, sur le fondement de la garantie décennale, la somme de 22 400 euros TTC en réparation des désordres relatifs à l'humidité à l'intérieur du bâtiment ;
- a condamné in solidum la société Bet Inse et la société Ciso à payer à la commune de Trémouilles, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la somme de 71 000 euros TTC au titre des travaux de reprise de la couverture en bac acier, sous déduction de la somme effectivement versée par la société Ciso en exécution de l'ordonnance du 23 avril 2018 au titre de la provision accordée à la commune ;
- a condamné in solidum la société Bet Inse et la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue venant aux droits de la société Forclum Guirande à payer à la commune de Trémouilles, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la somme de 493 000 euros TTC au titre du coût de réfection des panneaux photovoltaïques ;
- a condamné la société Socotec à garantir MM. E... et A... des condamnations prononcées à leur encontre à hauteur de 5 % de la somme de 22 400 euros TTC et MM. E... et A... à garantir la société Socotec des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 95 % de la même somme ;
- a condamné le Bet Insee à garantir la société Ciso des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 5 % de la somme de 71 000 euros TTC et la société Ciso à garantir le Bet Inse des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 95 % de la même somme ;
- a condamné le Bet Inse à garantir la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue venant aux droits de la société Forclum Guirande des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 5 % de la somme de 493 000 euros TTC et la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue à garantir la société Bet Inse des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 95 % de la même somme ;
- a condamné in solidum MM. E... et A..., la société Bet Inse, la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue et la société Ciso à payer à la commune de Trémouilles la somme de 6 918,42 euros TTC en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
- et a rejeté le surplus des demandes des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 13 novembre 2019, le 18 décembre 2019 et le 22 décembre 2021 sous le n° 19BX04235 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 19TL24235, la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue Gévaudan venant aux droits de la société Forclum Guirande, représentée par Me Salesse, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 12 septembre 2019 en ce qu'il a retenu sa responsabilité contractuelle au titre des désordres affectant la toiture en panneaux photovoltaïques et de la mettre hors de cause ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum MM. E... et A..., la société Bet Inse, la société Socotec et la société Ciso à la relever et garantir indemne de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge in solidum de MM. E... et A..., de la société Bet Inse, de la société Socotec et de la société Ciso une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de les condamner aux entiers dépens.

Elle soutient que :
- seule la garantie décennale est susceptible d'être retenue à son encontre dès lors que les réserves non levées relèvent du lot n°4 ou sont sans lien avec la pose de panneaux photovoltaïques, qu'il n'y avait aucune ambigüité sur la levée des réserves, que les réserves émises sont sans lien avec les désordres et que les désordres réservés ne se sont manifestés qu'ultérieurement dans toute leur ampleur et leurs conséquences ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu sa responsabilité au titre du coût des travaux de reprise des panneaux photovoltaïques alors que la cause déterminante de ces désordres provient du phénomène de condensation à l'intérieur du bâtiment ; il s'agit d'un défaut de conception en raison de l'absence de ventilation, de sorte qu'elle doit être mise hors de cause ;
- à titre subsidiaire, si une part de responsabilité devait lui être imputée, elle sera relevée indemne par la société Ciso, les architectes E... et A..., les sociétés Bet Inse et Socotec de toutes condamnations prononcées à son encontre, la responsabilité des architectes et de Bet Inse étant prépondérante eu égard à la nature de leur mission ; une part de responsabilité devra rester à la charge du maître de l'ouvrage qui n'a pas fait diligence pour éviter une aggravation des désordres.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 22 avril 2020, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, représentées par la SCP Barbier et Associés agissant par Me Jourdon, demandent de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a limité les condamnations prononcées à l'encontre de la société Ciso à la somme de 71 000 euros.

Elles font valoir que :
- elles justifient d'un intérêt à intervenir volontairement afin de défendre leurs droits : le jugement doit être réformé en ce qu'il a déclaré irrecevable leur intervention ;
- la société Ciso ne peut être condamnée que pour les travaux de reprise de ses propres ouvrages, soit la partie de la couverture en bacs acier ; ces désordres ne relèvent pas de la garantie décennale mais de la seule responsabilité contractuelle de la société Ciso.

