Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05/11/2021, 433367
Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05/11/2021, 433367
Conseil d'État - 9ème - 10ème chambres réunies
- N° 433367
- ECLI:FR:CECHR:2021:433367.20211105
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
05 novembre 2021
- Rapporteur
- M. Nicolas Agnoux
- Avocat(s)
- CABINET BRIARD
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. et Mme B... O... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations d'impôts sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 à 2011 et de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1609979 du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 18PA02227 du 6 juin 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme O... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un autre mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 août et 6 novembre 2019, le 21 octobre 2020 et le 20 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme O... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. et Mme B... O... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme O..., créateurs d'une gamme de produits parapharmaceutiques à base d'huiles essentielles, ont cédé, le 5 juin 2008, les marques et les brevets de cette gamme à la société de droit britannique Sisig pour la somme de 50 000 euros. Cette dernière a conclu, le lendemain et pour une durée de cinq ans renouvelables, un contrat de licence exclusive avec la société de droit belge Aroma Théra, devenue Puressentiel Bénélux puis Laboratoire Puressentiel Bénélux, représentée par Mme O... et dont les requérants détiennent conjointement 51,6 % du capital. A la suite d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2009 à 2011, M. et Mme O... ont été imposés, sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts, à raison des redevances perçues par la société Sisig en application du contrat de licence pour des montants respectifs de 98 253, 296 500 et 480 000 euros. M. et Mme O... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 6 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 mai 2018 rejetant leur demande en décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 à 2011, de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que de la majoration de 80 % pour activité occulte prévue à l'article 1728 du code général des impôts dont ces impositions ont été assorties.
2. Aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'au cours des années en litige, la société Sisig n'avait aucune activité réelle et que les décisions relatives à l'entretien des marques et brevets étaient prises par Mme O... qui devait, dès lors, être regardée comme réalisant les prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets. La cour en a déduit que l'administration pouvait faire application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts pour imposer au nom de M. et Mme O... les redevances versées en exécution du contrat de licence du 6 juin 2008.
4. En statuant par ces motifs alors, d'une part, que les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d'exploiter une licence de marques et brevets ne peuvent être regardées comme la contrepartie d'un service rendu au sens et pour l'application de l'article 155 A du code général des impôts et que, d'autre part, l'entretien, le renouvellement, l'extension des marques et brevets et, plus généralement, l'accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit et, par suite, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. M. et Mme O... sont donc fondés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Il résulte de l'instruction que les redevances versées en exécution du contrat de licence du 6 juin 2008 rémunéraient le droit d'exploiter à titre exclusif les marques et brevets et ne pouvaient être regardées comme rémunérant des prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets, rendues par Mme O..., dissociables de la concession de ces marques et brevets. Dès lors, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'administration fiscale ne pouvait faire application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts pour imposer, à raison de ces prestations, les redevances en litige au nom de M. et Mme O....
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. et Mme O... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de années 2009, 2010 et 2011 et de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que des majorations correspondantes, et à demander la décharge de ces impositions.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à M. et Mme O... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 6 juin 2019 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 mai 2018 sont annulés.
Article 2 : M. et Mme O... sont déchargés des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de années 2009, 2010 et 2011 et de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que des majorations correspondantes.
Article 3: L'Etat versera à M. et Mme O... une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... O... et au ministre des finances, de l'économie et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la Section du contentieux, présidant ; M. K... J..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A... N..., M. G... I..., Mme L... D..., M. M... E..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. P... C...
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Agnoux
La secrétaire :
Signé : Mme F... H...
ECLI:FR:CECHR:2021:433367.20211105
M. et Mme B... O... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations d'impôts sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 à 2011 et de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1609979 du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 18PA02227 du 6 juin 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme O... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un autre mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 août et 6 novembre 2019, le 21 octobre 2020 et le 20 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme O... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. et Mme B... O... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme O..., créateurs d'une gamme de produits parapharmaceutiques à base d'huiles essentielles, ont cédé, le 5 juin 2008, les marques et les brevets de cette gamme à la société de droit britannique Sisig pour la somme de 50 000 euros. Cette dernière a conclu, le lendemain et pour une durée de cinq ans renouvelables, un contrat de licence exclusive avec la société de droit belge Aroma Théra, devenue Puressentiel Bénélux puis Laboratoire Puressentiel Bénélux, représentée par Mme O... et dont les requérants détiennent conjointement 51,6 % du capital. A la suite d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2009 à 2011, M. et Mme O... ont été imposés, sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts, à raison des redevances perçues par la société Sisig en application du contrat de licence pour des montants respectifs de 98 253, 296 500 et 480 000 euros. M. et Mme O... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 6 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 mai 2018 rejetant leur demande en décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 à 2011, de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que de la majoration de 80 % pour activité occulte prévue à l'article 1728 du code général des impôts dont ces impositions ont été assorties.
2. Aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'au cours des années en litige, la société Sisig n'avait aucune activité réelle et que les décisions relatives à l'entretien des marques et brevets étaient prises par Mme O... qui devait, dès lors, être regardée comme réalisant les prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets. La cour en a déduit que l'administration pouvait faire application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts pour imposer au nom de M. et Mme O... les redevances versées en exécution du contrat de licence du 6 juin 2008.
4. En statuant par ces motifs alors, d'une part, que les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d'exploiter une licence de marques et brevets ne peuvent être regardées comme la contrepartie d'un service rendu au sens et pour l'application de l'article 155 A du code général des impôts et que, d'autre part, l'entretien, le renouvellement, l'extension des marques et brevets et, plus généralement, l'accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit et, par suite, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. M. et Mme O... sont donc fondés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Il résulte de l'instruction que les redevances versées en exécution du contrat de licence du 6 juin 2008 rémunéraient le droit d'exploiter à titre exclusif les marques et brevets et ne pouvaient être regardées comme rémunérant des prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets, rendues par Mme O..., dissociables de la concession de ces marques et brevets. Dès lors, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'administration fiscale ne pouvait faire application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts pour imposer, à raison de ces prestations, les redevances en litige au nom de M. et Mme O....
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. et Mme O... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de années 2009, 2010 et 2011 et de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que des majorations correspondantes, et à demander la décharge de ces impositions.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à M. et Mme O... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 6 juin 2019 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 mai 2018 sont annulés.
Article 2 : M. et Mme O... sont déchargés des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de années 2009, 2010 et 2011 et de la cotisation exceptionnelle sur les hauts revenus mise à leur charge au titre de l'année 2011, ainsi que des majorations correspondantes.
Article 3: L'Etat versera à M. et Mme O... une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... O... et au ministre des finances, de l'économie et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la Section du contentieux, présidant ; M. K... J..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A... N..., M. G... I..., Mme L... D..., M. M... E..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. P... C...
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Agnoux
La secrétaire :
Signé : Mme F... H...