CAA de VERSAILLES, 2ème chambre, 11/04/2022, 20VE03265
CAA de VERSAILLES, 2ème chambre, 11/04/2022, 20VE03265
CAA de VERSAILLES - 2ème chambre
- N° 20VE03265
- Non publié au bulletin
Lecture du
lundi
11 avril 2022
- Président
- M. EVEN
- Rapporteur
- Mme Eugénie ORIO
- Avocat(s)
- SELARL GOSSEMENT AVOCATS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et quatre mémoires complémentaires, enregistrés le 16 décembre 2020, le 12 octobre 2021, le 21 janvier 2022, le 17 février 2022 et 2 mars 2022, la société Combray Energie, représentée par Me Gossement, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler l'arrêté de la préfète d'Eure-et-Loir du 15 octobre 2020 portant refus de délivrance de l'autorisation environnementale sollicitée pour l'édification d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent dénommée " Parc éolien Vallée de la Thironne " ;
2° d'annuler la décision implicite de refus de cette demande d'autorisation environnementale, susceptible d'être née de l'absence de décision explicite par application de l'article R. 181-42 du code de l'environnement ;
3° de délivrer l'autorisation environnementale demandée ;
4° d'enjoindre à la préfète d'Eure- et-Loir de fixer les conditions d'exploitation de ladite autorisation, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
5° à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète d'Eure-et-Loir de délivrer, ou de statuer à nouveau sur l'autorisation demandée, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
6° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La Société Combray Energie soutient que :
- l'arrêté préfectoral contesté est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'exigence de protection des paysages au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement ne s'applique pas au patrimoine immatériel, c'est-à-dire à des paysages simplement évoqués par des écrivains ;
- la protection induite par un secteur patrimonial remarquable institué sur le fondement de l'article L. 631-1 du code du patrimoine ne s'applique pas à des espaces situés à l'extérieur de son périmètre ;
- le projet de parc éolien de la vallée de la Thironne, qui est limité réduit de quatre éoliennes, n'entraîne aucune atteinte significative sur le paysage et le patrimoine du site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ;
- la zone d'implantation du projet est extérieure au site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ;
- les éoliennes ne seront visibles que partiellement et indirectement depuis des lieux se situant pour certains en marge de ce site patrimonial remarquable ;
- le projet n'est pas incompatible avec les actions menées en faveur de l'œuvre de Marcel Proust ;
- la présence d'un itinéraire touristique constitué autour de l'œuvre de Marcel Proust, qui ne fait l'objet d'aucun classement particulier, ne constitue pas une contrainte suffisante pour refuser de délivrer une autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien ;
- le parc éolien de Marchéville, dont la légalité a été contrôlée par le juge administratif, est déjà implanté au nord du site à une distance inférieure à 5 kilomètres ;
- l'arrêté préfectoral contesté est entaché d'une erreur d'appréciation ;
- l'article L. 511-1 du code de l'environnement ne permet pas de refuser une autorisation pour absence de besoins énergétiques du territoire en raison de la présence d'éoliennes existantes ;
- l'analyse du dossier de photomontages, qui démontre la légalité du parc éolien de la vallée de la Thironne, n'est pas remise en cause par la partie adverse.
Par deux interventions et des mémoires complémentaires enregistrées le 29 juin 2021, le 22 novembre 2021, le 27 janvier 2022 et le 1er mars 2022 l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (Adert) et la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray, représentées par Me Monamy, avocat, demandent à la cour de rejeter la requête de la société Combray Energie.
Elles font valoir que :
- leur intervention est recevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Combray Energie ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2022, le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Combray Energie ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, ratifiée par l'article 56 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ferjoux, substituant Me Gossement, pour la société Combray Energie, et de Me Monamy, pour les intervenants en défense.
