Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 12/04/2022, 456068

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 456069, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 27 août, 15 octobre et 27 décembre 2021 et le 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Education demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-825 du 28 juin 2021 modifiant le décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " (REP+) et " Réseau d'éducation prioritaire " (REP) ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 456068, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 27 août, 15 octobre et 27 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'UNSA Education demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 juin 2021 modifiant l'arrêté du 28 août 2015 fixant les taux annuels en application du décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire " ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



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3° Sous le n° 456072, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 août, 15 octobre et 27 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'UNSA Education demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 30 juin 2021 relative à la revalorisation du régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant du programme Réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+) et des inspecteurs de l'éducation nationale chargés du pilotage et de la coordination de ces réseaux ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 ;
- l'arrêté du 28 août 2015 fixant les taux annuels en application du décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Union nationale des syndicats autonomes - Éducation ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers que le décret du 28 août 2015 a institué une indemnité de sujétions forfaitaire en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant du programme " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " (REP+), destiné à favoriser la réussite scolaire des élèves qui vivent dans des quartiers ou secteurs isolés connaissant les plus grandes concentrations de difficultés sociales, ou du programme " Réseau d'éducation prioritaire " (REP), qui poursuit le même objectif dans des zones géographiques connaissant de moindres difficultés sociales. Dans la rédaction de ce décret issue du décret du 4 janvier 2019, cette indemnité est versée chaque année aux personnels enseignants, aux conseillers principaux d'éducation, aux personnels de direction, aux personnels administratifs et techniques, aux psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et apprentissage " ainsi qu'aux personnels sociaux et de santé qui exercent dans l'un de ces établissements. Pour les seuls agents exerçant dans des établissements relevant du programme REP+, le décret attaqué du 28 juin 2021 a ajouté à cette part fixe une part modulable attribuée sur la base d'objectifs collectifs d'engagement professionnel fixés au niveau national. Le décret prévoit, d'une part, que le montant de cette part modulable est déterminé, par école ou par établissement, par le recteur d'académie pour chaque agent et, d'autre part, que le montant maximal de la part modulable de l'indemnité de sujétions est fixé par un arrêté conjoint des ministres chargés de l'éducation nationale, de la fonction publique et du budget. L'arrêté interministériel du 28 juin 2021 prévoit ainsi que le montant maximal de la part modulable s'élève à 702 euros, tout en revalorisant le montant de sa part fixe, pour les personnels éligibles à l'indemnité de sujétions au titre de leurs fonctions en REP+, à hauteur de 5 114 euros. Pour les personnels exerçant dans des établissements relevant du programme REP, le montant de l'indemnité de sujétions demeure fixé à la somme de 1 734 euros en application de l'arrêté interministériel du 28 août 2015. Par une circulaire du 30 juin 2021, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a précisé les modalités d'application de la part modulable de l'indemnité de sujétions en définissant les objectifs collectifs d'engagement professionnel ainsi que leurs critères d'évaluation, en déterminant un montant minimal et un montant intermédiaire du niveau de la part modulable et en fixant une répartition entre les trois niveaux d'indemnité ainsi définis.

2. Par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre, l'UNSA Éducation demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret et de l'arrêté du 28 juin 2021 ainsi que de la circulaire du 30 juin 2021. Eu égard aux moyens soulevés, le syndicat requérant doit être regardé comme n'en demandant l'annulation qu'en ce qui concerne leurs dispositions applicables aux personnels autres que les inspecteurs d'académie.

