CAA de PARIS, 3ème chambre, 21/04/2022, 21PA04379, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 avril 2021 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2109986/5-2 du 16 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2021, Mme D..., représentée par Me Harir, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 23 avril 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du préfet de police n'est pas suffisamment motivé ;
- sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'erreurs de fait, dès lors d'une part qu'elle n'a pas sollicité la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour " étudiant en recherche d'emploi ", mais le renouvellement de son titre de séjour " étudiant " et, d'autre part, qu'elle n'a pas vécu en Tunisie jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans mais a quitté ce pays à l'âge de dix-neuf ans pour étudier en Roumanie ;
- le préfet de police a méconnu les dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle progresse dans un cursus étudiant cohérent et dispose de ressources suffisantes ;
- l'arrêté du préfet porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en raison de la durée de sa résidence sur le territoire français, de son intégration professionnelle et de ses liens personnels et familiaux ; il viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- cette décision n'est pas suffisamment motivée.


Par un mémoire enregistré le 11 février 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 31 décembre 2002 modifiant et complétant l'arrêté du 27 décembre 1983 fixant le régime des bourses accordées aux étrangers boursiers du Gouvernement français ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.



Considérant ce qui suit :


1. Mme D..., ressortissante tunisienne née le 31 mars 1990, est entrée en France le 8 novembre 2015. Par un arrêté du 23 avril 2021, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... demande à la cour d'annuler le jugement du 16 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " I. - La carte de séjour temporaire accordée à l'étranger qui établit qu'il suit en France un enseignement ou qu'il y fait des études et qui justifie qu'il dispose de moyens d'existence suffisants porte la mention "étudiant". (...) ". Le renouvellement de cette carte est subordonné, notamment, à la justification par son titulaire de la réalité et du sérieux des études qu'il a déclaré accomplir. L'article R. 313-7 du même code dispose, dans sa version alors en vigueur : " Pour l'application du I de l'article L. 313-7, l'étranger qui demande la carte de séjour portant la mention "étudiant" doit présenter (...) les pièces suivantes : 1° La justification qu'il dispose de moyens d'existence, correspondant au moins au montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année universitaire écoulée, aux boursiers du Gouvernement français (...) ". L'article 1er de l'arrêté du 31 décembre 2002 susvisé a fixé ce montant à 615 euros par mois.

3. D'une part, il est constant que Mme D... a obtenu en 2015, avant son entrée sur le territoire français, un diplôme de pharmacienne délivré par l'université de médecine et pharmacie Victor Babes de Timisoara, en Roumanie. Elle a ensuite souhaité diversifier sa formation et s'est inscrite en 2015-2016 en master de management de l'innovation à l'université Pierre et Marie Curie, dont elle a validé tous les modules, puis elle a poursuivi ses études à l'école Ionis School of Technology and Management et obtenu, en 2019, un master 2 en management des biotechnologies. Enfin, elle s'est inscrite, au titre des années 2019-2020 et 2020-2021, en master spécialisé " Economie et gestion de la santé " au sein du Conservatoire national des arts et métiers, formation dans le cadre de laquelle elle a effectué un stage à compter du 15 avril 2021. Dans ces conditions, comme l'ont relevé les premiers juges, la requérante démontre la réalité, la cohérence et la progression des études qu'impliquent, pour le renouvellement d'un titre de séjour portant la mention " étudiant ", les dispositions précitées de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. D'autre part, Mme D... justifie, par la production en appel de ses relevés de compte bancaire depuis 2018, avoir perçu au cours de l'année universitaire écoulée une somme supérieure à 615 euros mensuels, généralement de 1 000 euros par mois, versée par sa sœur et son beau-frère chirurgien-dentiste, qui, en outre, l'hébergent à titre gratuit comme en attestent les pièces du dossier. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir qu'elle remplit la condition de ressources posée par les dispositions précitées de l'article R. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 avril 2021 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination, et par suite à demander l'annulation de ce jugement ainsi que dudit arrêté.


Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement que l'administration procède à un nouvel examen de la demande de renouvellement de titre de séjour en qualité d'étudiant de Mme D..., au regard notamment des circonstances de fait intervenues depuis l'édiction de l'arrêté du 23 avril 2021. Il y a lieu, par suite, d'ordonner au préfet de police de réexaminer la situation de l'intéressée, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.


Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros à Mme D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2109986/5-2 du 16 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris, ainsi que l'arrêté du 23 avril 2021 par lequel le préfet de police a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme D..., l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'État versera à Mme D... la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 avril 2022.
La rapporteure,
G. B...La présidente,
M. C...Le greffier,
É. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04379 2



Retourner en haut de la page