CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 17/05/2022, 22VE00604, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le comité social et économique de la société Sealants Europe a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 octobre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Île-de-France a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe.

Par un jugement n° 2113150 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 mars 2022 et des mémoires en réplique enregistrés les 8 et 29 avril 2022, le comité social et économique de la société Sealants Europe, représenté par Me Rilov, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2°) d'annuler la décision du 11 octobre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Île-de-France a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 2 000 euros.

Il soutient que :
- la décision d'homologation est insuffisamment motivée et par conséquent méconnaît les dispositions de l'article L. 1233-57-4 du code du travail ;
- la procédure d'information et de consultation du comité social et économique est entachée d'irrégularité dès lors que le projet de restructuration a été mis en œuvre avant la consultation du comité et l'homologation du document unilatéral ; par ailleurs l'administration a omis de contrôler les conditions de déroulement de la mission de l'expert ;
- les informations délivrées par la société sont trop imprécises pour apprécier la réalité des mouvements d'emplois projetés par catégorie professionnelle ; le comité social et économique n'a donc pas pu apprécier le bien-fondé des catégories retenues par l'employeur ; c'est donc à tort que l'administration a homologué le document unilatéral de la société Sealants Europe ;
- le groupe PPG n'a aucunement contribué à mesure de ses moyens au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe ; les 65 possibilités de reclassement mentionnés sont manifestement inférieures aux possibilités de reclassement réelles des entreprises du groupe PPG établies en France, qui emploient plus de 3 300 salariés ;
- l'administration n'a pas contrôlé si des courriers de reclassement avaient été adressés par l'employeur à l'ensemble des sociétés du groupe pour leur demander d'abonder le plan de sauvegarde de l'emploi ou pour proposer des postes de reclassement aux salariés licenciés ;
- la DRIEETS aurait dû vérifier la proportionnalité des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi aux moyens de l'entreprise Sealants Europe avant de rendre sa décision d'homologation ;
- la société Sealants Europe a manqué à son obligation de sécurité dans le cadre de la procédure de licenciement collectif pour motif économique ; l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité dans le document unilatéral en dépit du signalement par les élus du comité social et économique de dangers graves et imminents ; l'employeur n'a pas tenu compte dans les mesures de prévention du document unilatéral de l'augmentation significative de la charge de travail ; la société a manqué de façon chronique à son obligation de mettre en place un dispositif de prévention des risques psychosociaux, qui s'aggravent du fait de la mise en œuvre de la restructuration ; l'expert Addeo avait fait des constats accablants quant à l'inexécution patente par la société de son obligation de sécurité ; l'employeur ne peut prétendre présenter un plan de prévention suffisant au regard de son obligation de sécurité dans le document unilatéral s'il a manifestement violé son obligation de mettre à la disposition des travailleurs comme des membres du comité social et économique le document unique d'évaluation des risques en application de l'article R. 4121-4 du code du travail ;
- la DRIEETS a omis de contrôler le respect par l'employeur de cette obligation.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mars 2022, la société Sealants Europe, représentée par Me Fiedler, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que le comité social et économique soit condamné au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à lui verser une somme de 3 500 euros.

Elle fait valoir :
- à titre principal, que la requête du comité social et économique est irrecevable dès lors qu'elle méconnaît les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par le comité social et économique ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 avril 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rilov pour le comité social et économique de la société Sealants Europe et de Me Fiedler pour la société Sealants Europe.


Considérant ce qui suit :
1. La société Sealants Europe, qui appartient au groupe PPG Industries, est spécialisée dans la production de mastics et d'adhésifs utilisés dans l'industrie aéronautique et automobile. Le 1er octobre 2020, la société a informé la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (devenue direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités-DRIEETS) d'Ile-de-France du projet de cessation totale et définitive de son activité conduisant à la suppression de la totalité des 208 postes du site de Bezons. Du 8 octobre 2020 au 8 mars 2021 se sont tenues les réunions d'information et de consultation du comité social et économique portant sur la cessation d'activité projetée et ses modalités d'application, le projet de licenciement collectif pour motif économique, ainsi que sur les conséquences de ce projet de réorganisation en matière de santé, sécurité et de conditions de travail. Le comité social et économique a, lors de la réunion du 8 mars 2021, refusé de rendre un avis sur les documents présentés. Le 12 avril 2021, la DRIEETS d'Île-de-France a refusé d'homologuer le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société. La procédure d'information et de consultation du comité social et économique a été reprise par la société. Lors de la réunion du 16 septembre 2021 les représentants du personnel ont refusé d'émettre un avis sur le document unilatéral modifié. Ce nouveau document a été homologué par le directeur régional le 11 octobre 2021. Le comité social et économique de la société Sealants Europe relève appel du jugement du 18 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Sealants Europe :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".