Sur les conclusions dirigées contre le décret du 28 juin 2021 :

3. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

4. Il ressort des pièces des dossiers que l'indemnité de sujétions a pour objet d'encourager et de valoriser l'engagement des personnels œuvrant dans les établissements relevant des programmes de l'éducation prioritaire et que ces programmes d'éducation prioritaire s'adressent aux établissements confrontés à un nombre significatif d'élèves en proie à des difficultés sociales, ceux relevant du programme REP+ connaissant les plus grandes concentrations de difficultés sociales. Dans ces conditions, au regard de l'objet de l'indemnité en cause et des conditions d'exercice des fonctions des bénéficiaires, le pouvoir réglementaire a pu légalement traiter différemment les personnels exerçant dans une école ou établissement relevant du programme REP+ de ceux exerçant dans les écoles ou établissements relevant du programme REP, qui sont dans une situation différente, et prévoir, seulement pour les premiers, qu'une part modulable de l'indemnité de sujétions, attribuée sur la base d'objectifs collectifs d'engagement professionnel, s'ajoute à la part forfaitaire de cette indemnité, allouée à l'ensemble des personnels éligibles, dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec leur différence de situation et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la part modulable de l'indemnité pour le programme REP+ est attribuée au regard d'objectifs collectifs d'engagement professionnel fixés au niveau national, mis en œuvre par établissement et évalués par le recteur. La circonstance que le montant de la part modulable de l'indemnité soit déterminé par le recteur d'académie par école ou par établissement pour tous les agents éligibles qui y exercent n'entache pas le décret attaqué d'illégalité.

6. En troisième lieu, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe qu'une indemnité comme celle en cause ne pourrait comporter une part modulable. En outre, dès lors que le décret attaqué prévoit que cette part est attribuée par le recteur d'académie sur la base d'objectifs fixés au niveau national, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation faute d'avoir suffisamment précisé les critères d'attribution de cette part modulable.

7. En quatrième lieu, en prévoyant, à son article 6, que les parts modulables versées au titre de l'année scolaire 2021-2022 sont déterminées sur la base des indicateurs d'engagement professionnel évalués du 1er juillet au 31 décembre 2021, le décret attaqué, qui est entré en vigueur le 1er juillet 2021, n'a pas été édicté en méconnaissance du principe de sécurité juridique et n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'UNSA Education n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 juin 2021.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 28 juin 2021 :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'UNSA Éducation n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 28 juin 2021 devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation du décret sur le fondement duquel il a été pris.

10. En second lieu, il ressort des pièces des dossiers que l'arrêté attaqué a fixé, sur le fondement de l'article 2 du décret du 28 août 2015, le taux annuel de la part fixe de l'indemnité de sujétions des personnels exerçant dans une école ou un établissement relevant d'un programme REP+ à 5 114 euros, et le montant maximal de la part modulable de cette indemnité à 702 euros, soit un montant susceptible de représenter 12 % du montant total de l'indemnité de sujétions.

11. Contrairement à ce qui est soutenu, les projets annuels de performance annexés aux lois de finances ont un caractère purement budgétaire et ne sauraient être utilement invoqués à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir. En fixant comme il l'a fait le niveau de la part fixe et le plafond de part modulable de l'indemnité de sujétions allouée aux personnels exerçant dans des écoles ou établissements relevant d'un programme REP+ , l'arrêté attaqué n'est entaché ni de violation de la loi, ni d'erreur manifeste d'appréciation.

12. Il résulte de ce qui précède que l'UNSA Education n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 juin 2021.

Sur les conclusions dirigées contre la circulaire du 30 juin 2021 :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 8 et 12 que l'UNSA Éducation n'est pas fondée à soutenir que la circulaire du 30 juin 2021 devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation du décret et de l'arrêté du 28 juin 2021.

14. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du décret du 28 août 2015 que l'attribution de l'indemnité de sujétions en cause n'a pas le caractère d'un avantage statutaire. Le décret du 28 août 2015 détermine les bénéficiaires de cette indemnité et certaines des conditions de son attribution et de son versement, prévoit qu'elle comporte, pour les personnels servant dans une école ou établissement relevant du programme REP+, une part fixe et une part modulable et renvoie à un arrêté interministériel le soin de déterminer le taux annuel de la part fixe et le montant maximal de la part modulable. Il revient au ministre de l'éducation nationale, dans l'exercice de ses prérogatives d'organisation des services placés sous son autorité, d'établir, dans le respect des règles fixées par le décret et l'arrêté du 28 août 2015, la réglementation applicable au versement de cette indemnité au sein de son administration.