Considérant ce qui suit :
1. La société Combray Energie a, après avoir réalisé diverses mesures d'information et de concertation à destination des acteurs locaux, sollicité une autorisation environnementale auprès de la préfète d'Eure-et-Loir, le 28 mars 2019, pour l'installation de 12 éoliennes d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres, ainsi que 4 postes de livraison électrique, à environ 5 km au sud-ouest du village d'Illiers-Combray, sur un site du territoire des trois communes rurales de Méréglise, Vieuvicq et Montigny-le-Chartif, qu'elle a dénommé " Parc éolien de la vallée de la Thironne ". A l'issue de l'enquête publique, qui s'est tenue du 20 novembre 2019 au 4 janvier 2020, le commissaire enquêteur a adressé son rapport assorti d'un avis défavorable à la préfète, qui l'a transmis au pétitionnaire par courriel le 19 février 2020. La société requérante a alors indiqué à la préfecture qu'elle retirait de son projet les 4 éoliennes situées sur la commune de Méréglise en raison de l'opposition exprimée par cette collectivité, mais qu'elle maintenait le reste de son projet. Par un arrêté du 15 octobre 2020, la préfète d'Eure-et-Loir a rejeté cette demande d'autorisation en se fondant sur l'article L. 181-3 du code de l'environnement en raison de l'atteinte aux paysages et au patrimoine culturel protégé.
Sur la recevabilité de l'intervention collective de l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (ADERT) et de la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray :
2. L'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (ADERT) et de la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray tiennent respectivement des articles 3 et 5 de leurs statuts, qui disposent que l'ADERT a pour objet, sur le territoire des communes de Méréglise, Vieuvicq et Montigny-le-Chartif (Eure-et-Loir), " la protection du patrimoine culturel et des paysages, contre toutes les atteintes entre autres par l'implantation d'éoliennes " et que cette société a pour objet d' " 5) organiser (...) des visites des lieux décrits par Marcel Proust, notamment à Illiers-Combray ", un intérêt au maintien de la décision attaquée. Par ailleurs, les présidents de ces deux associations, MM. Houdas et Bastianelli, tiennent respectivement des articles 12 et 11 de leurs statuts le pouvoir de les représenter en justice. Ainsi, l'intervention collective présentée par ces associations est recevable.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral contesté :
3. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code dans sa version applicable : " " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.(...) ".
4. En premier lieu, si l'arrêté en litige est motivé en droit par la seule référence à l'article L. 181-3 du code de l'environnement au terme duquel l'autorisation ne peut être accordée que si les dangers ou inconvénients de l'installation peuvent être prévenus par des mesures que spécifie cette décision, ladite disposition renvoie expressément à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui mentionne notamment la protection des paysages. Il est par ailleurs constant que l'arrêté est motivé en fait par l'impact caractérisé de l'implantation de ce projet de parc éolien sur les paysages et le patrimoine culturel protégés, en raison de la hauteur de ces éoliennes, qui seraient visibles depuis plusieurs lieux situés sur la commune d'Illiers-Combray, laquelle a été classée comme un site patrimonial littéraire (SPR) institué dans un but de prévention paysagère, pour protéger l'église et l'ancien château classé au titre des monuments historiques, ainsi que la vue caractéristique du clocher émergeant du plateau beauceron et de la vallée du Loir, et des jardins préservés en amont et en aval du village, dans le cadre d'une approche élargie du paysage répondant aux descriptions de ce village évoquées dans l'œuvre de Marcel Proust, ce qui fait de cette protection patrimoniale une protection paysagère, architecturale et littéraire, les pouvoirs publics s'attachant depuis des années à préserver et valoriser ce site par des actions de protection du patrimoine, par la création de sentiers de cheminement illustrant l'œuvre de Marcel Proust, et par l'organisation d'évènements dans le cadre du printemps proustien. Par suite, le moyen invoqué par la société requérante tiré de ce que la motivation trop générale de l'arrêté contesté ne lui permettrait pas d'identifier à quelle règle la préfète d'Eure-et-Loir a entendu se référer doit être écarté.
