CAA de MARSEILLE, 1ère chambre, 03/02/2022, 19MA02347, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 12 avril 2016 par lequel le maire de la Bouilladisse a ordonné l'interruption immédiate des travaux réalisés en infraction sur l'unité foncière cadastrée section AY n° 44 à n° 49 située chemin des Playes à la Bouilladisse et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 12 juin 2016 contre cet arrêté.

Par un jugement n° 1608134 du 18 mars 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.


Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2019, M. B..., représenté par Me Loiseau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 mars 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 avril 2016 par lequel le maire de la Bouilladisse a ordonné l'interruption immédiate des travaux réalisés en infraction sur l'unité foncière cadastrée section AY n° 44 à n° 49 située chemin des Playes à la Bouilladisse et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 12 juin 2016 contre cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de la défenderesse le versement d'une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché de vice de procédure dès lors qu'il n'est pas établi que les agents ayant constaté les prétendues infractions étaient régulièrement commissionnés ;
- son édiction n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire appropriée dès lors qu'il n'existait aucune urgence à mener une procédure contradictoire en soixante-douze heures et qu'il avait sollicité un rendez-vous qui n'a pas été accordé ; le tribunal a dénaturé les faits du courrier envoyé à l'administration ;
- le tribunal ne tire pas les conséquences des erreurs de fait qu'il relève concernant les mentions portées sur l'affichage et les conditions d'accès au projet ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit dès lors que les travaux de décaissement réalisés, qui s'apparentent au demeurant à des travaux d'exhaussement, ne nécessitent ni permis, ni déclaration préalable en étant inférieurs à 1,5 mètre ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit dès lors que les piliers en litige, improprement qualifiés de pilotis, vont être liés au mur ;
- l'arrêté attaqué se fonde sur un procès-verbal de constat d'infraction du 24 février 2016 qui comporte une erreur quant au nom figurant sur le panneau d'affichage du permis de construire et qui est entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation eu égard aux infractions retenues.


Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2021, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.



Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.



Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Quenette,
- les conclusions de Mme Gougot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Loiseau représentant M. B....





Considérant ce qui suit :


1. Par arrêté du 3 juillet 2013, le maire de la Bouilladisse a délivré à M. B... un permis de construire une maison individuelle d'une surface de plancher de 163 m² sur les parcelles de terrain cadastrées section AY n° 44 à n° 49 situées chemin des Playes sur le territoire de la commune de la Bouilladisse. Le 18 janvier 2016, des agents municipaux ont constaté l'accomplissement de travaux non conformes au permis de construire délivré et un procès-verbal de constat d'infraction au code de l'urbanisme a été dressé le 24 février 2016. Par courrier du 1er avril 2016, le maire de la Bouilladisse a informé le requérant de l'existence dudit procès-verbal, de son intention d'édicter un arrêté interruptif de travaux à son encontre et l'a invité à présenter ses observations. Par arrêté du 12 avril 2016, le maire de la Bouilladisse, agissant au nom de l'Etat, l'a mis en demeure d'interrompre immédiatement les travaux. Par courrier du 12 juin 2016, l'intéressé a formé un recours gracieux contre cet arrêté. Le silence gardé par la commune a fait naitre une décision implicite de rejet de ce recours. M. B... demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1608134 du 18 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annuler l'arrêté d'interruption immédiate des travaux réalisés ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.


Sur de bienfondé du jugement attaqué :


2. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme : " (...) / Dès qu'un procès-verbal relevant l'une des infractions prévues à l'article L. 480-4 a été dressé, le maire peut également, si l'autorité judiciaire ne s'est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux. Copie de cet arrêté est transmise sans délai au ministère public. / (...) ".


3. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales ; / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; / 4° Aux décisions prises par les organismes de sécurité sociale et par l'institution visée à l'article L. 5312-1 du code du travail, sauf lorsqu'ils prennent des mesures à caractère de sanction. ". Aux termes de l'article L. 121-3 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ".


4. Il résulte de ces dispositions que la décision par laquelle le maire ordonne l'interruption des travaux au motif qu'ils ne sont pas autorisés par le document d'urbanisme en vigueur, décision qui est au nombre des mesures de police qui doivent être motivées, ne peut intervenir qu'après que son destinataire a été mis à même de présenter ses observations, sauf en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles. Le respect de cette formalité implique que l'intéressé ait été averti de la mesure que l'administration envisage de prendre, des motifs sur lesquels elle se fonde, et qu'il bénéficie d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Ces dispositions font obligation à l'autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d'audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu'elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n'est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu'elle peut être écartée.

5. Il est constant que M. B... a été invité, par courrier du 1er avril 2016, à présenter ses observations dans un délai de soixante-douze heures. Par un courrier non daté reçu par la commune de la Bouilladisse le mardi 5 avril 2016, M. B... a informé la commune qu'il était en déplacement professionnel à l'étranger et a sollicité un rendez-vous pour faire part de ses observations accompagné d'un homme de l'art à compter de la semaine suivante, au jour et à l'heure de convenance du maire. Il doit par suite être regardé comme ayant explicitement demandé à faire valoir ses observations orales. En s'abstenant de faire suite à cette demande de rendez-vous alors même qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait abusive ou que la mesure d'interruption de travaux présentait un caractère d'urgence ou même qu'une circonstance exceptionnelle s'opposerait à cette demande, le requérant est fondé à soutenir que le maire de la commune de Bouilladisse a méconnu les règles de procédure contradictoire préalable prévues par les dispositions de l'article L. 121-3 du code des relations entre le public et l'administration.

6. Par ailleurs, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. En n'étant pas en mesure de présenter des observations à l'oral accompagné par un conseil, M. B... a été privé d'une garantie. Il est fondé, par suite, à soutenir que l'arrêté du 12 avril 2016 est entaché d'illégalité et à en demander l'annulation.

8. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est susceptible de fonder l'annulation, en l'état du dossier, de l'arrêté du 12 avril 2016.

9. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 avril 2016 et à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de l'arrêté du 12 avril 2016, ensemble, la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D É C I D E :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 mars 2019 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 12 avril 2016 par lequel le maire de la Bouilladisse a ordonné l'interruption immédiate des travaux réalisés en infraction sur l'unité foncière cadastrée section AY n° 44 à n° 49 située chemin des Playes à la Bouilladisse et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 12 juin 2016 contre cet arrêté sont annulés.
Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat au profit de M. B... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M.Amir B... et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités.
Copie en sera adressée à la commune de la Bouilladisse et au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Chazan, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Quenette, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2021.
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N° 19MA02347
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