CAA de MARSEILLE, 9ème chambre, 03/05/2022, 20MA03438, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de l'Hérault a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2019 par lequel le maire de la commune de Corneilhan a délivré un permis de construire modificatif à M. A... C....

Par un jugement n° 1906220 du 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté du 3 juillet 2019 du maire de Corneilhan.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 septembre 2020 et par un mémoire complémentaire enregistré le 2 janvier 2022, M. C..., représenté par Me Diot, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 juillet 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter le déféré du préfet de l'Hérault ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Il soutient que :
- le permis de construire modificatif en litige ne méconnaît pas le plan local d'urbanisme de la commune (PLU), dès lors que le règlement n'interdit pas le changement de destination d'une partie accessoire d'un bâtiment à vocation agricole autorisé par la délivrance d'un permis de construire initial ;
- les orientations du projet d'aménagement et de développement durable (PADD) approuvé le 26 octobre 2016 du plan local d'urbanisme, que le maire devait prendre en compte lors de l'instruction de sa demande, recommandent le soutien à l'activité agricole en permettant notamment aux exploitants de maintenir et de développer leur activité sur le territoire communal ;
- le projet litigieux ne modifie pas l'économie générale du permis initial ;
- en tout état de cause, la régularisation des travaux en litige est possible, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet, dès lors qu'elle n'implique pas un bouleversement de nature à changer la nature du projet.


Par deux mémoires en défense enregistrés les 2 mars 2021 et 24 janvier 2022, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.


Par un mémoire en défense enregistré le 23 décembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


La présidente de la Cour a décidé, par décision du 24 août 2021, de désigner M. Portail, président assesseur, pour statuer dans les conditions prévues à l'article R. 222-26 du code de justice administrative.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me Dech, représentant M. C....





Considérant ce qui suit :


1. Le maire de la commune de Corneilhan a délivré, par arrêté du 6 juillet 2015, à M. C..., exploitant agricole, un permis de construire pour la réalisation d'un hangar agricole de stockage de matériel sur les parcelles cadastrées section AP n° 132, 133, 134, 141 et 142, d'une superficie totale de 15 262 m², situées Chemin de la Chartreuse et classées en zone AO du plan local d'urbanisme de Corneilhan. Par l'arrêté en litige du 3 juillet 2019, le maire a délivré à M. C... un permis de construire modificatif pour régulariser des travaux entrepris en juillet 2018 par le requérant sans autorisation. Le préfet de l'Hérault, après avoir demandé en vain au maire de Corneilhan de retirer pour illégalité ce permis de construire modificatif, a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de cette autorisation modificative. Par le jugement dont M. C... relève appel, les premiers juges ont annulé cet arrêté du 3 juillet 2019 du maire de Corneilhan.


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :


2. Pour annuler le permis de construire modificatif en litige, les premiers juges ont estimé que le permis de construire modificatif en litige méconnaissait les articles 1.1 et 1.2 du règlement du PLU de la commune et que l'ampleur des modifications projetées modifiait l'économie générale du projet et exigeait ainsi le dépôt d'une nouvelle demande de permis de construire.


3. Il ressort du dossier de demande de permis de construire modificatif déposé par M. C... que le projet en litige prévoit, sur le hangar agricole d'une surface de 1 055 m² autorisé en 2015 par le permis de construire initial, d'affecter une surface de 356 m² de ce hangar à destination d'habitation et de créer une extension de 87 m², soit une surface de plancher totale d'habitation de 443 m², ainsi que la création de dix ouvertures.


4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 151-11-du code de l'urbanisme : " I. - Dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, le règlement peut : (...) 2° Désigner, en dehors des secteurs mentionnés à l'article L. 151-13, les bâtiments qui peuvent faire l'objet d'un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. ". Aux termes de l'article L. 151-12 de ce code : " Dans les zones agricoles, naturelles ou forestières et en dehors des secteurs mentionnés à l'article L. 151-13, les bâtiments d'habitation existants peuvent faire l'objet d'extensions ou d'annexes, dès lors que ces extensions ou annexes ne compromettent pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. Le règlement précise la zone d'implantation et les conditions de hauteur, d'emprise et de densité de ces extensions ou annexes permettant d'assurer leur insertion dans l'environnement et leur compatibilité avec le maintien du caractère naturel, agricole ou forestier de la zone (...). " L'article R. 151-22 du même code prévoit que : " Les zones agricoles sont dites " zones A ". Peuvent être classés en zone agricole les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles. ".


