CAA de PARIS, 2ème chambre, 08/12/2021, 20PA03971
CAA de PARIS, 2ème chambre, 08/12/2021, 20PA03971
CAA de PARIS - 2ème chambre
- N° 20PA03971
- Non publié au bulletin
Lecture du
mercredi
08 décembre 2021
- Président
- Mme BROTONS
- Rapporteur
- M. Franck MAGNARD
- Avocat(s)
- SCP BAKER & MACKENZIE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Conversant International Ltd, anciennement dénommée Valueclick International Ltd, a demandé au Tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1508234/2-1 du 7 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17PA01538 du 1er mars 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Conversant International Ltd, annulé ce jugement et déchargé cette société des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes.
Par une décision n° 420174 du 11 décembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 1er mars 2018 de la Cour administrative d'appel de Paris et renvoyé l'affaire devant ladite Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mai 2017, 14 décembre 2017, 12 février 2021 et 15 mars 2021, la société Conversant International Ltd, représentée par Me Eric Meier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1508234/2-1 du 7 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut être regardée comme disposant d'un établissement stable en France en matière d'impôt sur les sociétés ;
- en outre, l'administration, pour déterminer le montant des bénéfices de l'établissement stable, a appliqué une méthode injustifiée dans son principe et dans sa mise en œuvre, s'agissant, notamment, de l'évaluation des charges d'exploitation, dont le montant a été fixé arbitrairement à 80 % du montant des recettes d'exploitation ;
- le taux de 80 % retenu pour la détermination des charges d'exploitation n'est pas motivé ;
- les transactions comparables permettant d'aboutir au taux de 88 % ne sont pas indiquées ;
- l'administration ne peut utiliser des comparables non communiqués au contribuable ;
- l'administration ne justifie pas en quoi le fait que 80 % des encaissements de l'activité de " commission junction " sont des reversements aux éditeurs justifie de réduire de 88 % à 80 % le taux retenu pour la détermination des charges d'exploitation ;
- l'administration a déterminé le bénéfice de l'établissement stable sans tenir compte du principe de l'indépendance fiscale de cet établissement et sans appliquer le principe de libre concurrence ; une telle méthode est contraire à la doctrine administrative référencée BOI-INT-DG-20-20-10 20150805 paragraphe 240 ;
- il convient de déduire les sommes correspondant aux activités exercées hors de France par l'établissement stable et les sommes correspondants aux prestations pour lesquelles il est déjà rémunéré ;
- la méthode adoptée par l'administration n'est pas adaptée à la situation et est contraire aux commentaires de l'OCDE ;
- il convient de limiter le montant des bénéfices imposables à celui qu'aurait réalisé un agent indépendant dans une situation comparable ;
- ce montant forfaitaire de charges de 80 % devait être appliqué au chiffre d'affaires TTC qu'elle a facturé et non pas au chiffre d'affaires hors taxes reconstitué par le service ;
- les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen ;
- les marges d'exploitation de sociétés se trouvant dans une situation comparable se situent entre 2,51 et 3,45 % ;
- elle ne peut être regardée comme disposant d'un établissement stable en France en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
- les prestations de services ne sont pas réalisées en France au sens de la taxe sur la valeur ajoutée en l'absence de moyens techniques ;
- les prestations de services doivent être regardées comme réalisées au lieu où la société a le siège de son activité économique ;
- il n'est pas établi que la prise en compte d'un établissement stable conduise à une solution rationnelle ;
- en outre, dès lors que la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations qu'elle a fournies a été régulièrement acquittée par les clients français par la voie de l'autoliquidation, les rappels contestés conduisent à acquitter une nouvelle fois la taxe sur la valeur ajoutée sur ces opérations, en méconnaissance du principe de neutralité et du principe d'effectivité ;
- il ne saurait lui être demandé d'apporter la preuve de cette autoliquidation par ses clients ;
- la charge fiscale n'est pas transférable au preneur de services ;
- la Cour de justice de l'Union européenne pourrait être saisie sur ce point ;
- l'existence d'une activité occulte ne saurait lui être reprochée en raison du droit à l'erreur ;
- elle avait indiqué sur ses factures à ses clients qu'en tant que preneurs, ils devaient autoliquider la taxe sur la valeur ajoutée ;
- une position contraire porterait atteinte à la liberté d'établissement ;
- l'administration ayant à tort appliqué le délai de reprise spécial prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales en cas d'activité occulte, le droit de reprise était prescrit s'agissant de l'exercice clos en 2009 ;
- dès lors qu'elle n'a pas exercé d'activité occulte, l'application de la majoration de 80 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts n'est pas justifiée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 29 août 2017, 22 janvier 2021 et 19 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Conversant International Ltd ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- la convention entre la France et l'Irlande du 21 mars 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- et les observations de Me Meier et Me Torlet, représentant la société Conversant International Ltd.
