Conseil d'État, 3ème chambre, 22/11/2021, 448779, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 3ème chambre, 22/11/2021, 448779, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 3ème chambre
- N° 448779
- ECLI:FR:CECHS:2021:448779.20211122
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
lundi
22 novembre 2021
- Rapporteur
- Mme Pauline Berne
- Avocat(s)
- SCP LYON-CAEN, THIRIEZ
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le préfet des Ardennes a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la délibération du 21 décembre 2017 du conseil municipal de la commune de Charleville-Mézières en tant qu'elle prévoit le maintien du versement intégral de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) aux agents placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie. Par un jugement n° 1801201 du 4 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 19NC00326 du 17 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de la commune de Charleville-Mézières, annulé ce jugement et rejeté la demande du préfet des Ardennes.
Par un pourvoi, enregistré le 18 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la commune de Charleville-Mézières.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret nº 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Berne, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Charleville-Mézières ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une délibération du 21 décembre 2017, le conseil municipal de Charleville-Mézières a institué au profit de ses agents un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), comprenant une indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE), et un complément indemnitaire annuel (CIA). Par un jugement du 4 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi d'un déféré du préfet des Ardennes, a annulé cette délibération en tant qu'elle prévoit le maintien du versement intégral de l'IFSE aux agents placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit contre l'arrêt du 17 novembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la commune de Charleville-Mézières, a annulé ce jugement et rejeté la demande du préfet des Ardennes.
2. Aux termes de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa réaction applicable en l'espèce : " Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat. Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d'exercice des fonctions et de l'engagement professionnel des agents. Lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, l'organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 6 septembre 1991 pris pour l'application du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 : " Le régime indemnitaire fixé par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et les conseils d'administration des établissements publics locaux pour les différentes catégories de fonctionnaires territoriaux ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat exerçant des fonctions équivalentes (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " L'assemblée délibérante de la collectivité ou le conseil d'administration de l'établissement fixe, dans les limites prévues à l'article 1er, la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen des indemnités applicables aux fonctionnaires de ces collectivités ou établissements (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il revient à l'organe délibérant de chaque collectivité territoriale ou établissement public local de fixer lui-même la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen des indemnités bénéficiant aux fonctionnaires de la collectivité ou de l'établissement public, sans que le régime ainsi institué puisse être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat d'un grade et d'un corps équivalents au grade et au cadre d'emplois de ces fonctionnaires territoriaux et sans que la collectivité ou l'établissement public soit tenue de faire bénéficier ses fonctionnaires de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de l'Etat.
4. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services (...) ". Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. (...) / 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence (...) ". Aux termes de l'article 37 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " A l'issue de chaque période de congé de longue maladie ou de longue durée, le traitement intégral ou le demi-traitement ne peut être payé au fonctionnaire qui ne reprend pas son service qu'autant que celui-ci a demandé et obtenu le renouvellement de ce congé. / Au traitement ou au demi-traitement s'ajoutent les avantages familiaux et la totalité ou la moitié des indemnités accessoires, à l'exclusion de celles qui sont attachées à l'exercice des fonctions ou qui ont le caractère de remboursement de frais ".
5. Il résulte de ces dispositions que les fonctionnaires de l'Etat placés en congé de longue maladie ou de longue durée n'ont pas droit au maintien des indemnités attachées à l'exercice des fonctions, au nombre desquelles figure l'IFSE prévue à l'article 1er du décret du 20 mai 2014 portant création d'un RIFSEEP dans la fonction publique de l'Etat. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le régime indemnitaire fixé par la délibération contestée du conseil municipal de Charleville-Mézières se distingue du régime applicable aux fonctionnaires de l'Etat en ce qu'il prévoit le maintien de plein droit de l'IFSE instituée au profit des agents de cette collectivité en cas de congé de longue durée ou de longue maladie. Il en résulte qu'en jugeant que ce régime indemnitaire n'était pas plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat exerçant des fonctions équivalentes et que par suite le principe de parité entre les agents relevant des différentes fonctions publiques dont s'inspire l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, tel que rappelé au point 3, n'avait pas été méconnu, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la commune de Charleville-Mézières ne pouvait légalement prévoir le maintien de plein droit du versement de l'IFSE au profit de ses agents placés en congé de longue durée ou de longue maladie.
8. Il s'ensuit que la commune de Charleville-Mézières n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la délibération du 21 décembre 2017 en tant qu'elle prévoit le maintien du versement de l'IFSE aux agents placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que la commune de Charleville-Mézières demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 17 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la commune de Charleville-Mézières devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Charleville-Mézières au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la commune de Charleville-Mézières.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2021 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et Mme Pauline Berne, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 22 novembre 2021.
Le Président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Berne
La secrétaire :
Signé : Mme A... B...