Conseil d'État, 9ème chambre, 15/11/2021, 437812, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Nutreco France a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos de 2007 à 2010. Par un jugement nos 1500843, 1501218 du 29 juin 2017, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17DA01746 du 21 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel formé par la société, annulé ce jugement puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté ses demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 janvier, 9 avril 2020 et le 15 janvier 2021 au secrétariat du Conseil d'Etat, la société Nutreco France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire entièrement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Nutreco France ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue de deux vérifications de comptabilité portant sur les exercices clos de 2007 à 2010 de la société Trouw France, laquelle forme avec la société Nutreco France un groupe fiscalement intégré, l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, la déductibilité de commissions versées par la société Trouw France à la société Pitcorn Group Ltd établie en République des Seychelles. En conséquence de cette rectification et en sa qualité de société mère du groupe fiscalement intégré, la société Nutreco France a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés dont elle a vainement réclamé le dégrèvement. Par un jugement du 29 juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments d'imposition. La société Nutreco France se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 novembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement puis, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté à nouveau ses demandes.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts : " (...) les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ".

3. Pour l'application de ces dispositions, la charge de la preuve de ce que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié incombe à l'administration. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d'imposition, mais sur l'ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu'exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi. Le contribuable peut, de son côté, faire valoir, en réponse à l'administration, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause. Dans le cas où l'administration doit être regardée, au vu de l'ensemble des éléments ainsi produits par les parties, comme ayant établi que le bénéficiaire n'est pas imposable ou est assujetti à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Trouw France, qui exerce une activité de fabrication d'aliments piscicoles, a conclu le 30 mars 2007 avec la société néerlandaise Trouw Nutrition Russia BV et la société seychelloise Pitcorn Group Ltd, une convention tripartite confiant à cette dernière la mission de lui adresser des informations régulières sur le marché piscicole russe à des fins de prospection. Il ressort également des termes de cet arrêt que, depuis l'année 2007, la société Trouw France cède la partie de sa production destinée au marché russe à la société Trouw Nutrition Russia BV, qui la revend elle-même à la société de droit russe Techkorm JV, laquelle est chargée de la distribution des produits français en Russie.

5. Pour juger non déductibles en raison de leur caractère anormal les commissions versées par la société Trouw France à la société Pitcorn Group Ldt, la cour s'est fondée sur la circonstance que la société française n'intervenait pas directement sur le marché russe et, par suite, que les prestations de la société seychelloise n'avaient aucune utilité pour elle. En statuant ainsi alors que cette seule circonstance n'était pas de nature à retirer aux prestations en litige leur caractère utile pour l'exploitation de la société Trouw France, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. Il suit de là que l'arrêt attaqué doit être annulé.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Nutreco France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 21 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : L'Etat versera à la société Nutreco France la somme de 3 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Nutreco France.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 octobre 2021 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; Mme Anne Egerszegi, conseillère d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 15 novembre 2021.


Le président :
Signé : M. Frédéric Aladjidi
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
La secrétaire :
Signé : Mme A... B...


ECLI:FR:CECHS:2021:437812.20211115
Retourner en haut de la page