Considérant ce qui suit :
1. La société dénommée, pendant la période en litige, Valueclick International Ltd, dont le siège est situé en Irlande et dont la dénomination sociale est aujourd'hui Conversant International Ltd (ci-après " la société irlandaise "), détenue à 100 % par la société de droit américain alors dénommée Valueclick Inc, exerce une activité de marketing digital, en particulier en Europe, par l'intermédiaire de sociétés sœurs et notamment, en France, par l'intermédiaire de la SARL alors dénommée Valueclick France (ci-après " la société française "). La société irlandaise propose à ses clients des services dénommés " Media ",
" Marketing par affiliation " et " Technologies ", un contrat de licence de droits de propriété intellectuelle conclu le 30 juin 2008 avec la société Valueclick Inc l'autorisant à exploiter les droits relatifs à ces produits sur tous les marchés, hors Amérique du Nord. En exécution d'un contrat de prestation de services (" Intercompany Services Agreement ") conclu entre les sociétés du groupe le 1er juillet 2008, la société française doit fournir à la société irlandaise les services suivants : " assistance marketing consistant à agir comme le représentant marketing de Valueclick International, ce qui inclut mais pas seulement, l'identification, la prospection et le signalement des clients potentiels à Valueclick International ", " services continus de management et services d'assistance back-office ", " assistance administrative, incluant la comptabilité, la gestion des ressources humaines, les technologies de l'information et la trésorerie ". En contrepartie, elle est remboursée de ses frais (" cost ") et perçoit une rémunération égale à 8 % du montant de ces frais.
2. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la société Valueclick International Ltd exerçait en France une activité imposable, par l'intermédiaire d'un établissement stable constitué par la société Valueclick France. La société Valueclick International Ltd a en conséquence été assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2009, 2010 et 2011 et un rappel de taxe sur la valeur ajoutée a été mis à sa charge au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012. La société Conversant International Ltd relève appel du jugement du 7 mars 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces cotisations et rappels ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement :
3. Contrairement à ce qui est soutenu, les premiers juges ont répondu, au motif que le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés était déterminé à partir des produits et des charges hors taxes, au moyen tiré de ce que le taux de charge de 80 % devait être calculé sur le chiffre d'affaires TTC qu'elle a facturé et pris en compte en déduction des recettes calculées hors taxes. L'erreur de droit qu'ils auraient pu commettre à cet égard, en précisant notamment que la société avait bénéficié de la garantie liée à l'application de la cascade, est sans influence sur la régularité formelle du jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
4. Aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions (...) ".
5. La société requérante soutient que l'administration n'a pas motivé la méthode de calcul employée pour déterminer le montant forfaitaire des charges déductibles, celui-ci ayant été fixé à 80 % des encaissements dans le cadre de la procédure de taxation d'office mise en œuvre. La proposition de rectification du 17 juillet 2013 précise toutefois les modalités de reconstitution des résultats de l'activité occulte de la requérante, et indique que le vérificateur a retenu, dans un souci de réalisme économique, un pourcentage de charges égal à 80 % des produits imposables déterminés à partir de ses encaissements bancaires. Par ces mentions, l'administration doit être regardée comme ayant porté à la connaissance du contribuable les bases ayant servi au calcul des impositions litigieuses et leurs modalités de détermination, alors même qu'elle n'a pas fourni d'informations supplémentaires sur les motifs qui l'auraient amené à choisir le taux de 80 %. La circonstance que, dans la décision de rejet de la réclamation, l'administration ait évoqué l'existence de comparables aboutissant à un taux de 88 %, sans préciser la liste de ces comparables, est sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition. A supposer même qu'il soit soulevé, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut dès lors qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
6. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".Par ailleurs, aux termes de l'article 4 de la convention entre la France et l'Irlande tendant à prévenir les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu, signée le 21 mars 1968 : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce une telle activité, l'impôt peut être perçu dans l'autre Etat sur les bénéfices de l'entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 2 de cette même convention : " Pour l'application de la présente convention : (...) / 9. Le terme " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / (...) c) Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé à l'alinéa d ci-après, est considérée comme " établissement stable " dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise. (...) ".
7. Pour avoir un établissement stable en France au sens des stipulations citées ci-dessus, une société résidente d'Irlande doit soit disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres. Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, ainsi d'ailleurs qu'il résulte des paragraphes 32.1 et 33 des commentaires au modèle de convention établi par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) publiés respectivement le 28 janvier 2003 et le 15 juillet 2005, une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise, décide de transactions que la société irlandaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l'engagent.
8. Il résulte de l'instruction que les personnels de la société Valueclick France négociaient les termes des contrats et la rédaction de certaines clauses avec les clients, que la signature apposée sur les contrats par les dirigeants irlandais présentait un caractère d'automatisme et s'apparentait à une simple validation des contrats négociés et élaborés par les dirigeants et salariés de la société Valueclick France, que les programmes publicitaires étaient mis au point et suivis par des salariés de la société Valueclick France, que le personnel de la société française se comportait auprès des tiers comme agissant en tant que salariés de la société irlandaise et qu'il existait, dans l'esprit des clients et des éditeurs, une confusion entre la société Valueclick International Ltd et la société Valueclick France. Si la société irlandaise fixait le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assurait l'exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relevaient des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présentait, ainsi qu'il a été dit, un caractère automatique. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société française était pour la société irlandaise un établissement stable au sens du c) de l'article 2.9 de la convention franco-irlandaise.
En ce qui concerne le calcul du bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés :
9. Aux termes de l'article 4 de la convention franco-irlandaise du 21 mars 1968 susvisée : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce une telle activité, l'impôt peut être perçu dans l'autre Etat sur les bénéfices de l'entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable / 2. Lorsqu'une entreprise d'un Etat contractant exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chacun des deux Etats, à cet établissement stable les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable / 3. Dans le calcul des bénéfices d'un établissement stable, sont admises en déduction les dépenses exposées aux fins poursuivies par cet établissement stable, y compris les dépenses de direction et les frais généraux d'administration ainsi exposés, soit dans l'Etat où est situé cet établissement stable, soit ailleurs / 4. S'il est d'usage dans un Etat contractant de déterminer les bénéfices imputables à un établissement stable sur la base d'une répartition des bénéfices totaux de l'entreprise entre ses diverses parties, aucune disposition du paragraphe 2 du présent article n'empêche cet Etat contractant de déterminer les bénéfices imposables selon la répartition en usage ; la méthode de répartition adoptée doit cependant être telle que le résultat obtenu soit conforme aux principes énoncés dans le présent article (...) ".
