CAA de VERSAILLES, 1ère chambre, 17/12/2021, 19VE02932, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Trimane a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la restitution d'un crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2015.

Par un jugement n° 1704568 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Versailles a, d'une part, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de la SAS Trimane à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 août 2019 et un mémoire, enregistré le 17 octobre 2020, la SAS Trimane, représentée par Me Bayard, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° d'ordonner la restitution du crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2015 relatif aux dépenses de rémunération de MM. A..., F... et E... ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


La SAS Trimane soutient que :
- alors que la décision de rejet des dépenses en cause était fondée sur l'absence de technicité des personnels dont les rémunérations ont été exclues, l'administration n'a pu, dans ses écritures devant le tribunal, invoquer un nouveau grief tiré de l'absence d'implication de ces personnels dans les projets de recherche ; il lui appartient d'apporter la preuve de cette absence d'implication, sauf à porter atteinte aux droits de la défense ;
- MM. A..., E... et F... sont des chercheurs ; comme l'administration le reconnaît, les outils économétriques sont nécessaires pour une meilleure approche prédictive ;
- le tribunal aurait dû analyser les informations qu'elle avait transmises relatives aux diplômes des intéressés et renseignant sur leur implication dans les projets de recherche ; la majeure partie des " data scientists " chargés de réaliser des projets RetD dans le domaine de l'intelligence artificielle sont issus d'une formation dans le domaine des mathématiques et des statistiques ; les trois chercheurs, par leurs compétences en mathématiques et en économétrie, ont permis de créer des indicateurs, extraire et croiser des données, tester des théories pour prendre les meilleures décisions ;
- MM. A..., E... et F... sont sous la direction M. B... C..., directeur technique, avec lequel ils travaillent en étroite collaboration ; M. C... a dirigé les activités RetD et participé aux deux opérations de recherche concernées ;
- l'implication de MM. A..., E... et F... dans les projets de recherche
ouvrant droit au crédit d'impôt n'a pas été mise en cause par l'expert du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bouzar, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. La SAS Trimane, qui exerce l'activité de conseil en systèmes et logiciels informatiques décisionnels, a demandé le 15 avril 2016 la restitution de la somme de 893 601 euros au titre des dépenses de recherche exposées au cours de l'année 2015 pour la réalisation de deux projets de recherche, l'un relatif au développement d'un système décisionnel pour l'apprentissage autonome d'une activité physique, l'autre relatif aux " nouvelles techniques d'analyse OLAP permettant le développement de nouvelles méthodes de la valorisation de la donnée ". Par une décision du 2 mai 2017, l'administration a partiellement fait droit à la demande de la SAS Trimane en procédant au remboursement de la somme de 795 820 euros, excluant de la base du crédit d'impôt sollicité les dépenses de personnels correspondant à quatre salariés de cette société. Les dépenses relatives à l'emploi de M. D... ont été admises en cours d'instance. La SAS Trimane relève appel du jugement du 11 juin 2019 en tant que le tribunal administratif de Versailles a rejeté le surplus de sa demande tendant à la restitution d'un crédit d'impôt recherche portant sur les rémunérations de MM. A..., E... et F... au titre de l'année 2015.

2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. - Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (...) ". Aux termes de l'article 49 septies G de l'annexe III au code général des impôts : " Le personnel de recherche comprend : / 1. Les chercheurs qui sont les scientifiques ou les ingénieurs travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes ou de systèmes nouveaux. Sont assimilés aux ingénieurs les salariés qui, sans posséder un diplôme, ont acquis cette qualification au sein de leur entreprise. / 2. Les techniciens, qui sont les personnels travaillant en étroite collaboration avec les chercheurs, pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental. / Notamment : / Ils préparent les substances, les matériaux et les appareils pour la réalisation d'expériences ; / Ils prêtent leur concours aux chercheurs pendant le déroulement des expériences ou les effectuent sous le contrôle de ceux-ci ; / Ils ont la charge de l'entretien et du fonctionnement des appareils et des équipements nécessaires à la recherche et au développement expérimental. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 45 B du livre des procédures fiscales : " La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du code général des impôts peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l'administration des impôts qui demeure seule compétente pour l'application des procédures de redressement, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie. / (...) ".

3. Il appartient au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, qu'une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.

4. Il résulte de l'instruction que, pour adopter sa décision du 2 mai 2017 rejetant partiellement la demande de la SAS Trimane, l'administration fiscale s'est fondée sur l'avis émis par l'expert du ministre chargé de la recherche, qui a exclu des dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche certaines dépenses de personnel relatives à l'emploi de MM. A..., F... et E..., au motif que seules étaient éligibles les dépenses relatives aux personnels présentant un niveau de technicité en informatique décisionnelle compatible avec la réalisation d'une activité de recherche et développement dans ce domaine, ce niveau ayant été apprécié " à la lecture des éléments fournis dans le dossier (copie des diplômes, expériences indiquées dans les CV) ".

5. En premier lieu, contrairement à que soutient la SAS Trimane, la décision de rejet partiel de sa demande de crédit d'impôt recherche a été prise au motif tiré de l'absence d'implication effective des personnels mis en cause par l'expert dans les deux projets de recherche pour lesquels elle a sollicité l'octroi du crédit d'impôt. En tout état de cause, l'administration fiscale aurait pu régulièrement invoquer pour la première fois devant le tribunal ce dernier motif, dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales, l'administration, ainsi que le contribuable dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... est titulaire d'un diplôme d'études approfondies (DEA) en économie industrielle, microéconomie et économétrie et a rejoint la SAS Trimane en 2007, que M. E..., titulaire d'un master d'économie, spécialité " techniques d'information et de décision dans l'entreprise ", travaille pour la SAS Trimane depuis 2008, et que M. F..., qui a rejoint la société en juin 2014, est titulaire d'un master 1 spécialité " financial markets et Investment ". Si ces salariés, tous trois recrutés en qualité d'ingénieurs d'études, doivent pouvoir, eu égard à leurs qualifications et à leur expérience acquise dans l'entreprise, à tout le moins s'agissant de M. A... et de M. E..., être regardés comme des chercheurs au sens des dispositions rappelées au point 2, il ne résulte pas de l'instruction que ces salariés ont directement participé aux deux projets de recherche éligibles au crédit d'impôt recherche sollicité au titre de l'année 2015, la circonstance alléguée que les dépenses de personnel relatives à l'emploi de MM. A... et E... auraient été admises pour le calcul des crédits d'impôt recherche dont a bénéficié la SAS Trimane au titre des années 2009-2010 et 2011 à raison d'autres projets de recherche étant sans incidence à cet égard.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, la SAS Trimane n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la SAS Trimane est rejetée.
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N° 19VE02932



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