Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 24/03/2022, 449826

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 5 octobre 2020, le juge commissaire du tribunal judiciaire de Toulouse a sursis à statuer sur l'action en revendication de propriété de la commune de Toulouse et lui a enjoint de saisir le tribunal administratif de Toulouse afin qu'il définisse la qualification juridique des conventions conclues entre elle et l'association La Photographie au Château d'eau (PACE) pour l'exploitation de la galerie du Château d'eau, ainsi que des œuvres et biens composant le fonds photographique et documentaire constitué par l'association dans ce cadre. La commune de Toulouse a demandé au tribunal administratif de Toulouse de qualifier les conventions conclues entre la commune et l'association entre 1985 et 2019 de délégations de service public et de qualifier les fonds photographique et documentaire constitués par l'association dans le cadre de ces conventions comme des biens de retour appartenant à la commune de Toulouse.

Par un jugement n° 2005649 du 2 février 2021, le tribunal a déclaré que les conventions conclues les 11 janvier 1985 et 4 mai 1987 sont des marchés publics, que les conventions conclues les 5 janvier 1998, 6 janvier 2003 et 29 janvier 2008 ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013 sont des conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions et a dit qu'il n'était pas en mesure de répondre à la question préjudicielle relative à la nature publique ou privée des biens dont il est demandé revendication devant le juge commissaire du tribunal judiciaire de Toulouse.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 février, 4 mars, 23 juin et 15 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Toulouse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'association PACE la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code de la commande publique ;
- le code des marchés publics ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Toulouse et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de l'association La Photographie au Château d'eau ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mars 2022, présentée par l'association La Photographie au Château d'eau ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 18 mai 1978, le conseil municipal de Toulouse a décidé de créer, à la galerie du Château d'eau, un musée de la photographie ayant pour objet l'organisation d'expositions d'œuvres photographiques et la constitution et l'exploitation d'un fonds d'œuvres photographiques. Après avoir assuré directement l'exploitation de ce musée, la commune de Toulouse en a confié la gestion à l'association pour la Photographie au Château d'eau (PACE) à compter du 1er janvier 1985 dans le cadre de plusieurs conventions successives. Par un jugement du tribunal de grande instance de Toulouse du 29 novembre 2019, l'association PACE a été placée en procédure de sauvegarde judiciaire, convertie en procédure de redressement judiciaire par jugement de ce même tribunal du 14 février 2020. Par une ordonnance du 5 octobre 2020, le juge commissaire du tribunal judiciaire de Toulouse a sursis à statuer sur la requête en revendication de propriété des fonds photographique et documentaire ainsi que des œuvres exposées dans la galerie présentée par la commune de Toulouse sur le fondement de l'article L. 624-9 du code de commerce et lui a enjoint de saisir la juridiction compétente aux fins de qualification juridique, d'une part, des conventions conclues entre elle et l'association PACE et, d'autre part, des biens revendiqués. Par un jugement du 2 février 2021, contre lequel la commune de Toulouse se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Toulouse, saisi de la question préjudicielle, a, d'une part, qualifié les conventions conclues les 11 janvier 1985 et 4 mars 1987 de marchés publics et les conventions conclues les 5 janvier 1998, 6 janvier 2003 et 29 janvier 2008, ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013, de conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions et, d'autre part, a dit qu'il n'était pas en mesure de répondre à la question préjudicielle relative à la nature publique ou privée des biens en litige.