Par un mémoire enregistré le 22 avril 2020, la société Bet Inse, représentée par la SCP Barbier et Associés agissant par Me Jourdon, demande :
- de rejeter la requête ;
- de condamner in solidum MM. E... et A..., la société Eiffage Energie venant aux droits de la société Forclum Guirande, la société Ciso représentée par Me Aussel et la société Socotec à la relever et garantir intégralement de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au titre des désordres en toiture, ou à titre subsidiaire, de les condamner in solidum à la relever et garantir à hauteur de 95% des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;
- de réduire à de plus justes proportions l'indemnité susceptible d'être allouée à la commune de Trémouilles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a mis la société Bet Inse hors de cause au titre des désordres consécutifs au phénomène de condensation ;
- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de sa mission de maîtrise d'œuvre limitée à l'installation de la couverture en panneaux photovoltaïques ; le jugement doit être réformé en ce qu'il a retenu qu'une part de responsabilité pouvait lui être imputée au titre de sa mission de conseil et de surveillance des travaux ;
- sa responsabilité ne peut être retenue au titre des travaux de reprise de la partie de la couverture en bacs aciers, ces ouvrages se trouvant hors du champ de sa mission.

Par des mémoires enregistrés le 29 avril 2020 et le 15 février 2022, la société Socotec France, représentée par Me Leridon, demande :
- à titre principal, de rejeter la requête, de la mettre hors de cause et de condamner la société Eiffage Energie Systèmes ou tout succombant à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en ce qu'il a limité l'obligation de la société à 5% du désordre relatif à l'humidité à l'intérieur du bâtiment et de condamner in solidum MM. E... et A..., la société Bet Inse, la société Forclum Guirande et la société Ciso à la relever et garantir indemne de toute condamnation au-delà de la somme de 1 120 euros TTC.

Elle fait valoir que :
- les désordres ne sont pas susceptibles de se rattacher à la mission LP qui lui a été confiée, au regard des conclusions de l'expert ; aucun dommage n'est susceptible de se rattacher à un aléa entrant dans la mission SEI ;
- le phénomène de condensation affectant le bâtiment n'est imputable qu'à la maîtrise d'œuvre : le jugement devra donc être réformé en ce qu'il a retenu une part de responsabilité à son encontre ;
- la demande de remboursement des frais engagés pour la mise en place d'une ventilation mécanique a été rejetée à bon droit par le tribunal, dès lors qu'elle tend à réparer le même préjudice que celui réparé par la somme de 22 400 euros déjà allouée ; la demande d'indemnisation de la perte de production énergétique ne présente pas de lien direct avec la neutralisation des panneaux photovoltaïques liés aux travaux de reprise et elle est mal fondée en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du contrôleur technique.

Par un mémoire enregistré le 20 juillet 2021, la compagnie Groupama d'Oc, représentée par Me Clamens, conclut au rejet de la requête et demande de condamner tout succombant à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucune demande n'étant présentée à son encontre, elle doit être mise hors de cause.

Par des mémoires enregistrés le 29 juillet 2021 et le 20 décembre 2021, la commune de Trémouilles, représentée par Me Forget de la SCP de Caunes - Forget, conclut au rejet de la requête et demande :
- par la voie de l'appel incident, de condamner solidairement MM. E... et A... ainsi que la société Socotec à lui verser la somme de 20 238,20 euros TTC au titre des frais engagés pour la mise en place provisoire d'une ventilation mécanique et la somme de 69 812,61 euros TTC au titre des pertes de production électrique ;
- de mettre à la charge solidaire des sociétés Eiffage Energie Systèmes QRG, Bet Inse, Ciso et Socotec ainsi que de MM. E... et A... une somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de les condamner aux entiers dépens.


Elle fait valoir que :
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité des maîtres d'œuvre et de la société Socotec s'agissant des désordres relatifs à la présence d'humidité ;
- il doit également être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de la société Eiffage Energie Systèmes s'agissant des désordres relatifs aux fuites en toiture, en l'absence de levée des réserves ; en toute hypothèse, les désordres relèvent de la garantie décennale du constructeur dès lors qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
- le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de remboursement des frais engagés pour la mise en place provisoire d'une ventilation mécanique et sa demande d'indemnisation de la perte de production énergétique dont l'existence a été admise dans son principe par l'expert.


Par ordonnance du 10 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 février 2022.

Un mémoire présenté pour la société Socotec France, enregistré le 24 mars 2022, n'a pas été communiqué.

