CAA de LYON, 1ère chambre, 22/02/2022, 21LY01006, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le maire de la Verpillière a délivré un permis de construire un ensemble de quarante-cinq logements à la société 6ème sens promotion, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux.

Par un jugement n° 1903772 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté du 19 février 2019 et la décision de rejet du recours gracieux.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 mars 2021, la société 6ème sens promotion, représentée par Me Nguyen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 janvier 2021 ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. et Mme B... ;
3°) à titre subsidiaire de faire application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :
4°) de mettre à la charge des intimés la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable, en l'absence d'intérêt pour agir des intimés ;
- le projet n'est pas incompatible avec l'orientation d'aménagement et de programmation (OAP) du centre-ville du futur plan local d'urbanisme (PLU) ;
- le non-respect des dispositions du règlement du futur PLU, sur des points limités, n'est pas tel que l'exécution de ce futur PLU serait compromise ; en délivrant le permis, pour un projet tenant compte des constructions avoisinantes, le maire de La Verpillière n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, dans l'application des dispositions de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme ;
- le projet est susceptible de régularisation, sans que la nature même du projet ne soit modifiée, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ;
- aucun des autres moyens soulevés par les intimés n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 20 mai 2021, M. A... B... et Mme C... B... concluent au rejet de la requête.

Par courrier du 28 mai 2021, la cour a demandé à M. et Mme B... de régulariser leur mémoire en le présentant par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 du code de justice administrative.

La clôture de l'instruction a été fixée au 18 novembre 2021, par une ordonnance en date du 18 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,
- les observations de Me Nguyen pour la société 6ème Sens Promotion ;
Considérant ce qui suit :
1. La société 6ème Sens Promotion a déposé le 13 novembre 2018 une demande de permis de construire un ensemble de bâtiments comprenant quarante-cinq logements, après démolition des garages et de petits bâtiments existants, sur un terrain d'une superficie totale de 3 723 m2 situé chemin du premier Gua, sur le territoire de la commune de La Verpillière. Par arrêté du 19 février 2019, délivré après avis conforme du préfet de l'Isère, la commune étant soumise au règlement national d'urbanisme, le maire de la commune a délivré le permis sollicité. Par un jugement du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ce permis de construire, à la demande de M. et Mme B.... La société 6ème sens promotion relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité du mémoire en défense de M. et Mme B... :

2. Les écritures de M. et Mme B... n'ont pas été présentées par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 du code de justice administrative, comme l'impose l'article R. 811-7 du même code, bien que les intéressés aient été informés de l'obligation de recourir à l'un de ces mandataires et invités à régulariser leurs écritures. Elles doivent, dès lors, être écartées des débats.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'affichage de la demande de permis, les intimés étaient propriétaires d'une maison contiguë au terrain d'assiette du projet, dont ils étaient ainsi voisins immédiats. Ils font valoir l'importance du projet, le fait qu'il prévoit de nombreuses fenêtres en façade sud, donnant sur leur propriété, ainsi que la réalisation de soixante-quatorze places de stationnement en bordure immédiate de leur terrain. Alors même que le projet prévoit la démolition de bâtiments, notamment des garages, de dimension toutefois beaucoup plus modeste, et qu'il s'implante dans un secteur urbanisé, les époux B... justifient ainsi d'un intérêt leur donnant qualité pour contester le permis de construire en litige. Par suite, la fin de non-recevoir opposée aux demandes de première instance par la société 6ème sens promotion doit être écartée.

Sur la légalité du permis de construire en date du 19 février 2019 :

5. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable. " La faculté ouverte par ces dispositions législatives à l'autorité compétente pour se prononcer sur la demande de permis de construire de surseoir à statuer sur cette demande, est subordonnée à la double condition que l'octroi du permis soit susceptible de compromettre l'exécution du projet du plan local d'urbanisme et que ce dernier ait atteint, à la date à laquelle l'autorité doit statuer, un état d'avancement suffisant.

6. Pour annuler le permis de construire en litige, le tribunal administratif de Grenoble a estimé qu'en opposant pas de sursis à statuer à la demande de la société 6ème sens promotion, au regard des contrariétés du projet avec le plan local d'urbanisme alors en cours d'élaboration, adopté finalement par délibération du conseil municipal du 18 mars 2019, postérieure d'un mois au permis en litige, le maire de La Verpillière a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. La société requérante soutient que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le projet autorisé n'est pas incompatible avec les orientations de l'OAP du centre-ville du futur PLU. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est inclus dans le périmètre de cette OAP, assez vaste. Le schéma de cette OAP identifie ces terrains comme devant accueillir du logement intermédiaire, défini par l'orientation comme un habitat à mi-chemin entre la maison individuelle et l'immeuble de logements collectifs, de faible hauteur, en R+2, rassemblant en moyenne 5 à 20 logements au sein d'une unité bâtie et offrant aux habitants une générosité des espaces extérieurs. Enfin, l'OAP évoque, sur l'ensemble du secteur, une capacité de logements totale de 70 à 85 logements.

