CAA de VERSAILLES, 2ème chambre, 11/03/2022, 20VE02622, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2019 par lequel la préfète du Cher a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1904505 du 15 septembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 15 octobre 2020, M. A..., représenté par Me Olibé, avocate, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Cher ;

3°) d'enjoindre au préfet du Cher de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la décision de refus de séjour est entachée d'un vice de procédure au regard de l'article R.312-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'a pas été convoqué à la réunion de la commission du titre de séjour et que le préfet ne lui a pas communiqué cet avis ;
- elle est entachée d'une erreur de droit faute de consultation de la DIRECCTE ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1968 modifié et de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fremont,
- et les observations de Me Olibé pour M. A....


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien, né le 16 aout 1968 à Tataouine, qui a déclaré être entré en France le 16 avril 2002 muni d'un visa court séjour, a sollicité le 23 mai 2019 son admission au séjour en qualité de salarié en invoquant le bénéfice des dispositions énoncées par l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 29 novembre 2019, le préfet du Cher a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français, dans le délai de trente jours, et a fixé le pays de destination. M. A... fait appel du jugement du 15 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...). ". Si l'article 3 précité de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant en obtenir ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire français, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Il en va différemment du ressortissant tunisien qui demande son admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale sur le fondement des dispositions de cet article L. 313-14, s'agissant d'un point non traité par l'accord. En outre, en application du second alinéa de l'article 11 de l'accord franco-tunisien, les conditions de délivrance d'un tel titre de séjour à un ressortissant tunisien sont celles prévues par les dispositions de l'article L. 313-14 et, notamment, de son deuxième alinéa qui prévoit l'obligation, pour l'autorité administrative, de soumettre pour avis à la commission du titre de séjour la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par un étranger justifiant d'une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans.

3. D'autre part aux termes de l'article R. 312-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Devant la commission, l'étranger fait valoir les motifs qu'il invoque à l'appui de sa demande d'octroi ou de renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant ses explications est transmis au préfet avec l'avis motivé de la commission. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé. ". Il résulte de ces dispositions que l'avis motivé de la commission doit être transmis à l'intéressé et au préfet avant que ce dernier ne statue sur la demande dont il a été saisi ; qu'une telle communication constitue une garantie instituée au profit de l'étranger qui doit connaître le sens et les motifs de l'avis de la commission avant que le préfet ne prenne sa décision.

4. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... ayant présenté une demande de titre de séjour fondée, notamment, sur les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et résidant en France depuis dix-sept ans, le préfet du Cher a consulté la commission du titre de séjour. Celle-ci s'est réunie le 23 octobre 2019 et, audition de l'intéressé, a rendu un avis défavorable en relevant en particulier qu'il a présenté sa demande de titre de séjour 17 ans après son entrée en France, qu'il a travaillé irrégulièrement pour des boulangeries, qu'il a présenté des bulletins de salaire avec des contrats à durée indéterminée à temps partiel pour les périodes comprises entre le 11 janvier 2016 et le 31 octobre 2017, puis du 26 septembre 2018 à aujourd'hui, qu'il est actuellement employé dans une boulangerie à Bourges, qu'il est hébergé par des membres de sa famille et qu'il envoie régulièrement de l'argent à sa femme restée en Tunisie avec ses enfants. La commission a conclu de ces circonstances que l'intégration de M. A... était insuffisamment démontrée alors que l'essentiel de sa vie privée et familiale se situe en Tunisie. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux que le préfet du Cher a tenu compte de l'avis défavorable de cette commission, dont il s'est approprié les motifs, pour décider de rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. A.... Toutefois, ainsi que le soutient le requérant en appel, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Cher lui aurait communiqué cet avis, ni sa teneur avant d'édicter l'arrêté litigieux, le préfet se bornant à se prévaloir en défense de la circonstance que le contenu de cet avis est rappelé dans l'arrêté litigieux. Il ressort des pièces du dossier que le défaut de communication à M. A..., dans les conditions prévues par les dispositions susvisées de l'article R. 312-8 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, du sens et des motifs susvisés de l'avis de la commission du titre de séjour a été de nature à le priver d'une garantie dès lors qu'il n'a pas pu produire devant le préfet tous les documents de nature à justifier sa demande de titre de séjour, compte tenu du sens de l'avis et de ses motifs. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 312-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être accueilli.

6. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 novembre 2019 par lequel le préfet du Cher a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

8. Eu égard au moyen d'annulation retenu au point 5, le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet du Cher de prendre à nouveau une décision sur la demande de titre de séjour présentée par M. A..., après une nouvelle instruction, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu en l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.





Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 15 septembre 2020 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet du Cher du 29 novembre 2019 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Cher de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour sollicité par M. A..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

3
2
N° 20VE02622



Retourner en haut de la page