Par un courrier du 15 avril 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de soulever d'office :
- l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué présentées par la société Socotec France tendant à sa mise hors de cause et des conclusions présentées à titre subsidiaire, dont la situation n'est pas susceptible d'être aggravée par l'appel principal de la société Eiffage Energie Systèmes ;
- l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué présentées par la société Bet Inse, dont la situation ne serait pas aggravée en cas de rejet par la cour de l'appel présenté par la société appelante.

Par un mémoire enregistré le 28 avril 2022, la société Socotec France a présenté des observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office par la cour.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue Gévaudan.


Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'ordonnance du 8 avril 2014 par laquelle le président du tribunal administratif de Toulouse a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. B... D... ;
- l'ordonnance n° 1702847 du 23 avril 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a condamné la société Ciso à verser à la commune de Trémouilles une provision de 71 000 euros.


Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Salesse, représentant la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue, de Me Lanoe, représentant la société Socotec France et de Me Forget, représentant la commune de Trémouilles.


Considérant ce qui suit :

1. La commune de Trémouilles (Aveyron) a conclu un contrat de délégation de maîtrise d'ouvrage avec le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) des Monts et Lac du Lévézou pour la construction d'un quillodrome. Le marché public de maîtrise d'œuvre a été confié, le 25 septembre 2007, à M. F... E..., architecte mandataire du groupement comprenant également M. C... A.... Par un avenant du 3 août 2009, le bureau d'études techniques Bet Inse a été intégré au groupement pour adapter le projet initial en installant une toiture photovoltaïque sur le bâtiment. La société Socotec était chargée d'une mission de contrôle technique relative à la solidité des ouvrages, à la sécurité des personnes dans les espaces recevant du public et à l'accessibilité des personnes handicapées. Le lot n° 4 " bardages, couverture, zinguerie " a été attribué, le 11 janvier 2010, à la société Ciso et le lot n° 8 " générateur photovoltaïque " à la société Forclum Guirande devenue Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue. Les travaux ont été réceptionnés le 7 décembre 2010, avec réserves concernant le lot n° 8. Après réception des travaux, la commune de Trémouilles a constaté l'apparition, d'une part, de traces d'humidité et d'un important phénomène de condensation à l'intérieur du bâtiment et, d'autre part, de fuites résultant d'un défaut d'étanchéité de la toiture. Ces désordres ont fait l'objet d'une expertise ordonnée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse par ordonnance du 10 mai 2012, puis d'une seconde expertise ordonnée le 13 octobre 2017 à la suite de nouveaux désordres apparus en février 2017 du fait d'intempéries. La commune de Trémouilles a demandé au tribunal administratif de Toulouse la condamnation des constructeurs à réparer les préjudices résultant de ces désordres, à titre principal sur le fondement de leur responsabilité décennale et, à titre subsidiaire, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle. Par le jugement attaqué du 12 septembre 2019, le tribunal a condamné solidairement, en premier lieu, MM. E... et A... et la société Socotec à payer à la commune la somme de 22 400 euros en réparation des désordres relatifs à l'humidité à l'intérieur du bâtiment, en deuxième lieu, la société Bet Inse et la société Ciso à payer à la commune la somme de 71 000 euros au titre des travaux de reprise de la couverture en bac acier, sous déduction de la somme effectivement versée par la société Ciso en exécution de l'ordonnance du 23 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ayant accordé une provision à la commune et, en troisième lieu, la société Bet Inse et la société Eiffage Energie Systèmes à payer à la commune la somme de 493 000 euros au titre du coût de réfection des panneaux photovoltaïques. La société Eiffage Energie Systèmes relève appel de ce jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité contractuelle au titre des désordres affectant la toiture en panneaux photovoltaïques et, par la voie de l'appel provoqué, les sociétés Bet Inse et Socotec demandent la réformation du jugement en tant qu'il a retenu leur responsabilité. La commune de Trémouilles demande, par la voie de l'appel incident, de condamner solidairement MM. E... et A... ainsi que la société Socotec à lui verser la somme de 20 238,20 euros au titre des frais engagés pour la mise en place provisoire d'une ventilation mécanique et la somme de 69 812,61 euros au titre des pertes de production électrique.