5. En second lieu, il résulte de l'article L. 511-1 du code de l'environnement précité que l'exigence de protection des paysages induite par ces dispositions, qui est définie de façon très large peut conduire à refuser une autorisation d'implantation d'éoliennes afin de préserver un paysage présentant une composante immatérielle liée à son évocation au sein d'une œuvre littéraire reconnue. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage au sens de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée puis d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
6. La société requérante fait valoir, d'une part, que le projet en litige s'intègre dans un paysage de plateaux agricoles sans un intérêt paysager particulier, avec un léger relief, des écrans végétaux, qui est partiellement artificialisé en raison de la présence d'infrastructures ferroviaires et routières et de silos à céréales. Il n'est toutefois pas contesté que la partie du village d'Illiers-Combray située à l'ouest en direction de la zone d'implantation projetée, a été classée comme un site patrimonial remarquable (SPR) en application de l'article L. 631-1 du code du patrimoine, qui a le caractère d'une servitude d'utilité publique affectant l'utilisation des sols et a pour objet de protéger, conserver, et mettre en valeur son patrimoine culturel et notamment, en l'espèce, l'esthétique du bourg et de son clocher, ainsi que le parcours pédestre de découverte de plusieurs sites liés à la vie ou à l'œuvre de Marcel Proust. En outre, le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin romantique à l'anglaise du Pré Catelan situé à proximité près du Loir, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, font l'objet d'un classement au titre des monuments historiques.
7. La société requérante estime par ailleurs que son projet n'a pas un impact significatif sur le paysage ou le patrimoine du site patrimonial remarquable (SPR) de la commune d'Illiers-Combray, dès lors que les éoliennes seront largement dissimulées par le relief et des bosquets, des vues ponctuelles ne suffisant pas à caractériser une atteinte. S'il est constant que la zone d'implantation du projet se situe à l'extérieur de ce SPR, il ressort des pièces du dossier, et notamment des photomontages réalisés par les parties, que ces éoliennes, si elles étaient installées, seraient très clairement visibles depuis certains lieux se situant au sein du périmètre de ce site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ou à sa périphérie, notamment à l'entrée du village depuis la route départementale 921, à plusieurs endroits des circuits pédestres qui serpentent à l'intérieur ou à l'extérieur de ce site, et en particulier depuis le hameau de Tansonville, aux abords du moulin de la Ronce, et sur l'itinéraire du sentier du côté de Méséglise et à Méréglise, dans le prolongement du clocher de l'église. Marcel Proust a décrit la plupart de ces lieux, où il passait des vacances lorsqu'il était enfant, dans la première partie de son roman " Du côté de chez Swann ", intitulée " Combray ", publié en 1913. Ce lien qui existe entre ce paysage et l'œuvre de Marcel Proust est à l'origine de l'avis négatif de l'architecte des bâtiments de France, des maires d'Illiers-Combray et de Méréglise et du commissaire enquêteur.
8. Eu-égard à l'ensemble de ces éléments, à la configuration des lieux, à la taille des éoliennes projetées, et à ces enjeux de co-visibilité, la réalisation du projet de parc éolien de la vallée de la Thironne risquerait de porter une atteinte significative non seulement à deux monuments historiques, mais aussi au site remarquable classé et à l'intérêt paysager et patrimonial du village d'Illiers-Combray, où des acteurs publics et privés réalisent des actions culturelles autour de l'œuvre de Marcel Proust, dont les évocations littéraires sont encore pour partie matériellement inscrites dans ces lieux. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète d'Eure-et-Loir aurait commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en refusant l'autorisation sollicitée ne peut qu'être écarté.
9. Enfin, si l'arrêté mentionne également à titre superfétatoire que ce projet se situe sur un territoire qui contribue au développement des énergies renouvelables avec l'implantation de parcs éoliens permettant d'alimenter en électricité un bassin de 20 000 habitants, cette circonstance qui ne constitue pas une méconnaissance de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Combray Energie tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de Loir-et-Cher du 15 octobre 2020 refusant de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée doit être rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions de l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (ADERT) et de la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray sont admises.
Article 2 : La requête présentée par la société Combray Energie est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Combray Energie, à la ministre de la transition écologique, à l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (Adert) et à la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray.