8. Il ressort des pièces du dossier que le projet prévoit la construction d'un corps de bâti principal, en R+2+combles, s'apparentant, par son gabarit, à un R+3, divisé en deux bâtiments accolés le long de la voie publique, et deux volumes moins importants, en R+1 et R+2, s'implantant perpendiculairement au volume principal, cet ensemble de bâtiments devant abriter 45 logements. Compte tenu de leur hauteur, de leur gabarit, de leur emprise au sol et de leur situation le long de la voie publique, ces bâtiments accolés ne peuvent être regardés comme un habitat intermédiaire offrant une générosité des espaces extérieurs, alors que le projet ne prévoit par ailleurs presque aucun espace vert, le terrain étant occupé à l'arrière principalement par des espaces de stationnement. Par ailleurs, et alors que l'OAP envisage également d'autres emplacements pour la construction d'immeubles intermédiaires, mais aussi d'immeubles collectifs plus importants, en centre-ville, le long de l'avenue de Lesdiguières, le projet envisage la réalisation de 45 logements, soit plus de la moitié des logements envisagés par l'OAP sur l'ensemble du secteur. Dans ces conditions, en prévoyant une densification significative de ces terrains, le projet n'apparaît pas compatible avec l'OAP du centre-ville du futur PLU, ainsi que l'ont relevé les premiers juges.

9. La société 6ème sens promotion ne conteste par ailleurs pas qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le projet prévoit une hauteur à l'égout du toit de 9,24 mètres, pour la partie principale du bâtiment, alors que la hauteur maximale prévue en zone Ucb par le règlement du futur PLU est de 6 mètres à l'égout du toit ou au bas de l'acrotère, que la pente des toitures projetée est de 58 %, alors que le règlement du futur PLU limite ces pentes à 45 %, que le projet prévoit soixante-quatorze places de stationnement, alors qu'en application du futur PLU, soixante-seize places seraient requises, qu'il n'envisage la plantation que de trois arbres sur l'aire de stationnement, alors qu'en vertu des dispositions du futur PLU, la plantation de sept arbres serait exigée et ne prévoit pas, comme l'exigent les dispositions du futur PLU, un espace végétalisé d'un seul tenant d'au moins 300 m2. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le projet doit s'implanter à environ deux mètres de la voie publique, alors que le PLU en voie d'adoption impose sur le secteur un retrait minimal de cinq mètres par rapport à l'alignement des voies publiques, et qu'alors que le PLU en cours d'élaboration dispose que, dans tout programme collectif à partir de vingt logements construits, 20 % au minimum du nombre de logements devraient être affectés à des logements tels que décrits à l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, le projet en litige n'en prévoit aucun.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le permis de construire en litige autorise un projet dont les caractéristiques, en terme notamment de gabarit et de densité, diffèrent fortement de ce qu'envisage sur le secteur le futur PLU, sans que la société requérante puisse utilement faire état de la présence dans le secteur d'immeubles présentant des caractéristiques proches, alors au demeurant, en tout état de cause, que le projet s'implante dans un secteur présentant majoritairement un habitat de type pavillonnaire. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'en s'abstenant d'user de la faculté que lui ouvre l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme, de surseoir à statuer sur la demande dont il était saisi, et qui était de nature à compromettre l'exécution du futur plan, le maire de La Verpillière a commis une erreur manifeste d'appréciation.

Sur l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

11. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. "

12. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

13. Au regard de la nécessité pour le permis de régularisation qui pourrait être délivré de se conformer au PLU aujourd'hui applicable, adopté le 18 mars 2019, qui comprend l'OAP du centre-ville et les dispositions du règlement de la zone Ucb énoncées précédemment, le vice relevé aux points 7 à 10 n'apparaît susceptible d'être régularisé que par un projet qui modifierait totalement l'implantation, la hauteur, la densité et la conception des bâtiments envisagés et de leur environnement, et de transformer en logements intermédiaires comprenant des logements sociaux un projet consistant initialement en la construction d'un ensemble de logements collectifs. Dans ces conditions, la régularisation du vice entachant le permis de construire n'apparaît pas susceptible d'une régularisation qui n'affecterait pas la nature même du projet.

14. Il résulte de ce qui précède que la société 6ème sens promotion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire délivré le 19 février 2019.

Sur les frais d'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les intimés versent à la société 6ème sens promotion, partie perdante, la somme qu'elle demande au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.



DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la société 6ème sens promotion est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société 6ème sens promotion ainsi qu'à M. A... B... et Mme C... B....
Copie en sera adressée à la commune de La Verpillière.

Délibéré après l'audience du 1er février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 février 2022.

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N° 21LY01006



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