Sur l'intervention des compagnies MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles :

2. Dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui peuvent se prévaloir d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier. Ainsi, l'assureur d'un constructeur dont la responsabilité est recherchée ne peut être regardé comme pouvant, dans le cadre d'un litige relatif à l'engagement de cette responsabilité, se prévaloir d'un droit de cette nature. Par suite, et alors même que leur assurée, la société Ciso n'a, du fait de sa liquidation judiciaire, produit de mémoire en défense ni devant les premiers juges ni dans le cadre de la présente instance, l'intervention des sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles, qui tend à demander de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a limité les condamnations prononcées à l'encontre de la société Ciso à la somme de 71 000 euros, n'est pas recevable.

Sur la demande de mise hors de cause de la société Groupama :

3. La commune de Trémouilles ne dirige aucune conclusion contre la compagnie d'assurance Groupama, qu'elle avait appelée à la cause en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage de la personne publique devant les premiers juges. Ainsi, la société Groupama est fondée à demander sa mise hors de cause.

Sur le fondement de la responsabilité de la société Eiffage Energie Systèmes :

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

4. La réception, acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve, met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves.

5. En l'espèce, la réception du lot n° 8 " générateur photovoltaïque " a été prononcée le 7 décembre 2010, avec plusieurs réserves portant notamment sur des fuites en rive pignon ouest et une déformation du panneau en plafond support en couverture. Il est toutefois constant que la réserve concernant les fuites en rive pignon ouest a été mentionnée par erreur dans le procès-verbal de réception du lot n°8 et concerne le lot n° 4 " bardage - couverture - zinguerie " attribué à la société Ciso, ainsi que l'a d'ailleurs relevé l'expert judiciaire dans son second rapport. S'agissant ensuite de la réserve concernant la déformation du panneau en plafond support en couverture, qui n'a jamais été levée, contrairement à ce que soutient la société Eiffage Energie Systèmes, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise dommages-ouvrage remis le 8 août 2011, que si les panneaux agglomérés support de couverture ainsi que les panneaux de rive ont subi une déformation concave, la cause première de ce désordre réside dans le phénomène important et persistant de condensation intérieure résultant de l'absence de mise en place d'un système de ventilation. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la déformation du panneau en plafond serait en lien avec les désordres de fuites en toiture. Dès lors, la société Eiffage Energie Systèmes est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que sa responsabilité contractuelle était engagée. Il y a donc lieu d'examiner, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, l'autre fondement de responsabilité invoqué devant le tribunal administratif de Toulouse.


En ce qui concerne la garantie décennale :

S'agissant du caractère décennal des désordres :

6. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure. Cette garantie est solidairement due par les constructeurs, y compris en l'absence de faute, dès lors que les désordres peuvent être regardés comme leur étant imputables au regard des missions qui leur ont été confiées par le maître de l'ouvrage dans le cadre de l'exécution des travaux litigieux.

7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise établi le 31 mars 2014, que si les désordres en litige ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage, la présence de condensation et d'humidité importantes à l'intérieur du bâtiment et les fuites en toiture entraînent, d'une part, une réelle difficulté d'utilisation du quillodrome, notamment par temps de pluie alors que son objet principal est de permettre aux usagers de jouer à la quille aveyronnaise par tous les temps. D'autre part, ces désordres, qui n'étaient pas apparents lors de la réception de l'ouvrage, entraînent une dégradation importante des matériaux, compromettant ainsi la pérennité de l'ouvrage. Par suite, ils sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination et à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

S'agissant de l'imputabilité des désordres :

8. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, que les désordres liés aux fuites en toiture ont pour cause le non-respect des règles de mise en œuvre lors de la réalisation des travaux par les sociétés Ciso et Forclum Guirande, dont Eiffage Energie Systèmes vient aux droits, ainsi que du défaut de contrôle de la conformité des ouvrages sur les travaux exécutés par le groupement de maîtrise d'œuvre, en particulier de la société Bet Inse s'agissant de l'installation de la toiture photovoltaïque. La société Eiffage Energie Systèmes, dont la responsabilité a été retenue par les premiers juges concernant la réfection des panneaux photovoltaïques, soutient que l'absence de système de ventilation au sein du quillodrome, qui constitue une erreur de conception de l'ouvrage, constitue la cause déterminante des désordres en litige, notamment des infiltrations d'eau à l'intérieur du bâtiment. Il résulte toutefois de l'instruction que des défauts d'étanchéité ont été constatés sur la couverture, sur le principe de fixation des panneaux photovoltaïques, sur les tôles de recouvrement et les divers éléments en bacs acier, lesquels sont à l'origine des infiltrations à l'intérieur du bâtiment. En particulier, la société Forclum Guirande n'a pas pris toutes les dispositions techniques requises avant la mise en place des écrans d'imperméabilisation, en tenant compte du mode de fixation des panneaux d'agglomérés de bois et de chevrons par son sous-traitant la société Crouzet et Sanchez, afin d'éviter leur détérioration. Si, ainsi que l'expose ensuite la société appelante, le groupement de maîtrise d'œuvre peut également être mis en cause dès lors que certaines parties de sa mission n'ont pas été remplies, la responsabilité des architectes MM. E... et A... ne saurait être engagée dès lors qu'au sein du groupement de maîtrise d'œuvre, seule la société Bet Inse avait été missionnée pour l'installation de la toiture photovoltaïque. En l'absence d'incidence des désordres en litige sur la solidité de l'ouvrage, la responsabilité de la société Socotec qui était en charge d'une mission LP relative à la solidité des ouvrages et éléments d'équipements dissociables et indissociables, ainsi que d'une mission SEI relative à la sécurité des personnes, ne peut être retenue. Enfin, si la société appelante fait valoir que le maître de l'ouvrage a commis une faute ayant contribué à l'aggravation des désordres en retardant la mise en place d'une ventilation qui aurait dû intervenir dès mars 2011, il résulte de l'instruction que l'expert dommages-ouvrages fait état, dans son rapport remis en octobre 2011, de deux solutions étudiées par la société Bet Inse : la ventilation naturelle et la mise en œuvre d'extracteurs. Le premier expert exposait que, s'agissant d'un local non chauffé, une ventilation naturelle devrait suffire, et que la ventilation mécanique constituerait une amélioration, cette option devant être gardée en réserve en complément de la première. Un système de ventilation mécanique a été mis en place par le maître de l'ouvrage en janvier 2013. Si les cinq extracteurs qui étaient hors service lors des premières opérations d'expertise ont dû être remplacés à la fin de l'année 2013, il ne résulte d'aucune pièce que les extracteurs ne fonctionneraient pas en permanence, ainsi que l'a relevé l'expert lors des nouvelles opérations qu'il a menées en novembre 2017. Par ailleurs, s'il est constant que la commune de Trémouilles n'avait pas procédé à la réfection de la toiture du quillodrome, conformément aux préconisations de l'expertise rendue le 31 mars 2014, lors de la survenance des intempéries du 13 février 2017, le coût des travaux qui est résulté de ce sinistre n'a pas été mis à la charge des constructeurs dans le jugement attaqué. Ainsi, aucune faute du maître d'ouvrage ne peut être retenue. Dès lors, la cause des désordres concernant l'installation de la toiture photovoltaïque résulte d'une malfaçon dans l'exécution des travaux imputable à la société Eiffage Energie Systèmes, ainsi qu'à la société Bet Inse au titre de sa mission de conseil et de surveillance des travaux.

Sur le préjudice indemnisable :

9. Le maître d'ouvrage est en droit, sur le fondement de la garantie décennale, d'obtenir la réparation de l'ensemble des préjudices que lui ont causé les désordres affectant l'immeuble.

10. En l'absence de contestation du montant alloué par les premiers juges, la société Eiffage Energie Système et la société Bet Inse doivent être condamnées à verser à la commune de Trémouilles la somme de 493 000 euros au titre du coût de réfection des panneaux photovoltaïques, telle que retenue dans la première expertise.

S'agissant des appels en garantie :

11. Il résulte de ce qui a été exposé au point 8 du présent arrêt, que la société Eiffage Energie Système est seulement fondée à demander à être garantie par la société Bet Inse. Cette dernière fait de nouveau valoir qu'elle a visé et validé les schémas et détails de pose de l'entreprise Forclum Guirande, qu'elle a suivi le bon déroulement des travaux et qu'elle n'était pas en mesure de déceler les fautes ponctuelles d'exécution affectant l'écran imperméabilisant d'une couverture de plus de 2 000 mètres carrés qui a été rapidement recouvert par la pose des panneaux photovoltaïques, rendant tout contrôle impossible à la date des opérations préalables à réception. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la société Bet Inse sera garantie des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 95 % de la somme de 493 000 euros par la société Eiffage Energie Système. Cette dernière sera garantie des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 5 % de la même somme par la société Bet Inse.

