CAA de NANTES, 3ème chambre, 11/03/2022, 21NT02559, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANTES, 3ème chambre, 11/03/2022, 21NT02559, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANTES - 3ème chambre
- N° 21NT02559
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
11 mars 2022
- Président
- Mme BRISSON
- Rapporteur
- M. Xavier CATROUX
- Avocat(s)
- CHAUMETTE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2018 par lequel le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré.
Par un jugement no 2001198 du 18 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 septembre et 20 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Chaumette, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 février 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 800 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire, dès lors qu'il a relevé qu'il n'expliquait pas la raison pour laquelle le jugement comporte uniquement les nom et prénom des parents, sans indication de leur profession, domicile, date de naissance ou âge, alors que la requête devant le juge guinéen a été présentée par le père et que lesdites mentions figurent sur ce jugement s'agissant des témoins ;
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de fait et d'une erreur d'appréciation s'agissant de la valeur probante des documents d'état civil produits et du caractère établi de son identité ;
- elle méconnaît l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du même code ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du même code ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour prive de base légale la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 décembre 2021, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Chaumette, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen, né le 3 mars 2000, est entré en France en octobre 2016 selon ses déclarations. Par une ordonnance du 2 juin 2017, le juge aux affaires familiales chargé des tutelles du tribunal de grande instance de Nantes a ouvert sa tutelle et l'a confié à l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire-Atlantique. M. B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-11, 7°, L. 313-15 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 22 novembre 2018, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département a pris à son encontre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. Par un arrêté du 22 novembre 2018, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département a rejeté cette demande. M. B... relève appel du jugement du 18 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 novembre 2018 :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
3. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
4. Au cas présent, pour justifier de son âge et de son identité, M. B... a produit un extrait d'acte de naissance n° 316 dressé le 10 mars 2000, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 1er août 2017 par le tribunal de première instance de Conakry III Mafanco, un extrait du registre de transcription du 4 août 2017 et une carte consulaire. Il est constant que l'extrait d'acte de naissance du requérant ne revêt pas de valeur probante. Ce dernier soutient qu'il a, pour cette raison, fait des démarches pour obtenir un acte de naissance revêtu d'authenticité et que c'est dans ce cadre qu'a été rendu le jugement supplétif. En outre, le préfet n'établit pas et il ne ressort pas des pièces du dossier que les actes de naissance établis suivant des jugements supplétifs doivent être dressés en conformité avec l'article 175 du code civil guinéen. De plus, la circonstance relevée par l'administration que le jugement supplétif et l'acte de transcription dans les registres de l'état civil méconnaîtraient l'article 180 du même code civil guinéen ne permet pas, à elle seule, d'établir le caractère frauduleux de ce jugement, dont les mentions sont les mêmes que celles qui figurent sur sa retranscription ; dès lors, l'état civil du requérant doit être regardé comme établi. Par suite, le refus de titre en litige est entaché d'une erreur d'appréciation s'agissant de l'identité et de l'âge de ce dernier.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et
2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".
6. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de
" salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance à compter du 2 juin 2017. Il n'est ni établi, ni même allégué que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public. Il a suivi, à compter du 2 septembre 2017, une formation en chaudronnerie industrielle. S'il a rencontré des difficultés, notamment en français, au cours de sa scolarité de CAP, ses professeurs et ses formateurs ont souligné ses efforts et son sérieux. Au demeurant, il a obtenu ce CAP en juillet 2019. S'il ressort également des pièces du dossier que M. B... a de la famille proche en Guinée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il conserverait des liens avec elle. Dans ces conditions, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique a, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la situation de l'intéressé prise dans sa globalité, en particulier, des éléments favorables sur son intégration dans la société française, entaché son refus de titre de séjour, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une erreur manifeste d'appréciation.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 novembre 2018 ainsi que, par voie de conséquence de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de celle fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
9. Le présent arrêt implique, eu égard au motif qui le fonde, que le préfet de la Loire-Atlantique délivre à M. B... une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions désormais applicables de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 200 euros à Me Chaumette, avocate de M. B..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement no 2001198 du 18 février 2021 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 22 novembre 2018 pris à l'encontre de M. B... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de délivrer à M. B... une carte de séjour, sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Chaumette une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département.
Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. L'hirondel, premier conseiller,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.
Le rapporteur,
X. CatrouxLa présidente,
C. Brisson
La greffière,
A Martin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N°21NT02559
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2018 par lequel le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré.
Par un jugement no 2001198 du 18 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 septembre et 20 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Chaumette, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 février 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 800 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire, dès lors qu'il a relevé qu'il n'expliquait pas la raison pour laquelle le jugement comporte uniquement les nom et prénom des parents, sans indication de leur profession, domicile, date de naissance ou âge, alors que la requête devant le juge guinéen a été présentée par le père et que lesdites mentions figurent sur ce jugement s'agissant des témoins ;
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de fait et d'une erreur d'appréciation s'agissant de la valeur probante des documents d'état civil produits et du caractère établi de son identité ;
- elle méconnaît l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du même code ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du même code ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour prive de base légale la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 décembre 2021, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Chaumette, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen, né le 3 mars 2000, est entré en France en octobre 2016 selon ses déclarations. Par une ordonnance du 2 juin 2017, le juge aux affaires familiales chargé des tutelles du tribunal de grande instance de Nantes a ouvert sa tutelle et l'a confié à l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire-Atlantique. M. B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-11, 7°, L. 313-15 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 22 novembre 2018, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département a pris à son encontre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. Par un arrêté du 22 novembre 2018, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département a rejeté cette demande. M. B... relève appel du jugement du 18 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 novembre 2018 :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
3. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
4. Au cas présent, pour justifier de son âge et de son identité, M. B... a produit un extrait d'acte de naissance n° 316 dressé le 10 mars 2000, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 1er août 2017 par le tribunal de première instance de Conakry III Mafanco, un extrait du registre de transcription du 4 août 2017 et une carte consulaire. Il est constant que l'extrait d'acte de naissance du requérant ne revêt pas de valeur probante. Ce dernier soutient qu'il a, pour cette raison, fait des démarches pour obtenir un acte de naissance revêtu d'authenticité et que c'est dans ce cadre qu'a été rendu le jugement supplétif. En outre, le préfet n'établit pas et il ne ressort pas des pièces du dossier que les actes de naissance établis suivant des jugements supplétifs doivent être dressés en conformité avec l'article 175 du code civil guinéen. De plus, la circonstance relevée par l'administration que le jugement supplétif et l'acte de transcription dans les registres de l'état civil méconnaîtraient l'article 180 du même code civil guinéen ne permet pas, à elle seule, d'établir le caractère frauduleux de ce jugement, dont les mentions sont les mêmes que celles qui figurent sur sa retranscription ; dès lors, l'état civil du requérant doit être regardé comme établi. Par suite, le refus de titre en litige est entaché d'une erreur d'appréciation s'agissant de l'identité et de l'âge de ce dernier.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et
2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".
6. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de
" salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance à compter du 2 juin 2017. Il n'est ni établi, ni même allégué que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public. Il a suivi, à compter du 2 septembre 2017, une formation en chaudronnerie industrielle. S'il a rencontré des difficultés, notamment en français, au cours de sa scolarité de CAP, ses professeurs et ses formateurs ont souligné ses efforts et son sérieux. Au demeurant, il a obtenu ce CAP en juillet 2019. S'il ressort également des pièces du dossier que M. B... a de la famille proche en Guinée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il conserverait des liens avec elle. Dans ces conditions, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique a, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la situation de l'intéressé prise dans sa globalité, en particulier, des éléments favorables sur son intégration dans la société française, entaché son refus de titre de séjour, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une erreur manifeste d'appréciation.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 novembre 2018 ainsi que, par voie de conséquence de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de celle fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
9. Le présent arrêt implique, eu égard au motif qui le fonde, que le préfet de la Loire-Atlantique délivre à M. B... une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions désormais applicables de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 200 euros à Me Chaumette, avocate de M. B..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement no 2001198 du 18 février 2021 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 22 novembre 2018 pris à l'encontre de M. B... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de délivrer à M. B... une carte de séjour, sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Chaumette une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique chargé de l'administration de l'État dans le département.
Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. L'hirondel, premier conseiller,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.
Le rapporteur,
X. CatrouxLa présidente,
C. Brisson
La greffière,
A Martin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°21NT02559