10. Les cotisations d'impôt sur les sociétés contestées ayant été établies selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, il appartient à la société requérante, à qui incombe la charge de la preuve en application de l'article L. 193 du même livre, d'en démontrer le caractère exagéré.
11. En l'absence de tout élément comptable relatif à l'activité de l'établissement stable au cours de la période vérifiée, le service a procédé à la reconstitution de ses recettes en se fondant sur ses encaissements bancaires. Il a considéré que le montant des crédits bancaires correspondait au chiffre d'affaires toutes taxes comprises et a ensuite pris en compte le chiffre d'affaires hors taxe en vue de déterminer le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés. En vue de prendre en compte les spécificités de l'activité de " commission junction ", pour laquelle il a été considéré, au regard des indications fournies par la société requérante, que 80 % des recettes étaient reversées aux clients éditeurs, l'administration n'a retenu que 20 % du montant total des encaissements en vue de reconstituer le chiffre d'affaires propre à cette branche de l'activité de l'établissement stable. L'administration a évalué les charges de l'établissement stable à 80 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe.
12. L'administration était fondée, en l'absence de comptabilité, et en l'absence de tout élément en sens contraire, à évaluer, par le biais des encaissements constatés, les recettes que l'établissement stable aurait pu réaliser en France s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée dans les conditions prévues au 2 de l'article 4 de la convention franco-irlandaise du 21 mars 1968, même si cette méthode pouvait conduire à ce qu'une partie des recettes ne soit pas retenue suivant le principe des créances acquises mais en fonction de leur encaissement, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les délais de règlement des factures émises étaient particulièrement longs. La société requérante conteste le recours du vérificateur à une méthode forfaitaire pour déterminer les charges de l'établissement stable et fait valoir que le taux de marge de 20 % retenu par le service est excessif. Or, il lui appartient, compte tenu de la procédure de taxation d'office mise en en œuvre, d'apporter la preuve de ce que les charges retenues par le service sont sous-estimées au regard de celles qu'un établissement de ce type aurait supporté dans une situation de libre concurrence. La société ne saurait être regardée comme apportant une telle preuve en se bornant à faire valoir que la convention franco-irlandaise telle qu'interprétée par les commentaires de l'OCDE implique qu'il convient de limiter le montant des bénéfices imposables à ceux qu'aurait réalisé un agent indépendant dans une situation comparable en situation de libre concurrence, que le taux de 20 % est arbitraire, que l'administration a fait état de comparables pour lesquelles un taux de charges de 88 % aurait été constaté, et que l'administration n'aurait fourni aucune raison valable pour justifier le fait de ne pas retenir ce taux de 88 %. La société ne produit aucun élément permettant d'évaluer les charges que son établissement stable aurait ainsi supportées au cours de la période contrôlée. L'invocation d'une analyse comparative dont il ressort que les marges d'exploitation de sociétés se trouvant dans une situation comparable se situeraient entre 2,51 et 3,45 % ne saurait se substituer à la production d'éléments probants, spécifiques à l'activité propre de l'établissement. La société requérante n'est donc pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 4 de la convention du 21 mars 1968 susvisée. Elle ne peut davantage valablement invoquer l'instruction BOI-INT-DG-20-20-10 du 12 septembre 2012, qui ne comporte en tout état de cause aucune interprétation de la loi fiscale ou de la convention différente de celle dont il est fait application.
13. Enfin, le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés étant été déterminé à partir des produits et des charges calculés hors taxe, et le montant des produits ayant été à bon droit déterminé en regardant les encaissements constatés comme incluant la taxe sur la valeur ajoutée, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le vérificateur aurait dû fixer le montant du bénéfices en déduisant des encaissements, ramenés à leur montant hors taxe, un montant de charges calculé à partir des encaissements bruts avant prise en compte de la taxe sur la valeur ajoutée éludée.
En ce qui concerne le principe d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :
14. Pour les années 2008 et 2009, l'administration fiscale a fondé le rappel litigieux de taxe sur la valeur ajoutée sur les dispositions alors en vigueur, d'une part, de l'article 259 du code général des impôts aux termes desquelles : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. " et, d'autre part, de l'article 283 du même code aux termes desquelles : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). Toutefois, lorsque la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur (...) ".
15. Pour l'application de ces dispositions, qui résultent de la transposition en droit interne de l'article 9 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ainsi que de l'article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dans sa version en vigueur au cours de la période d'imposition en litige, qui en reprenait le contenu, il convient, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a jugé notamment dans ses arrêts Berkholz du 4 juillet 1985 (C 168/84, points 17 et 18) et ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (C-190/95, points 15 et 16), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel les prestations de services sont fournies ne présentant d'intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle d'un point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.
16. Ainsi, jusqu'au 31 décembre 2009, le rattachement de prestations de services soit à un établissement satisfaisant aux critères énoncés au point précédent dont le prestataire dispose en France, soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre Etat membre, détermine si la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces prestations est due en France ou dans l'autre Etat membre.