15. Il ressort des pièces des dossiers que la circulaire du 30 juin 2021 a, d'une part, fixé un montant minimal de part modulable de l'indemnité de sujétions, s'élevant à 200 euros, et un montant intermédiaire, correspondant à la somme de 360 euros et, d'autre part, prévu que " afin d'assurer une répartition homogène sur tout le territoire entre les trois niveaux d'indemnité et de respecter les enveloppes budgétaires, la détermination du niveau de la part modulable devra respecter la répartition suivante : 25 % au plus des agents concernés de l'académie recevront une part modulable de 600 euros ; 50 % des agents concernés recevront 360 euros ; au moins 25 % des agents concernés recevront 200 euros ". En outre, elle a défini les objectifs collectifs d'engagement professionnel et les critères de leur évaluation par le recteur d'académie chargé d'attribuer la part modulable de l'indemnité de sujétions à chaque école ou établissement éligible. Il appartenait, ainsi qu'il a été dit au point précédent, au ministre de l'éducation nationale, compétent au titre de ses prérogatives d'organisation des services placés sous son autorité, de fixer de telles modalités d'application des règles relatives à l'attribution de l'indemnité de sujétions fixées par le décret et l'arrêté du 28 août 2015, modifiés par le décret et l'arrêté du 28 juin 2021. Par suite le moyen tiré de ce que cette circulaire serait entachée d'incompétence doit être écarté.

16. En troisième lieu, si le syndicat requérant fait aussi valoir que la circulaire méconnaîtrait le principe d'égalité, en réitérant les critiques adressées à ce titre au décret du 28 juin 2021, il ressort des pièces des dossiers que la circulaire se borne à préciser les modalités d'application du régime indemnitaire institué par le décret attaqué. Il s'ensuit que, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés à propos du décret, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité par la circulaire attaquée ne peut qu'être écarté.

17. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 11, la requérante ne saurait se prévaloir des projets annuels de performance annexés aux lois de finances pour contester la détermination des niveaux de part modulable ainsi que leur répartition. En ajoutant au montant maximal de part modulable un montant minimal et un montant intermédiaire, et en fixant une répartition entre ces trois niveaux, sans reprendre précisément les montants mentionnés dans ces documents budgétaires, la circulaire attaquée n'est entachée ni de violation de la loi, ni d'erreur manifeste d'appréciation.

18. En dernier lieu, il ressort des pièces des dossiers que le pouvoir réglementaire a entendu, par la valorisation, sur le plan indemnitaire, de l'investissement de l'ensemble des agents exerçant dans des écoles et établissements relevant d'un programme REP+, inciter au renforcement du travail collectif des agents exerçant dans les écoles et établissements concernés. L'UNSA Éducation n'est pas fondée à soutenir que la circulaire, en fixant des objectifs collectifs d'engagement professionnel tenant à l'amélioration de la qualité du climat scolaire, au déploiement de dispositifs transversaux et à la mise en œuvre de temps de travail en commun, évalués au regard notamment de la mise en œuvre de plans de prévention, du développement de projets et de collaborations ou de l'élaboration de plans de formation, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

19. Il résulte de ce qui précède que l'UNSA Education n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 30 juin 2021.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de l'UNSA Education doivent être rejetées, y compris en ce qu'elles comportent des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes n° 456068, n° 456069 et n° 456072 de l'UNSA Éducation sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des syndicats autonomes Education, au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.


Délibéré à l'issue de la séance du 18 mars 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... O..., Mme F... N..., présidentes de chambre ; M. L... I..., Mme K... M..., Mme C... H..., M. D... J..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.


Rendu le 12 avril 2022.


Le président :
Signé : M. P... B...
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Fraval
La secrétaire :
Signé : Mme E... G...

ECLI:FR:CECHR:2022:456068.20220412
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