Copie pour information en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir, à la commune de Vieuvicq, à la commune de Montigny-le-Chartif et à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Centre Val de Loire.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Colrat, première conseillère,
M. Frémont, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2022.
Le président-rapporteur,
B. EVENL'assesseure,
S. COLRATLa greffière,
A. GAUTHIERLa République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 20VE03265
Par une requête et quatre mémoires complémentaires, enregistrés le 16 décembre 2020, le 12 octobre 2021, le 21 janvier 2022, le 17 février 2022 et 2 mars 2022, la société Combray Energie, représentée par Me Gossement, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler l'arrêté de la préfète d'Eure-et-Loir du 15 octobre 2020 portant refus de délivrance de l'autorisation environnementale sollicitée pour l'édification d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent dénommée " Parc éolien Vallée de la Thironne " ;
2° d'annuler la décision implicite de refus de cette demande d'autorisation environnementale, susceptible d'être née de l'absence de décision explicite par application de l'article R. 181-42 du code de l'environnement ;
3° de délivrer l'autorisation environnementale demandée ;
4° d'enjoindre à la préfète d'Eure- et-Loir de fixer les conditions d'exploitation de ladite autorisation, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
5° à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète d'Eure-et-Loir de délivrer, ou de statuer à nouveau sur l'autorisation demandée, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
6° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La Société Combray Energie soutient que :
- l'arrêté préfectoral contesté est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'exigence de protection des paysages au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement ne s'applique pas au patrimoine immatériel, c'est-à-dire à des paysages simplement évoqués par des écrivains ;
- la protection induite par un secteur patrimonial remarquable institué sur le fondement de l'article L. 631-1 du code du patrimoine ne s'applique pas à des espaces situés à l'extérieur de son périmètre ;
- le projet de parc éolien de la vallée de la Thironne, qui est limité réduit de quatre éoliennes, n'entraîne aucune atteinte significative sur le paysage et le patrimoine du site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ;
- la zone d'implantation du projet est extérieure au site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ;
- les éoliennes ne seront visibles que partiellement et indirectement depuis des lieux se situant pour certains en marge de ce site patrimonial remarquable ;
- le projet n'est pas incompatible avec les actions menées en faveur de l'œuvre de Marcel Proust ;
- la présence d'un itinéraire touristique constitué autour de l'œuvre de Marcel Proust, qui ne fait l'objet d'aucun classement particulier, ne constitue pas une contrainte suffisante pour refuser de délivrer une autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien ;
- le parc éolien de Marchéville, dont la légalité a été contrôlée par le juge administratif, est déjà implanté au nord du site à une distance inférieure à 5 kilomètres ;
- l'arrêté préfectoral contesté est entaché d'une erreur d'appréciation ;
- l'article L. 511-1 du code de l'environnement ne permet pas de refuser une autorisation pour absence de besoins énergétiques du territoire en raison de la présence d'éoliennes existantes ;
- l'analyse du dossier de photomontages, qui démontre la légalité du parc éolien de la vallée de la Thironne, n'est pas remise en cause par la partie adverse.
Par deux interventions et des mémoires complémentaires enregistrées le 29 juin 2021, le 22 novembre 2021, le 27 janvier 2022 et le 1er mars 2022 l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (Adert) et la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray, représentées par Me Monamy, avocat, demandent à la cour de rejeter la requête de la société Combray Energie.
Elles font valoir que :
- leur intervention est recevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Combray Energie ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2022, le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Combray Energie ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, ratifiée par l'article 56 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ferjoux, substituant Me Gossement, pour la société Combray Energie, et de Me Monamy, pour les intervenants en défense.