17. Pour les années 2010 à 2012, l'administration fiscale a fondé le rappel litigieux de taxe sur la valeur ajoutée sur les dispositions applicables à compter du 1er janvier 2010, d'une part, de l'article 259 du code général des impôts, aux termes desquelles : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...). " et, d'autre part, de l'article 283 du même code, aux termes desquelles : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). 2. Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l'article 259 sont fournies par un assujetti qui n'est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur ".
18. Il résulte de ces dispositions, issues de la transposition en droit interne des articles 44, 192 bis, 193, 194 et 196 de la directive du 28 novembre 2006 dans leur version en vigueur à compter du 1er janvier 2010, éclairées notamment par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne GST Sarviz AG Germania du 23 avril 2015 (C-111/14, points 20 à 25), ainsi que de l'article 53 du règlement n° 282/2011 du Conseil du 15 mars 2011 portant mesures d'exécution de la même directive, que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies et qui satisfait aux critères énoncés au point 15., lesquels demeurent pertinents sous l'empire des nouvelles dispositions, ainsi qu'il ressort notamment de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Welmory du 16 octobre 2014 (C-605/12, points 53 à 58). Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.
19. La société française dispose des moyens humains rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, notamment des moyens humains qui lui permettent de prendre la décision de conclure, avec un annonceur, un contrat lui ouvrant le bénéfice des services dont la société irlandaise assure l'exploitation. Il résulte également de l'instruction, et notamment du contrat proposé aux annonceurs et de la note technique produite par la société Conversant International Ltd, que si l'exécution des fonctionnalités de mise en relation en temps réel des annonceurs et des éditeurs de sites internet suppose une infrastructure technique, comprenant les logiciels nécessaires au fonctionnement des plateformes de mise en relation et des serveurs sur lesquels elles sont hébergées, implantés dans des centres de données, la création, le paramétrage et la gestion du compte client par les salariés de la société française, en application du contrat conclu avec un annonceur, suffisent pour ouvrir de manière effective à ce dernier un accès aux fonctionnalités prévues au contrat adapté aux besoins de ses programmes de publicité, sans restriction et sans qu'aucune intervention spécifique soit requise de la part de sociétés du groupe distinctes de la société française et de la société irlandaise, en charge du développement et de la maintenance des logiciels ou de l'exploitation des serveurs. En outre, les salariés de la société française doivent être regardés comme disposant de moyens techniques adaptés rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l'exécution des fonctionnalités de mise en relation n'est localisé en France, et pas davantage d'ailleurs en Irlande. La société Valueclik International Ltd doit par suite être regardée comme disposant en France, par l'intermédiaire de la société Valueclik France, d'un établissement stable satisfaisant aux critères mentionnés précédemment et était en conséquence redevable en France de la taxe sur la valeur ajoutée.
20. Compte tenu de l'intérêt qui s'attache à ce que la taxe sur la valeur ajoutée soit acquittée par son redevable légal et de la circonstance que la rectification n'a pas pour effet de faire payer deux fois par un même redevable la taxe en cause, les principes de neutralité et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que l'administration soumette les prestations à la taxe sur la valeur ajoutée française sur le fondement des dispositions des articles 259 et 283 du code général des impôts et établisse les rappels correspondants au nom de la société requérante, laquelle en est légalement redevable, alors même que ses clients français auraient fait application du mécanisme d'autoliquidation. Dans ces conditions les moyens tirés de ce qu'il ne saurait être demandé à un contribuable d'apporter la preuve de cette autoliquidation par ses clients et de ce que la charge fiscale n'est pas transférable au preneur de services sont inopérants. Il n'y a pas besoin de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle sur ce point.
En ce qui concerne l'expiration du délai de reprise :
21. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / (...) Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ". Aux termes de l'article L. 176 du même livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe est devenue exigible (...) lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ". Dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
22. La société requérante, au cours des années en litige, n'a pas satisfait à ses obligations déclaratives ni ne s'est fait connaître d'un centre de formalités des entreprises. Toutefois, ce n'est que postérieurement aux années d'imposition en litige que la jurisprudence a adapté la notion traditionnelle d'établissement stable à l'économie numérique. Ainsi, compte tenu des incertitudes majeures existant au cours desdites années sur les modalités d'imposition des groupes internationaux exerçant leur activité dans ce secteur, l'absence de souscription de déclaration par l'intéressée doit être regardée comme ayant constitué une erreur justifiant qu'elle ne se soit pas acquittée de ses obligations. La société requérante ne saurait par suite être regardée comme ayant exercé une activité occulte au sens des dispositions précitées du livre des procédures fiscales. Elle est par suite fondée à soutenir que les impositions établies au titre de la période antérieure au 1er janvier 2010 sont prescrites.
En ce qui concerne les pénalités :
23. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ". Il résulte de ces dispositions que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
24. Pour les motifs indiqués au point 22., la société requérante ne saurait être regardée comme ayant exercé une activité occulte au sens des dispositions précitées du code général des impôts. Elle est par suite fondée à demander la décharge des pénalités occultes mises à sa charge.
25. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander la décharge, en droits et pénalités, du complément d'impôt sur les sociétés auquel la société Valueclick International Ltd a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de cette dernière au titre de la période antérieure au 1er janvier 2010 ainsi que de l'ensemble des pénalités pour activité occulte restant en litige. Pour le surplus, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La société Conversant International Ltd est déchargée, en droits et pénalités, du complément d'impôt sur les sociétés auquel la société Valueclick International Ltd a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de cette dernière au titre de la période antérieure au 1er janvier 2010.