5. Le caractère de la zone AO du plan local d'urbanisme de la commune de Corneilhan approuvé le 27 mai 2019, où se situe le terrain d'assiette de la modification en litige, prévoit que ce secteur AO correspond aux secteurs à protéger en raison du potentiel agronomique ou économique des terres agricoles, mais également pour leur grande valeur paysagère, dans laquelle toute nouvelle construction est strictement interdite, à l'exception des locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. L'article 1.1 du règlement de la zone autorise en toutes zones notamment la réalisation d'une extension ou d'une annexe d'un bâtiment d'habitation existant, dès lors que cette extension et/ou annexe ne compromettent pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site, dans la limite d'une seule extension pour une augmentation maximum de 20 % de la surface de plancher existante sans toutefois excéder 130 m² d'emprise au sol. Il précise que l'annexe à créer devra être accolée au bâtiment habitation existant et sa surface au sol ne devra pas être supérieure à 20 % de la surface au sol du bâtiment d'habitation mesurée à la date d'approbation du PLU dans la limite de 10 m² d'emprise au sol sans création de logement supplémentaire. L'article 1.2 de ce règlement interdit en toutes zones tout nouveau logement. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, éclairées par les orientations du PADD de la commune, que, si les logements existants peuvent faire l'objet d'une extension ou recevoir une annexe sous certaines conditions, aucune nouvelle construction à usage d'habitation ne peut être autorisée dans tous les secteurs de la zone agricole de la commune et que nécessairement, eu égard à l'objectif de protection renforcée de ces terres agricoles présentant un fort intérêt paysager poursuivi par les auteurs du plan local d'urbanisme, qui n'ont pas fait usage du 2° de l'article L. 151-11-I du code de l'urbanisme, tout changement de destination d'un bâtiment exclusivement agricole en bâtiment d'habitation est aussi interdit quelle que soit la surface concernée par le changement de destination. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que son projet de transformation du hangar agricole autorisé en 2015, qui ne modifie selon lui la destination que de la moitié de la surface de ce bâtiment agricole et qui prévoit une extension limitée à 87 m², soit 8 % de l'emprise totale du hangar existant, respecterait le règlement du PLU de la commune. La circonstance, à la supposer même établie, que le requérant ne disposerait pas de locaux destinés à son habitation à proximité de ses terres, que son activité de maraîcher et de viticulteur exigerait sa présence quotidienne sur son exploitation et que son projet n'affecterait ni la qualité du site ni la vocation agricole de ses terres est sans incidence sur la légalité de la décision en litige. Par suite, les premiers juges ont estimé à bon droit que le permis de construire modificatif litigieux méconnaissait les articles 1.1 et 1.2 du règlement du PLU de la commune.

6. En deuxième lieu, un permis de construire modificatif ne peut être délivré que si, d'une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés et si, d'autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale. A ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'elles fassent l'objet d'un permis modificatif.

7. La modification de la vocation du hangar autorisé destiné à abriter du matériel agricole en une vaste habitation d'une surface de plancher totale de 443 m² modifie la conception générale du projet initial qui est affecté dans sa totalité. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que M. C... était tenu de déposer un nouveau permis de construire.



8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ". Il résulte de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.


9. A supposer même que le requérant puisse être regardé comme demandant à la Cour de sursoir à statuer en application des dispositions précitées, la circonstance qu'il invoque selon laquelle la régularisation du permis de construire en litige pourrait intervenir au motif que la commune a lancé, par délibération du conseil municipal du 7 octobre 2021, une procédure de révision, d'une durée estimée à deux ans, de son plan local d'urbanisme afin notamment de modifier le règlement de la zone AO pour permettre aux agriculteurs installés dans la commune de construire leur logement en zone AO, n'est pas de nature à faire regarder le projet litigieux comme entrant dans le champ d'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, dès lors qu'à la date où la Cour statue, le règlement du PLU de la commune ne permet pas de régulariser les travaux litigieux qui méconnaissent le règlement du PLU de la commune ainsi qu'il a été dit au point 5 et que cette modification apporte au permis initial un bouleversement tel qu'il en change la nature même ainsi qu'il a été dit au point 7.


10. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a, pour les deux motifs précités, annulé l'arrêté du 3 juillet 2019 par lequel le maire de la commune de Corneilhan lui a délivré un permis de construire modificatif.


Sur les frais liés au litige :


11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.



D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à la ministre de la transition écologique, au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au préfet de l'Hérault.
Copie en sera adressée à la commune de Corneilhan


Délibéré après l'audience du 19 avril 2022, où siégeaient :

- M. Portail, président par intérim, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carassic, première conseillère,
- M. Mouret, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2022.




2
N° 20MA03438



Retourner en haut de la page