3. Contrairement à ce que soutient la société Sealants Europe, la requête d'appel du comité social et économique ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance. Cette requête satisfait ainsi aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée doit être écartée.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision d'homologation du 11 octobre 2021 :

4. Il résulte des dispositions des articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail que, pour les entreprises qui ne sont pas en redressement ou en liquidation judiciaire, le législateur a attaché à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, des effets qui diffèrent selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée. Par suite, lorsque le juge administratif est saisi d'une requête dirigée contre une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi d'une entreprise qui n'est pas en redressement ou en liquidation judiciaire, il doit, si cette requête soulève plusieurs moyens, toujours commencer par se prononcer, s'il est soulevé devant lui, sur le moyen tiré de l'absence ou de l'insuffisance du plan, même lorsqu'un autre moyen est de nature à fonder l'annulation de la décision administrative, compte tenu des conséquences particulières qui, en application de l'article L. 1235-11 du code du travail, sont susceptibles d'en découler pour les salariés. En outre, compte tenu de ce que l'article L. 1235-16 de ce code, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, prévoit désormais que l'annulation d'une telle décision administrative, pour un autre motif que celui tiré de l'absence ou de l'insuffisance du plan, est susceptible d'avoir des conséquences différentes selon que cette annulation est fondée sur un moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen, il appartient au juge administratif de se prononcer ensuite sur les autres moyens éventuellement présentés à l'appui des conclusions aux fins d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, en réservant, à ce stade, celui tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative. Enfin, lorsqu'aucun de ces moyens n'est fondé, le juge administratif doit se prononcer sur le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative lorsqu'il est soulevé.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi :
5. Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. ". Les articles L. 1233-24-1 et L. 1233-24-4 du même code prévoient que le contenu de ce plan de sauvegarde de l'emploi peut être déterminé par un accord collectif d'entreprise et qu'à défaut d'accord, il est fixé par un document élaboré unilatéralement par l'employeur.
6. Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du code du travail : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : / 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; / 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; / 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. / Elle s'assure que l'employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle mentionné à l'article L. 1233-65 ou la mise en place du congé de reclassement mentionné à l'article L. 1233-71. ".
7. Il résulte des dispositions de l'article L. 1233-57-3 du code du travail qu'il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'apprécier, au regard de l'importance du projet de licenciement, si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe. Dans ce cadre, il revient notamment à l'autorité administrative de s'assurer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur doit, à cette fin, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, l'employeur doit avoir indiqué dans le plan leur nombre, leur nature et leur localisation.
8. D'une part, ainsi qu'il vient d'être dit, l'appréciation que doit porter l'administration sur le caractère suffisant des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi n'a légalement à tenir compte que des moyens, notamment financiers, que l'entreprise et le groupe auquel elle appartient sont susceptibles de consacrer aux différentes mesures contenues dans le plan. En l'espèce, il ressort des termes mêmes de la décision d'homologation en litige que l'administration a vérifié que les mesures prises par l'entreprise étaient proportionnées aux moyens de l'entreprise Sealants Europe et du groupe PPG. Le comité social et économique requérant n'est donc pas fondé à soutenir que ce contrôle n'aurait pas été réalisé.
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe prévoit dans son paragraphe intitulé " propositions de reclassement à l'initiative de la société " une liste de 65 postes à pourvoir au sein des sociétés et entités faisant partie du groupe PPG en France. Le plan mentionne également que la société Sealants Europe s'engage à notifier à chaque salarié dont le licenciement est projeté la liste des postes disponibles individualisée en précisant les informations relatives aux postes, leur descriptif, le nom de l'employeur, la nature des contrats de travail, la localisation et la classification du poste et le niveau de rémunération. Si le requérant soutient que les 65 possibilités de reclassement sont manifestement très inférieures aux possibilités de reclassement au sein des entreprises du groupe PPG établies en France, les éléments qu'il produit au soutien de cette allégation, ayant trait au nombre de salariés de ces sociétés et au nombre d'offres d'embauche émanant de celles-ci, sont insuffisants pour remettre en cause l'appréciation portée par le directeur régional sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche sérieuse de reclassement au sein du groupe auquel il appartient.