Article 2 : La société Conversant International Ltd est déchargée du surplus des pénalités de
80 % pour activité occulte mises à la charge de la société Valueclick International Ltd.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1508234/2-1 du 7 mars 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Conversant International Ltd au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Conversant International Ltd est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Conversant International Ltd et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
7
3
N° 20PA03971
Procédure contentieuse antérieure :
La société Conversant International Ltd, anciennement dénommée Valueclick International Ltd, a demandé au Tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1508234/2-1 du 7 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17PA01538 du 1er mars 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Conversant International Ltd, annulé ce jugement et déchargé cette société des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes.
Par une décision n° 420174 du 11 décembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 1er mars 2018 de la Cour administrative d'appel de Paris et renvoyé l'affaire devant ladite Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mai 2017, 14 décembre 2017, 12 février 2021 et 15 mars 2021, la société Conversant International Ltd, représentée par Me Eric Meier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1508234/2-1 du 7 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut être regardée comme disposant d'un établissement stable en France en matière d'impôt sur les sociétés ;
- en outre, l'administration, pour déterminer le montant des bénéfices de l'établissement stable, a appliqué une méthode injustifiée dans son principe et dans sa mise en œuvre, s'agissant, notamment, de l'évaluation des charges d'exploitation, dont le montant a été fixé arbitrairement à 80 % du montant des recettes d'exploitation ;
- le taux de 80 % retenu pour la détermination des charges d'exploitation n'est pas motivé ;
- les transactions comparables permettant d'aboutir au taux de 88 % ne sont pas indiquées ;
- l'administration ne peut utiliser des comparables non communiqués au contribuable ;
- l'administration ne justifie pas en quoi le fait que 80 % des encaissements de l'activité de " commission junction " sont des reversements aux éditeurs justifie de réduire de 88 % à 80 % le taux retenu pour la détermination des charges d'exploitation ;
- l'administration a déterminé le bénéfice de l'établissement stable sans tenir compte du principe de l'indépendance fiscale de cet établissement et sans appliquer le principe de libre concurrence ; une telle méthode est contraire à la doctrine administrative référencée BOI-INT-DG-20-20-10 20150805 paragraphe 240 ;
- il convient de déduire les sommes correspondant aux activités exercées hors de France par l'établissement stable et les sommes correspondants aux prestations pour lesquelles il est déjà rémunéré ;
- la méthode adoptée par l'administration n'est pas adaptée à la situation et est contraire aux commentaires de l'OCDE ;
- il convient de limiter le montant des bénéfices imposables à celui qu'aurait réalisé un agent indépendant dans une situation comparable ;
- ce montant forfaitaire de charges de 80 % devait être appliqué au chiffre d'affaires TTC qu'elle a facturé et non pas au chiffre d'affaires hors taxes reconstitué par le service ;
- les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen ;
- les marges d'exploitation de sociétés se trouvant dans une situation comparable se situent entre 2,51 et 3,45 % ;
- elle ne peut être regardée comme disposant d'un établissement stable en France en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
- les prestations de services ne sont pas réalisées en France au sens de la taxe sur la valeur ajoutée en l'absence de moyens techniques ;
- les prestations de services doivent être regardées comme réalisées au lieu où la société a le siège de son activité économique ;
- il n'est pas établi que la prise en compte d'un établissement stable conduise à une solution rationnelle ;
- en outre, dès lors que la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations qu'elle a fournies a été régulièrement acquittée par les clients français par la voie de l'autoliquidation, les rappels contestés conduisent à acquitter une nouvelle fois la taxe sur la valeur ajoutée sur ces opérations, en méconnaissance du principe de neutralité et du principe d'effectivité ;
- il ne saurait lui être demandé d'apporter la preuve de cette autoliquidation par ses clients ;
- la charge fiscale n'est pas transférable au preneur de services ;
- la Cour de justice de l'Union européenne pourrait être saisie sur ce point ;
- l'existence d'une activité occulte ne saurait lui être reprochée en raison du droit à l'erreur ;
- elle avait indiqué sur ses factures à ses clients qu'en tant que preneurs, ils devaient autoliquider la taxe sur la valeur ajoutée ;
- une position contraire porterait atteinte à la liberté d'établissement ;
- l'administration ayant à tort appliqué le délai de reprise spécial prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales en cas d'activité occulte, le droit de reprise était prescrit s'agissant de l'exercice clos en 2009 ;
- dès lors qu'elle n'a pas exercé d'activité occulte, l'application de la majoration de 80 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts n'est pas justifiée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 29 août 2017, 22 janvier 2021 et 19 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Conversant International Ltd ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- la convention entre la France et l'Irlande du 21 mars 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- et les observations de Me Meier et Me Torlet, représentant la société Conversant International Ltd.
Considérant ce qui suit :
1. La société dénommée, pendant la période en litige, Valueclick International Ltd, dont le siège est situé en Irlande et dont la dénomination sociale est aujourd'hui Conversant International Ltd (ci-après " la société irlandaise "), détenue à 100 % par la société de droit américain alors dénommée Valueclick Inc, exerce une activité de marketing digital, en particulier en Europe, par l'intermédiaire de sociétés sœurs et notamment, en France, par l'intermédiaire de la SARL alors dénommée Valueclick France (ci-après " la société française "). La société irlandaise propose à ses clients des services dénommés " Media ",
" Marketing par affiliation " et " Technologies ", un contrat de licence de droits de propriété intellectuelle conclu le 30 juin 2008 avec la société Valueclick Inc l'autorisant à exploiter les droits relatifs à ces produits sur tous les marchés, hors Amérique du Nord. En exécution d'un contrat de prestation de services (" Intercompany Services Agreement ") conclu entre les sociétés du groupe le 1er juillet 2008, la société française doit fournir à la société irlandaise les services suivants : " assistance marketing consistant à agir comme le représentant marketing de Valueclick International, ce qui inclut mais pas seulement, l'identification, la prospection et le signalement des clients potentiels à Valueclick International ", " services continus de management et services d'assistance back-office ", " assistance administrative, incluant la comptabilité, la gestion des ressources humaines, les technologies de l'information et la trésorerie ". En contrepartie, elle est remboursée de ses frais (" cost ") et perçoit une rémunération égale à 8 % du montant de ces frais.
2. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la société Valueclick International Ltd exerçait en France une activité imposable, par l'intermédiaire d'un établissement stable constitué par la société Valueclick France. La société Valueclick International Ltd a en conséquence été assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2009, 2010 et 2011 et un rappel de taxe sur la valeur ajoutée a été mis à sa charge au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012. La société Conversant International Ltd relève appel du jugement du 7 mars 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces cotisations et rappels ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement :
3. Contrairement à ce qui est soutenu, les premiers juges ont répondu, au motif que le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés était déterminé à partir des produits et des charges hors taxes, au moyen tiré de ce que le taux de charge de 80 % devait être calculé sur le chiffre d'affaires TTC qu'elle a facturé et pris en compte en déduction des recettes calculées hors taxes. L'erreur de droit qu'ils auraient pu commettre à cet égard, en précisant notamment que la société avait bénéficié de la garantie liée à l'application de la cascade, est sans influence sur la régularité formelle du jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
4. Aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions (...) ".
5. La société requérante soutient que l'administration n'a pas motivé la méthode de calcul employée pour déterminer le montant forfaitaire des charges déductibles, celui-ci ayant été fixé à 80 % des encaissements dans le cadre de la procédure de taxation d'office mise en œuvre. La proposition de rectification du 17 juillet 2013 précise toutefois les modalités de reconstitution des résultats de l'activité occulte de la requérante, et indique que le vérificateur a retenu, dans un souci de réalisme économique, un pourcentage de charges égal à 80 % des produits imposables déterminés à partir de ses encaissements bancaires. Par ces mentions, l'administration doit être regardée comme ayant porté à la connaissance du contribuable les bases ayant servi au calcul des impositions litigieuses et leurs modalités de détermination, alors même qu'elle n'a pas fourni d'informations supplémentaires sur les motifs qui l'auraient amené à choisir le taux de 80 %. La circonstance que, dans la décision de rejet de la réclamation, l'administration ait évoqué l'existence de comparables aboutissant à un taux de 88 %, sans préciser la liste de ces comparables, est sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition. A supposer même qu'il soit soulevé, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut dès lors qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
6. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".Par ailleurs, aux termes de l'article 4 de la convention entre la France et l'Irlande tendant à prévenir les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu, signée le 21 mars 1968 : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce une telle activité, l'impôt peut être perçu dans l'autre Etat sur les bénéfices de l'entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 2 de cette même convention : " Pour l'application de la présente convention : (...) / 9. Le terme " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / (...) c) Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé à l'alinéa d ci-après, est considérée comme " établissement stable " dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise. (...) ".
7. Pour avoir un établissement stable en France au sens des stipulations citées ci-dessus, une société résidente d'Irlande doit soit disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres. Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, ainsi d'ailleurs qu'il résulte des paragraphes 32.1 et 33 des commentaires au modèle de convention établi par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) publiés respectivement le 28 janvier 2003 et le 15 juillet 2005, une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise, décide de transactions que la société irlandaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l'engagent.
8. Il résulte de l'instruction que les personnels de la société Valueclick France négociaient les termes des contrats et la rédaction de certaines clauses avec les clients, que la signature apposée sur les contrats par les dirigeants irlandais présentait un caractère d'automatisme et s'apparentait à une simple validation des contrats négociés et élaborés par les dirigeants et salariés de la société Valueclick France, que les programmes publicitaires étaient mis au point et suivis par des salariés de la société Valueclick France, que le personnel de la société française se comportait auprès des tiers comme agissant en tant que salariés de la société irlandaise et qu'il existait, dans l'esprit des clients et des éditeurs, une confusion entre la société Valueclick International Ltd et la société Valueclick France. Si la société irlandaise fixait le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assurait l'exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relevaient des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présentait, ainsi qu'il a été dit, un caractère automatique. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société française était pour la société irlandaise un établissement stable au sens du c) de l'article 2.9 de la convention franco-irlandaise.
En ce qui concerne le calcul du bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés :
9. Aux termes de l'article 4 de la convention franco-irlandaise du 21 mars 1968 susvisée : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce une telle activité, l'impôt peut être perçu dans l'autre Etat sur les bénéfices de l'entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable / 2. Lorsqu'une entreprise d'un Etat contractant exerce une activité industrielle ou commerciale dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chacun des deux Etats, à cet établissement stable les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable / 3. Dans le calcul des bénéfices d'un établissement stable, sont admises en déduction les dépenses exposées aux fins poursuivies par cet établissement stable, y compris les dépenses de direction et les frais généraux d'administration ainsi exposés, soit dans l'Etat où est situé cet établissement stable, soit ailleurs / 4. S'il est d'usage dans un Etat contractant de déterminer les bénéfices imputables à un établissement stable sur la base d'une répartition des bénéfices totaux de l'entreprise entre ses diverses parties, aucune disposition du paragraphe 2 du présent article n'empêche cet Etat contractant de déterminer les bénéfices imposables selon la répartition en usage ; la méthode de répartition adoptée doit cependant être telle que le résultat obtenu soit conforme aux principes énoncés dans le présent article (...) ".
