Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 20/05/2022, 446817

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Trade Invest a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1805481 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19VE04079 du 22 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Trade Invest contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre 2020, 23 février 2021 et 25 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Trade Invest demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Trade Invest ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Trade Invest, qui exerce son activité dans le secteur de la fabrication, de la commercialisation et de la vente d'articles de mode, a obtenu, par une décision du 3 mars 2011, la restitution d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche d'un montant de 500 000 euros au titre de l'année 2010. Après une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause ce crédit d'impôt par une proposition de rectification du 21 janvier 2013 et a notifié en conséquence à la société une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010, qu'elle a assortie d'une majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses. Par un jugement du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge de ces impositions. La société Trade Invest se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 septembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel dirigé contre ce jugement.

Sur la vérification de comptabilité :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I.- Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) / II.- Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) / 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. (...) ".

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Trade Invest soutenait en appel que la durée de vérification de comptabilité menée à son encontre avait excédé le délai de six mois prévu par le 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales au motif que les éléments ultérieurement recueillis par l'administration dans le cadre des opérations qu'elle avait diligentées au cours de la vérification de la comptabilité d'un de ses prestataires auraient permis le recoupement d'informations contenues dans sa propre comptabilité, ce qui avait eu pour effet de prolonger la vérification dont elle avait fait l'objet.

4. Toutefois, l'exploitation, à l'issue de la vérification de comptabilité d'un contribuable, d'éléments recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité d'un tiers est sans incidence pour apprécier, au regard des dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, la durée de la première de ces vérifications de comptabilité. Ce motif, qui justifie le rejet du moyen soulevé devant la cour et dont l'examen n'implique aucune appréciation supplémentaire des circonstances de fait, doit être substitué au motif inopérant retenu par l'arrêt attaqué tiré de ce qu'en l'espèce, les éléments obtenus dans le cadre de la vérification de comptabilité du tiers se bornaient à confirmer ceux recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité de la société requérante. Les moyens de dénaturation et d'erreur de droit dirigés contre le motif substitué doivent, par suite, être écartés.

5. En deuxième lieu, en indiquant que, compte tenu du caractère non probant de la comptabilité présentée, l'administration disposait du délai de six mois, prévu par le 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, à partir du 4 novembre 2011, soit jusqu'au 4 mai 2012, pour mener à bien ses opérations de vérification, la cour a implicitement mais nécessairement écarté le moyen tiré de ce que les visites et saisies domiciliaires du 19 avril 2012 dans les locaux de la société Trade Invest avaient été effectuées au-delà du délai de trois mois prévu par le I de l'article L. 52. Par suite, la société requérante, qui ne peut utilement se prévaloir, pour la première fois en cassation, de la circonstance que le vérificateur n'aurait restitué les documents saisis que le 13 juin 2012, soit au-delà du délai de six mois, n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt sur ce point.

6. En troisième et dernier lieu, il ressort de la proposition de rectification du 21 janvier 2013, qui figure parmi les pièces du dossier soumis aux juges du fond, que la rectification en litige n'est fondée sur aucun des documents qui auraient été saisis lors des visites et saisies domiciliaires du 19 avril 2012 dans les locaux de la société Trade Invest, de sa gérante et d'un de ses prestataires. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que la cour aurait omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'absence de débat oral et contradictoire en ce qui concerne ces documents. Doit également être écarté, pour les mêmes raisons, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et des droits de la défense en jugeant qu'un tel débat avait eu lieu.

Sur les dépenses présentées au titre du crédit impôt recherche :

7. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies , 44 duodecies, 44 terdecies et 44 quaterdecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant. / Le taux de 30 % mentionné au premier alinéa est porté à 50 % et 40 % au titre respectivement de la première et de la deuxième année qui suivent l'expiration d'une période de cinq années consécutives au titre desquelles l'entreprise n'a pas bénéficié du crédit d'impôt et à condition qu'il n'existe aucun lien de dépendance au sens du 12 de l'article 39 entre cette entreprise et une autre entreprise ayant bénéficié du crédit d'impôt au cours de la même période de cinq années. (...) ".

8. Après avoir relevé que l'administration avait constaté que les relations unissant la société requérante avec ses prestataires étaient définies par des stipulations contractuelles imprécises et dont il n'était pas démontré qu'elles avaient été effectivement exécutées, que rien n'établissait que les vingt prototypes présentés dans le cadre des opérations de contrôle avaient effectivement été confectionnés par ces prestataires, que le droit de visite exercé par l'administration dans les locaux de la société avait révélé qu'aucun document justificatif de son activité ne s'y trouvait, que le bureau de style sollicité ne disposait pas des moyens humains pour réaliser l'ensemble des modèles commandés par ses différents clients et que la société avait déclaré un chiffre d'affaires de seulement 3 000 euros environ au titre des exercices clos en 2010 et 2011, la cour a pu, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, estimer que l'administration fiscale établissait que les factures établies par le bureau de style, au demeurant non détaillées et jamais acquittées, fondant la demande de restitution du crédit d'impôt-recherche en litige, présentaient un caractère fictif.

Sur les pénalités :

9. Le moyen contestant le bien-fondé des pénalités, soulevé par voie de conséquence des autres moyens, ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions du pourvoi de la société Trade Invest doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Trade Invest est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Trade Invest et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Frédéric Aladjidi, M. Bertrand Dacosta, présidents de chambre ; Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. François Weil, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 20 mai 2022.



La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam


ECLI:FR:CECHR:2022:446817.20220520
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