Considérant ce qui suit :
1. La société Combray Energie a, après avoir réalisé diverses mesures d'information et de concertation à destination des acteurs locaux, sollicité une autorisation environnementale auprès de la préfète d'Eure-et-Loir, le 28 mars 2019, pour l'installation de 12 éoliennes d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres, ainsi que 4 postes de livraison électrique, à environ 5 km au sud-ouest du village d'Illiers-Combray, sur un site du territoire des trois communes rurales de Méréglise, Vieuvicq et Montigny-le-Chartif, qu'elle a dénommé " Parc éolien de la vallée de la Thironne ". A l'issue de l'enquête publique, qui s'est tenue du 20 novembre 2019 au 4 janvier 2020, le commissaire enquêteur a adressé son rapport assorti d'un avis défavorable à la préfète, qui l'a transmis au pétitionnaire par courriel le 19 février 2020. La société requérante a alors indiqué à la préfecture qu'elle retirait de son projet les 4 éoliennes situées sur la commune de Méréglise en raison de l'opposition exprimée par cette collectivité, mais qu'elle maintenait le reste de son projet. Par un arrêté du 15 octobre 2020, la préfète d'Eure-et-Loir a rejeté cette demande d'autorisation en se fondant sur l'article L. 181-3 du code de l'environnement en raison de l'atteinte aux paysages et au patrimoine culturel protégé.
Sur la recevabilité de l'intervention collective de l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (ADERT) et de la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray :
2. L'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (ADERT) et de la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray tiennent respectivement des articles 3 et 5 de leurs statuts, qui disposent que l'ADERT a pour objet, sur le territoire des communes de Méréglise, Vieuvicq et Montigny-le-Chartif (Eure-et-Loir), " la protection du patrimoine culturel et des paysages, contre toutes les atteintes entre autres par l'implantation d'éoliennes " et que cette société a pour objet d' " 5) organiser (...) des visites des lieux décrits par Marcel Proust, notamment à Illiers-Combray ", un intérêt au maintien de la décision attaquée. Par ailleurs, les présidents de ces deux associations, MM. Houdas et Bastianelli, tiennent respectivement des articles 12 et 11 de leurs statuts le pouvoir de les représenter en justice. Ainsi, l'intervention collective présentée par ces associations est recevable.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral contesté :
3. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code dans sa version applicable : " " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.(...) ".
4. En premier lieu, si l'arrêté en litige est motivé en droit par la seule référence à l'article L. 181-3 du code de l'environnement au terme duquel l'autorisation ne peut être accordée que si les dangers ou inconvénients de l'installation peuvent être prévenus par des mesures que spécifie cette décision, ladite disposition renvoie expressément à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui mentionne notamment la protection des paysages. Il est par ailleurs constant que l'arrêté est motivé en fait par l'impact caractérisé de l'implantation de ce projet de parc éolien sur les paysages et le patrimoine culturel protégés, en raison de la hauteur de ces éoliennes, qui seraient visibles depuis plusieurs lieux situés sur la commune d'Illiers-Combray, laquelle a été classée comme un site patrimonial littéraire (SPR) institué dans un but de prévention paysagère, pour protéger l'église et l'ancien château classé au titre des monuments historiques, ainsi que la vue caractéristique du clocher émergeant du plateau beauceron et de la vallée du Loir, et des jardins préservés en amont et en aval du village, dans le cadre d'une approche élargie du paysage répondant aux descriptions de ce village évoquées dans l'œuvre de Marcel Proust, ce qui fait de cette protection patrimoniale une protection paysagère, architecturale et littéraire, les pouvoirs publics s'attachant depuis des années à préserver et valoriser ce site par des actions de protection du patrimoine, par la création de sentiers de cheminement illustrant l'œuvre de Marcel Proust, et par l'organisation d'évènements dans le cadre du printemps proustien. Par suite, le moyen invoqué par la société requérante tiré de ce que la motivation trop générale de l'arrêté contesté ne lui permettrait pas d'identifier à quelle règle la préfète d'Eure-et-Loir a entendu se référer doit être écarté.