10. Les cotisations d'impôt sur les sociétés contestées ayant été établies selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, il appartient à la société requérante, à qui incombe la charge de la preuve en application de l'article L. 193 du même livre, d'en démontrer le caractère exagéré.
11. En l'absence de tout élément comptable relatif à l'activité de l'établissement stable au cours de la période vérifiée, le service a procédé à la reconstitution de ses recettes en se fondant sur ses encaissements bancaires. Il a considéré que le montant des crédits bancaires correspondait au chiffre d'affaires toutes taxes comprises et a ensuite pris en compte le chiffre d'affaires hors taxe en vue de déterminer le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés. En vue de prendre en compte les spécificités de l'activité de " commission junction ", pour laquelle il a été considéré, au regard des indications fournies par la société requérante, que 80 % des recettes étaient reversées aux clients éditeurs, l'administration n'a retenu que 20 % du montant total des encaissements en vue de reconstituer le chiffre d'affaires propre à cette branche de l'activité de l'établissement stable. L'administration a évalué les charges de l'établissement stable à 80 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe.
12. L'administration était fondée, en l'absence de comptabilité, et en l'absence de tout élément en sens contraire, à évaluer, par le biais des encaissements constatés, les recettes que l'établissement stable aurait pu réaliser en France s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée dans les conditions prévues au 2 de l'article 4 de la convention franco-irlandaise du 21 mars 1968, même si cette méthode pouvait conduire à ce qu'une partie des recettes ne soit pas retenue suivant le principe des créances acquises mais en fonction de leur encaissement, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les délais de règlement des factures émises étaient particulièrement longs. La société requérante conteste le recours du vérificateur à une méthode forfaitaire pour déterminer les charges de l'établissement stable et fait valoir que le taux de marge de 20 % retenu par le service est excessif. Or, il lui appartient, compte tenu de la procédure de taxation d'office mise en en œuvre, d'apporter la preuve de ce que les charges retenues par le service sont sous-estimées au regard de celles qu'un établissement de ce type aurait supporté dans une situation de libre concurrence. La société ne saurait être regardée comme apportant une telle preuve en se bornant à faire valoir que la convention franco-irlandaise telle qu'interprétée par les commentaires de l'OCDE implique qu'il convient de limiter le montant des bénéfices imposables à ceux qu'aurait réalisé un agent indépendant dans une situation comparable en situation de libre concurrence, que le taux de 20 % est arbitraire, que l'administration a fait état de comparables pour lesquelles un taux de charges de 88 % aurait été constaté, et que l'administration n'aurait fourni aucune raison valable pour justifier le fait de ne pas retenir ce taux de 88 %. La société ne produit aucun élément permettant d'évaluer les charges que son établissement stable aurait ainsi supportées au cours de la période contrôlée. L'invocation d'une analyse comparative dont il ressort que les marges d'exploitation de sociétés se trouvant dans une situation comparable se situeraient entre 2,51 et 3,45 % ne saurait se substituer à la production d'éléments probants, spécifiques à l'activité propre de l'établissement. La société requérante n'est donc pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 4 de la convention du 21 mars 1968 susvisée. Elle ne peut davantage valablement invoquer l'instruction BOI-INT-DG-20-20-10 du 12 septembre 2012, qui ne comporte en tout état de cause aucune interprétation de la loi fiscale ou de la convention différente de celle dont il est fait application.
13. Enfin, le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés étant été déterminé à partir des produits et des charges calculés hors taxe, et le montant des produits ayant été à bon droit déterminé en regardant les encaissements constatés comme incluant la taxe sur la valeur ajoutée, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le vérificateur aurait dû fixer le montant du bénéfices en déduisant des encaissements, ramenés à leur montant hors taxe, un montant de charges calculé à partir des encaissements bruts avant prise en compte de la taxe sur la valeur ajoutée éludée.
En ce qui concerne le principe d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :
14. Pour les années 2008 et 2009, l'administration fiscale a fondé le rappel litigieux de taxe sur la valeur ajoutée sur les dispositions alors en vigueur, d'une part, de l'article 259 du code général des impôts aux termes desquelles : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. " et, d'autre part, de l'article 283 du même code aux termes desquelles : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). Toutefois, lorsque la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur (...) ".
15. Pour l'application de ces dispositions, qui résultent de la transposition en droit interne de l'article 9 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ainsi que de l'article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dans sa version en vigueur au cours de la période d'imposition en litige, qui en reprenait le contenu, il convient, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a jugé notamment dans ses arrêts Berkholz du 4 juillet 1985 (C 168/84, points 17 et 18) et ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (C-190/95, points 15 et 16), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel les prestations de services sont fournies ne présentant d'intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle d'un point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.
16. Ainsi, jusqu'au 31 décembre 2009, le rattachement de prestations de services soit à un établissement satisfaisant aux critères énoncés au point précédent dont le prestataire dispose en France, soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre Etat membre, détermine si la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces prestations est due en France ou dans l'autre Etat membre.
17. Pour les années 2010 à 2012, l'administration fiscale a fondé le rappel litigieux de taxe sur la valeur ajoutée sur les dispositions applicables à compter du 1er janvier 2010, d'une part, de l'article 259 du code général des impôts, aux termes desquelles : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...). " et, d'autre part, de l'article 283 du même code, aux termes desquelles : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). 2. Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l'article 259 sont fournies par un assujetti qui n'est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur ".