2. D'une part, en vertu des dispositions du code des marchés publics en vigueur à la date des différentes conventions et reprises à l'article L. 1111-1 du code de la commande publique, un marché public est un contrat conclu par une personne publique pour répondre à ses besoins en matière de travaux de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent. D'autre part, il résulte du droit applicable aux dates des différentes conventions litigieuses, repris en substance à l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales et à l'article L. 1121-1 du code de la commande publique, qu'une délégation de service public est un contrat par lequel une collectivité territoriale confie la gestion d'un service public à un opérateur économique auquel est transféré un risque lié à l'exploitation du service, en contrepartie du droit d'exploiter ce service, éventuellement assorti d'un prix. Dans l'un et l'autre cas, ainsi que le prévoit aujourd'hui l'article L. 2 du code de la commande publique, ces contrats sont conclus pour répondre aux besoins de la personne publique.
3. Aux termes de l'article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. / Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent ". Comme le rappelle l'article L. 1100-1 du code de la commande publique, de telles subventions ne peuvent être regardées comme des contrats de commande publique.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment des stipulations de l'ensemble des conventions que, si la commune de Toulouse a apporté des soutiens financiers significatifs et quantitativement importants à son cocontractant, celui-ci a toujours conservé un risque lié à l'exploitation de la galerie, son équilibre financier n'étant pas garanti par les sommes apportées par la commune. L'association a ainsi supporté les aléas de la gestion du musée et a subi des pertes d'exploitation ayant conduit à son placement en procédure de redressement judicaire. Il s'ensuit qu'en jugeant que les conventions conclues entre celle-ci et la commune ne lui transféraient pas un risque d'exploitation et en en déduisant qu'elles ne constituaient pas des délégations de service public, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. Son jugement doit, par suite, être annulé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la qualification des conventions en cause :

6. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment des stipulations des conventions signées entre la commune de Toulouse et l'association PACE entre 1985 et 2019, que ces contrats ont eu pour objet de confier à l'association l'exploitation d'un musée de la photographie créé à l'initiative de la commune et dont elle avait assuré directement la gestion de 1978 à 1985, qu'elle a ensuite reprise à compter du 1er janvier 2020. L'association PACE a assuré cette exploitation sous le contrôle de la commune de Toulouse, qui a défini ses missions et objectifs en cohérence avec ceux de la politique culturelle municipale, veillé à ce que l'action et la communication de la galerie s'opèrent en coordination étroite avec les services de la commune et conditionné ses soutiens matériels et financiers à la production régulière de comptes rendus d'activité et états financiers. La commune a ainsi confié la gestion d'un service public muséal à l'association PACE. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'association a supporté un risque d'exploitation en assurant la gestion du musée de la photographie pour le compte de la commune de Toulouse. Il s'ensuit que les conventions conclues entre la commune et l'association PACE doivent être qualifiée de délégation de service public.

Sur la qualification des fonds photographique et documentaire :

7. Aux termes de l'article L. 3132-4 du code de la commande publique qui reprend les principes applicables avant son entrée en vigueur : " Lorsqu'une autorité concédante de droit public a conclu un contrat de concession de travaux ou a concédé la gestion d'un service public :/ 1° Les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d'investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public sont les biens de retour. Dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition (...) ".

8. Il résulte de l'instruction que les fonds photographique et documentaire dont la propriété est revendiquée par la commune de Toulouse ont été constitués pour les besoins de l'exploitation du musée de la photographie établi au sein de la galerie du Château d'eau, et notamment aux fins de réaliser des expositions ouvertes au public. Ils sont par suite nécessaires au fonctionnement de ce service public au sens des dispositions citées au point précédent. Il suit de là qu'ils constituent des biens de retour, qui sont et demeurent la propriété de la commune de Toulouse en vertu des mêmes dispositions.

Sur les frais de l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association PACE la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Toulouse qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 2 février 2021 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : Il est déclaré que les conventions signées de 1983 à 2019 entre la commune de Toulouse et l'association PACE pour l'exploitation du musée de la photographie établi au sein de la galerie du Château d'Eau ont le caractère de délégations de service public et que, par voie de conséquence, les fonds photographique et documentaire constitués dans le cadre de cette exploitation constituent des biens de retour, qui sont la propriété de la commune de Toulouse.
Article 3 : L'association Photographie au Château d'Eau versera la somme de 4 500 euros à la commune de Toulouse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l'association Photographie au Château d'Eau présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Toulouse, à l'association Photographie au Château d'Eau et au tribunal judiciaire de Toulouse.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mars 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. D... L..., Mme A... J..., M. C... G..., M. E... K..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

Rendu le 24 mars 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Alexis Goin
La secrétaire :
Signé : Mme F... B...

ECLI:FR:CECHR:2022:449826.20220324
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