CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 28/03/2022, 20MA04810, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2020 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2004354 du 26 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I.- Par une requête enregistrée le 27 décembre 2020 sous le numéro 20MA04810, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 25 juin 2021, M. B..., représenté par Me Cacciapaglia, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales ;

3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Orientales, sous astreinte de 100 euros par jour de retard de lui délivrer le titre demandé, ou, à défaut de réexaminer sa demande et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ;
- le préfet n'a pas procédé à l'examen particulier de sa situation ;
- son comportement n'est pas à l'origine d'un trouble à l'ordre public ;
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste au regard de sa situation personnelle ;
- il méconnaît l'article 4 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle méconnaît les articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 janvier et le 2 juin 2021, le préfet des Pyrénées-Orientales conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- les moyens soulevés par M. B... après l'expiration du délai de recours ne sont pas recevables ;
- ils ne sont pas fondés.


Par une intervention, enregistrée le 20 janvier 2021, Mme E... A... demande à la cour de faire droit aux conclusions de la requête de M. B....

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 février 2021.


II.- Par une requête enregistrée le 26 janvier 2021 sous le numéro 21MA00369, M. B..., représenté par Me Cacciapaglia, demande à la cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 26 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 7 septembre 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué l'expose à des conséquences difficilement réparables ;
- l'arrêté contesté est entaché d'erreur manifeste au regard de sa situation personnelle ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.


Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2021, le préfet des Pyrénées-Orientales conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
La demande d'aide juridictionnelle de M. B... a été rejetée par une décision de caducité du 26 mars 2021.
La présidente de la cour a désigné M. Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Mérenne a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 7 septembre 2020, le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de renouveler le titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office. M. B... fait appel du jugement du 26 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 septembre 2020. Il en demande également le sursis à exécution.

2. Les requêtes de M. B... sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer sur celles-ci par le présent arrêt.

Sur l'intervention de Mme A... :

3. Il résulte de l'article R. 811-7 du code de justice administrative d'appel que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés par un avocat ou un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. L'intervention de Mme A..., qui n'est pas présentée par l'intermédiaire d'un mandataire, est irrecevable. Elle ne peut être admise.

Sur l'absence de menace pour l'ordre public :

4. M. B... apporte des éléments nouveaux en appel pour contester le motif, opposé par l'arrêté du 7 septembre 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales, tiré de ce que sa présence en France serait constitutive d'un trouble à l'ordre public. En premier lieu, il ressort des décisions rendues par le tribunal pour enfants F... D... que le placement des trois enfants de M. B..., nés en 2015, 2016 et 2017 de l'union avec une ressortissante française, a été décidé en raison des troubles de santé de leur mère, qui en avait la garde, et non, comme le soutient le préfet, en raison de violences conjugales et familiales que M. B... aurait commises. En deuxième lieu, les pièces du dossier remettent en cause la véracité des déclarations de sa compagne (ou ex-compagne) sur l'existence de violences conjugales. Il est d'ailleurs constant que M. B... n'a pas été pénalement condamné pour de tels faits, alors que celle-ci a été condamnée pour des faits de violence à son égard par deux jugements du tribunal correctionnel de D... des 11 mars 2019 et 13 janvier 2020. En troisième lieu, le préfet des Pyrénées-Orientales ne conteste pas que la procédure de flagrant délit engagée pour recel de vol concerne en réalité l'achat d'un objet ultérieurement reconnu volé via un site de petites annonces. En quatrième lieu, pour regrettables qu'ils soient, les propos outranciers à caractère racial tenus par M. B... lors d'une altercation avec les services de l'aide sociale à l'enfance du département des Pyrénées-Orientales ne suffisent pas pour caractériser une menace à l'ordre public. Il suit de là que le préfet des Pyrénées-Orientales a inexactement qualifié les faits de l'espèce en considérant que la présence en France de M. B... constituait une menace pour l'ordre public.

Sur l'atteinte au droit de mener une vie privée et familiale normale :
5. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

6. M. B..., ressortissant sénégalais né en 1989, a résidé en France de 2011 à 2016 sous couvert d'un titre étudiant, de 2016 à 2017 sous couvert d'un titre entrepreneur/profession libérale, et de 2017 à 2019 sous couvert d'un titre " vie privée et familiale " délivré en qualité de parent d'enfant français. Il exerce une activité de formateur en comptabilité-gestion. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il est le père de trois enfants, nés en 2015, 2016 et 2017 de l'union avec une ressortissante française, qui était en outre enceinte d'un quatrième enfant à la date de l'arrêté contesté. Les mesures d'assistance éducative ordonnées par le tribunal pour enfants F... D... ont eu pour effet de confier l'entretien et l'éducation des enfants à un tiers. Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif de Montpellier, au point 6 du jugement attaqué, M. B... ne peut être regardé comme contribuant effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants à proportion de ses ressources, au sens de l'article 371-2 du code civil. En revanche, M. B... reste titulaire de l'autorité parentale, conformément aux articles 371-1 et 375-7 du code civil. Les mesures d'assistance éducative lui reconnaissent un droit de visite et d'hébergement, qu'il exerce effectivement. Elles ont une vocation temporaire. La relation affective qu'il a nouée avec ses enfants est réelle. Il suit de là qu'en refusant de renouveler la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dont M. B... était titulaire, l'arrêté contesté a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, citées au point 5.
7. Contrairement à ce que soutient le préfet des Pyrénées-Orientales, les deux moyens retenus ci-dessus, qui ne relèvent pas d'une cause juridique nouvelle, ne sont pas irrecevables en appel.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. L'arrêté du 7 septembre 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales doit en conséquence être annulé.

Sur l'injonction :

9. L'annulation de l'arrêté du 7 septembre 2020 implique nécessairement, compte tenu des motifs qui précèdent, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. B.... Il convient, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Orientales de délivrer ce titre dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur la demande de sursis à statuer :

10. Par le présent arrêt, la cour statue au fond sur la requête de M. B... dirigée contre le jugement du 26 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêté du 7 septembre 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales. Par suite, les conclusions tendant et à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont sans objet.

Sur les frais liés au litige :
11. D'une part, M. B... n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, l'avocat de M. B... n'a pas demandé le versement de la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.



D É C I D E :



Article 1er : L'intervention de Mme A... n'est pas admise.
Article 2 : Le jugement du 26 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêté du 7 septembre 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Pyrénées-Orientales de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le numéro 21MA00369.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me Cacciapaglia et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet des Pyrénées-Orientales.


Délibéré après l'audience du 14 mars 2022, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Mérenne, premier conseiller,
- Mme Balaresque, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2022.
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Nos 20MA04810 - 21MA00369



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