18. Il résulte de ces dispositions, issues de la transposition en droit interne des articles 44, 192 bis, 193, 194 et 196 de la directive du 28 novembre 2006 dans leur version en vigueur à compter du 1er janvier 2010, éclairées notamment par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne GST Sarviz AG Germania du 23 avril 2015 (C-111/14, points 20 à 25), ainsi que de l'article 53 du règlement n° 282/2011 du Conseil du 15 mars 2011 portant mesures d'exécution de la même directive, que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies et qui satisfait aux critères énoncés au point 15., lesquels demeurent pertinents sous l'empire des nouvelles dispositions, ainsi qu'il ressort notamment de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Welmory du 16 octobre 2014 (C-605/12, points 53 à 58). Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.
19. La société française dispose des moyens humains rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, notamment des moyens humains qui lui permettent de prendre la décision de conclure, avec un annonceur, un contrat lui ouvrant le bénéfice des services dont la société irlandaise assure l'exploitation. Il résulte également de l'instruction, et notamment du contrat proposé aux annonceurs et de la note technique produite par la société Conversant International Ltd, que si l'exécution des fonctionnalités de mise en relation en temps réel des annonceurs et des éditeurs de sites internet suppose une infrastructure technique, comprenant les logiciels nécessaires au fonctionnement des plateformes de mise en relation et des serveurs sur lesquels elles sont hébergées, implantés dans des centres de données, la création, le paramétrage et la gestion du compte client par les salariés de la société française, en application du contrat conclu avec un annonceur, suffisent pour ouvrir de manière effective à ce dernier un accès aux fonctionnalités prévues au contrat adapté aux besoins de ses programmes de publicité, sans restriction et sans qu'aucune intervention spécifique soit requise de la part de sociétés du groupe distinctes de la société française et de la société irlandaise, en charge du développement et de la maintenance des logiciels ou de l'exploitation des serveurs. En outre, les salariés de la société française doivent être regardés comme disposant de moyens techniques adaptés rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l'exécution des fonctionnalités de mise en relation n'est localisé en France, et pas davantage d'ailleurs en Irlande. La société Valueclik International Ltd doit par suite être regardée comme disposant en France, par l'intermédiaire de la société Valueclik France, d'un établissement stable satisfaisant aux critères mentionnés précédemment et était en conséquence redevable en France de la taxe sur la valeur ajoutée.
20. Compte tenu de l'intérêt qui s'attache à ce que la taxe sur la valeur ajoutée soit acquittée par son redevable légal et de la circonstance que la rectification n'a pas pour effet de faire payer deux fois par un même redevable la taxe en cause, les principes de neutralité et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que l'administration soumette les prestations à la taxe sur la valeur ajoutée française sur le fondement des dispositions des articles 259 et 283 du code général des impôts et établisse les rappels correspondants au nom de la société requérante, laquelle en est légalement redevable, alors même que ses clients français auraient fait application du mécanisme d'autoliquidation. Dans ces conditions les moyens tirés de ce qu'il ne saurait être demandé à un contribuable d'apporter la preuve de cette autoliquidation par ses clients et de ce que la charge fiscale n'est pas transférable au preneur de services sont inopérants. Il n'y a pas besoin de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle sur ce point.
En ce qui concerne l'expiration du délai de reprise :
21. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / (...) Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ". Aux termes de l'article L. 176 du même livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe est devenue exigible (...) lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ". Dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
22. La société requérante, au cours des années en litige, n'a pas satisfait à ses obligations déclaratives ni ne s'est fait connaître d'un centre de formalités des entreprises. Toutefois, ce n'est que postérieurement aux années d'imposition en litige que la jurisprudence a adapté la notion traditionnelle d'établissement stable à l'économie numérique. Ainsi, compte tenu des incertitudes majeures existant au cours desdites années sur les modalités d'imposition des groupes internationaux exerçant leur activité dans ce secteur, l'absence de souscription de déclaration par l'intéressée doit être regardée comme ayant constitué une erreur justifiant qu'elle ne se soit pas acquittée de ses obligations. La société requérante ne saurait par suite être regardée comme ayant exercé une activité occulte au sens des dispositions précitées du livre des procédures fiscales. Elle est par suite fondée à soutenir que les impositions établies au titre de la période antérieure au 1er janvier 2010 sont prescrites.
En ce qui concerne les pénalités :
23. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ". Il résulte de ces dispositions que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
24. Pour les motifs indiqués au point 22., la société requérante ne saurait être regardée comme ayant exercé une activité occulte au sens des dispositions précitées du code général des impôts. Elle est par suite fondée à demander la décharge des pénalités occultes mises à sa charge.
25. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander la décharge, en droits et pénalités, du complément d'impôt sur les sociétés auquel la société Valueclick International Ltd a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de cette dernière au titre de la période antérieure au 1er janvier 2010 ainsi que de l'ensemble des pénalités pour activité occulte restant en litige. Pour le surplus, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La société Conversant International Ltd est déchargée, en droits et pénalités, du complément d'impôt sur les sociétés auquel la société Valueclick International Ltd a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de cette dernière au titre de la période antérieure au 1er janvier 2010.
Article 2 : La société Conversant International Ltd est déchargée du surplus des pénalités de
80 % pour activité occulte mises à la charge de la société Valueclick International Ltd.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1508234/2-1 du 7 mars 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Conversant International Ltd au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Conversant International Ltd est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Conversant International Ltd et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
7
3
N° 20PA03971