5. En second lieu, il résulte de l'article L. 511-1 du code de l'environnement précité que l'exigence de protection des paysages induite par ces dispositions, qui est définie de façon très large peut conduire à refuser une autorisation d'implantation d'éoliennes afin de préserver un paysage présentant une composante immatérielle liée à son évocation au sein d'une œuvre littéraire reconnue. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage au sens de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée puis d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
6. La société requérante fait valoir, d'une part, que le projet en litige s'intègre dans un paysage de plateaux agricoles sans un intérêt paysager particulier, avec un léger relief, des écrans végétaux, qui est partiellement artificialisé en raison de la présence d'infrastructures ferroviaires et routières et de silos à céréales. Il n'est toutefois pas contesté que la partie du village d'Illiers-Combray située à l'ouest en direction de la zone d'implantation projetée, a été classée comme un site patrimonial remarquable (SPR) en application de l'article L. 631-1 du code du patrimoine, qui a le caractère d'une servitude d'utilité publique affectant l'utilisation des sols et a pour objet de protéger, conserver, et mettre en valeur son patrimoine culturel et notamment, en l'espèce, l'esthétique du bourg et de son clocher, ainsi que le parcours pédestre de découverte de plusieurs sites liés à la vie ou à l'œuvre de Marcel Proust. En outre, le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin romantique à l'anglaise du Pré Catelan situé à proximité près du Loir, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, font l'objet d'un classement au titre des monuments historiques.
7. La société requérante estime par ailleurs que son projet n'a pas un impact significatif sur le paysage ou le patrimoine du site patrimonial remarquable (SPR) de la commune d'Illiers-Combray, dès lors que les éoliennes seront largement dissimulées par le relief et des bosquets, des vues ponctuelles ne suffisant pas à caractériser une atteinte. S'il est constant que la zone d'implantation du projet se situe à l'extérieur de ce SPR, il ressort des pièces du dossier, et notamment des photomontages réalisés par les parties, que ces éoliennes, si elles étaient installées, seraient très clairement visibles depuis certains lieux se situant au sein du périmètre de ce site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ou à sa périphérie, notamment à l'entrée du village depuis la route départementale 921, à plusieurs endroits des circuits pédestres qui serpentent à l'intérieur ou à l'extérieur de ce site, et en particulier depuis le hameau de Tansonville, aux abords du moulin de la Ronce, et sur l'itinéraire du sentier du côté de Méséglise et à Méréglise, dans le prolongement du clocher de l'église. Marcel Proust a décrit la plupart de ces lieux, où il passait des vacances lorsqu'il était enfant, dans la première partie de son roman " Du côté de chez Swann ", intitulée " Combray ", publié en 1913. Ce lien qui existe entre ce paysage et l'œuvre de Marcel Proust est à l'origine de l'avis négatif de l'architecte des bâtiments de France, des maires d'Illiers-Combray et de Méréglise et du commissaire enquêteur.
8. Eu-égard à l'ensemble de ces éléments, à la configuration des lieux, à la taille des éoliennes projetées, et à ces enjeux de co-visibilité, la réalisation du projet de parc éolien de la vallée de la Thironne risquerait de porter une atteinte significative non seulement à deux monuments historiques, mais aussi au site remarquable classé et à l'intérêt paysager et patrimonial du village d'Illiers-Combray, où des acteurs publics et privés réalisent des actions culturelles autour de l'œuvre de Marcel Proust, dont les évocations littéraires sont encore pour partie matériellement inscrites dans ces lieux. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète d'Eure-et-Loir aurait commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en refusant l'autorisation sollicitée ne peut qu'être écarté.
9. Enfin, si l'arrêté mentionne également à titre superfétatoire que ce projet se situe sur un territoire qui contribue au développement des énergies renouvelables avec l'implantation de parcs éoliens permettant d'alimenter en électricité un bassin de 20 000 habitants, cette circonstance qui ne constitue pas une méconnaissance de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Combray Energie tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de Loir-et-Cher du 15 octobre 2020 refusant de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée doit être rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions de l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (ADERT) et de la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray sont admises.
Article 2 : La requête présentée par la société Combray Energie est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Combray Energie, à la ministre de la transition écologique, à l'association de défense de l'environnement des riverains de la Thironne (Adert) et à la société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray.
Copie pour information en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir, à la commune de Vieuvicq, à la commune de Montigny-le-Chartif et à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Centre Val de Loire.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Colrat, première conseillère,
M. Frémont, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2022.
Le président-rapporteur,
B. EVENL'assesseure,
S. COLRATLa greffière,
A. GAUTHIERLa République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 20VE03265