10. Enfin, l'autorité administrative n'est pas tenue, dans le cadre de son contrôle des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi, de vérifier si l'entreprise concernée a effectivement sollicité l'ensemble des entreprises du groupe auquel elle appartient pour obtenir un financement de leur part des mesures prises dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi ou pour proposer des postes de reclassement aux salariés licenciés. Ce moyen doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne les mesures prévues pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs :
11. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ".
12. Dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler, dans le cadre de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée.
13. Par ailleurs, dans le cadre d'une cessation de l'activité d'une entreprise conduisant à la suppression de l'intégralité des postes de travail, l'employeur n'est tenu, en application des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs que jusqu'à la date de fin de l'opération envisagée.
14. Il ressort des pièces du dossier que la société Sealants Europe, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés dans le cadre de la mise en œuvre de son projet, a distingué trois phases constituées de la phase de poursuite de l'activité, de la phase de nettoyage et de mise en sécurité des équipements et enfin de la phase de démantèlement du site. Dans ce cadre, la société a notamment prévu l'élaboration d'un plan d'évaluation du risque psychosocial et d'un plan d'action réalisé avec l'aide du cabinet " réseau 127 ", la création d'une cellule d'assistance psychologique dans la prévention des risques psycho-sociaux accessible 7j/7 et 24h/24, la formation des managers aux risques psychosociaux, une campagne de communication et d'information des salariés sur les mesures d'accompagnement proposées et l'avancement du projet, la présence sur site d'un psychologue, la mise à disposition d'une assistante sociale mandatée et d'une antenne emploi accompagnant les salariés licenciés dans leurs démarches de recherche d'emploi, ou encore la mise en place de mesures spécifiques pour les huit salariés demeurant sur le site jusqu'à sa fermeture. Il ressort également des pièces du dossier, et en particulier de la note d'information soumise au comité social et économique le 23 juillet 2021, que la charge de travail des salariés en poste lors des différentes phases du projet de cessation d'activité a été quantifiée et prise en compte par l'employeur dans l'élaboration des mesures destinées à assurer la santé et la sécurité des salariés. Ainsi, le document unilatéral comporte les mesures auxquelles l'employeur était tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée.
15. Si le comité social et économique soutient que la société Sealants Europe méconnaît de façon systématique son obligation de sécurité des salariés en se fondant notamment sur l'existence d'un danger grave et imminent signalé en mai 2021 sur le fondement des articles L. 4131-2 et L. 4132-2 du code du travail dans le contexte d'un mouvement social en cours, ce moyen, qui a trait au respect par l'employeur de son obligation générale de sécurité de l'entreprise, est sans incidence sur le bien-fondé de l'appréciation portée par le directeur régional sur les mesures prévues par l'employeur dans son document unilatéral au titre des modalités d'application de l'opération projetée.
16. Le requérant n'est par ailleurs pas fondé à se prévaloir des termes du rapport établi le 2 mars 2021 par le cabinet d'expertise Addeo Conseil dès lors qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la décision du 12 avril 2021 refusant d'homologuer le document unilatéral initial de la société au motif notamment que les mesures de prévention des risques induits par le projet étaient insuffisantes, l'employeur a complété les mesures en question de façon à répondre aux prescriptions de l'article L. 4121-1 du code du travail et que le comité social et économique ne développe aucune critique sérieuse sur l'appréciation portée par l'administration sur le caractère précis et concret de ces mesures.
17. Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort des pièces du dossier que le document unique d'évaluation des risques professionnels, réactualisé concomitamment à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, a été tenu à la disposition du comité social et économique et des salariés. Par suite, le comité social et économique requérant n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le plan de prévention prévu par le document unilatéral serait insuffisant dès lors que la société aurait omis de mettre à sa disposition et à celle des travailleurs le document unique d'évaluation des risques.
18. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le comité social et économique requérant n'est pas fondé à soutenir que le directeur régional, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'a pas omis de contrôler ce point, aurait entaché sa décision d'homologation d'une erreur d'appréciation quant au caractère suffisant au regard des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique central :
19. Aux termes de l'article L. 1233-28 du code du travail : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité social et économique dans les conditions prévues par le présent paragraphe ". Aux termes de l'article L. 1233-30 du même code : " I. - Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité social et économique sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-31 du même code : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. / Il indique : / 1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ; / 2° Le nombre de licenciements envisagé ; / 3° Les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l'ordre des licenciements ; / 4° Le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l'établissement ; / 5° Le calendrier prévisionnel des licenciements ; / 6° Les mesures de nature économique envisagées ; / 7° Le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. ".
20. Aux termes de l'article L. 1233-34 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le comité social et économique peut, le cas échéant sur proposition des commissions constituées en son sein, décider, lors de la première réunion prévue à l'article L. 1233-30, de recourir à une expertise pouvant porter sur les domaines économique et comptable ainsi que sur la santé, la sécurité ou les effets potentiels du projet sur les conditions de travail. / (...) Le rapport de l'expert est remis au comité social et économique et, le cas échéant, aux organisations syndicales, au plus tard quinze jours avant l'expiration du délai mentionné à l'article L. 1233-30. ". Enfin, selon l'article L. 1233-35 du code du travail : " L'expert désigné par le comité social et économique demande à l'employeur, dans les dix jours à compter de sa désignation, toutes les informations qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L'employeur répond à cette demande dans les huit jours. Le cas échéant, l'expert demande, dans les dix jours, des informations complémentaires à l'employeur, qui répond à cette demande dans les huit jours à compter de la date à laquelle la demande de l'expert est formulée. ".
21. Lorsqu'elle est saisie par un employeur d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail et fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part, sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. Il appartient en particulier à ce titre à l'administration de s'assurer que l'employeur a adressé au comité social et économique, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité, tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause. Lorsque l'assistance d'un expert-comptable a été demandée selon les modalités prévues par l'article L. 1233-34 du même code, l'administration doit également s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que celui-ci a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au comité social et économique de formuler ses avis en toute connaissance de cause.
22. Le comité social et économique requérant soutient qu'en méconnaissance de ces principes, l'administration n'a pas contrôlé les conditions dans lesquelles l'expert a pu exercer sa mission. Il ressort des pièces du dossier que lors de ses réunions des 8 mars et 16 septembre 2021, le comité social et économique a refusé de rendre un avis tant sur l'opération projetée et ses modalités d'application que sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi en raison notamment de " l'insuffisance manifeste de l'information communiquée " aux représentants du personnel. Il ressort également des pièces du dossier que le cabinet Alter, désigné par le comité social et économique lors de sa réunion du 27 novembre 2020 en remplacement du cabinet Technologia Expertises, a estimé ne pas être en mesure de rendre de rapport d'expertise compte tenu notamment des carences de l'employeur dans la transmission des informations demandées. Dans ce contexte, alors même que l'administration justifie avoir sollicité auprès de l'employeur un récapitulatif des pièces transmises à l'expert et sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle n'ait été destinataire d'aucune demande d'injonction, le comité social et économique requérant est fondé à soutenir qu'en se bornant à viser dans la décision d'homologation du 11 octobre 2021 " la nouvelle nomination de l'expert lors de la réunion du CSE du 27 novembre 2020 " et " l'absence de remise de rapport d'expertise sur le projet de réorganisation ", l'administration ne justifie pas avoir effectué un réel contrôle des conditions dans lesquelles l'expert désigné par les représentants du personnel a pu exercer sa mission et, par suite, des conditions dans lesquelles le comité social et économique a émis ses avis.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le comité social et économique de la société Sealants Europe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision d'homologation du 11 octobre 2021.
Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit du comité social et économique de la société Sealants Europe d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, le comité social et économique n'étant pas partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la société Sealants Europe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées.
DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2113150 du 18 janvier 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la décision du 11 octobre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Île-de-France a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros au comité social et économique de la société Sealants Europe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du comité social et économique de la société Sealants Europe est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Sealants Europe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au comité social et économique de la société Sealants Europe, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la société Sealants Europe.
Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
M. Coudert, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2022.
Le rapporteur,
B. A...Le président,
S. BROTONSLa greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE00604 2



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