Sur les conclusions présentées par la société Bet Inse et la société Socotec :

12. La société Bet Inse reprend également ses écritures présentées devant les premiers juges en demandant d'être mise hors de cause s'agissant des désordres de la couverture en bacs acier, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, estimant qu'ils sont intégralement imputables à la société Ciso qui était en charge de l'exécution des travaux litigieux. Toutefois, pour les motifs qui viennent d'être exposés, il y a lieu de maintenir la garantie dont elle est redevable à l'encontre de la société Ciso à hauteur de 5 % de la somme de 71 000 euros prononcée à son encontre par le jugement attaqué, et de rejeter ses demandes d'appel en garantie présentées à l'encontre de MM. E... et A... et des sociétés Eiffage Energie Système et Socotec.

13. De même, la société Socotec reprend ses écritures présentées devant les premiers juges en demandant d'être mise hors de cause s'agissant des désordres relatifs à l'humidité à l'intérieur du bâtiment. Toutefois, compte tenu de la carence dans son devoir de contrôle, il y a lieu de maintenir la garantie dont elle est redevable à l'encontre des architectes MM. E... et A... à hauteur de 5 % de la somme de 22 400 euros prononcée à son encontre par le jugement attaqué, et de rejeter ses demandes d'appel en garantie présentées à l'encontre des sociétés Eiffage Energie Système, Bet Inse, et Ciso.

Sur les conclusions d'appel incident présentées par la commune de Trémouilles :

14. En premier lieu, la commune de Trémouilles demande le versement de la somme de 20 238,20 euros au titre de la ventilation mécanique mise en place entre novembre 2012 et janvier 2013. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, que cette somme qui correspond au devis de la société Arguel sur appel d'offres lancé en 2012, ne serait pas incluse dans l'indemnisation de 22 400 euros qui lui a été allouée par le jugement attaqué, laquelle somme inclut également un diagnostic sur le dysfonctionnement des ventilateurs devant être réalisé par le Bet Inse à hauteur de la somme de 1 674 euros. Sa demande présentée à ce titre doit dès lors être rejetée.

15. En second lieu, la commune de Trémouilles demande la condamnation des architectes, MM. E... et A..., ainsi que de la société Socotec à lui verser la somme de 69 812,61 euros au titre des pertes de production électrique subies lors des interventions en toiture en décembre 2011, janvier 2012 et octobre 2013, ainsi que du 17 mars au 5 mai 2021 pendant lesquels les travaux de réparation préconisés par l'expert ont été effectués. Toutefois, les travaux en toiture qui sont à l'origine de l'arrêt de la production électrique sont dépourvus de lien avec le désordre constaté à l'intérieur du bâtiment résultant de l'absence de ventilation qui est seul imputable à ces intimés. Sa demande présentée à ce titre doit dès lors être également rejetée.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eiffage Energie Systèmes est seulement fondée à demander que le jugement du 12 septembre 2019 soit réformé en ce qu'il a retenu sa responsabilité contractuelle au titre des désordres affectant la toiture en panneaux photovoltaïques. Il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par les parties par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué.

Sur les frais d'instance :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :


Article 1er : Les interventions des sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles ne sont pas admises.
Article 2 : La société Groupama d'Oc est mise hors de cause.
Article 3 : La société Bet Inse et la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue venant aux droits de la société Forclum Guirande sont condamnées solidairement sur le fondement décennal au paiement à la commune de Trémouilles de la somme de 493 000 euros TTC au titre du coût de réfection des panneaux photovoltaïques.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1700971 du 12 septembre 2019
est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la société Eiffage Energie Systèmes - Quercy Rouergue Gévaudan venant aux droits de Forclum Guirande, à M. F... E..., à M. C... A..., à la société Bet Inse, à la société Socotec France, à Groupama d'Oc, à Me Aussel liquidateur de la société Ciso, à MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles et à la commune de Trémouilles.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Moutte, président,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.
La rapporteure,
A. Blin
Le président,
J-F. Moutte
Le greffier,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne à la préfète de l'Aveyron en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19TL24235



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