Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 15/07/2021, 453490

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 juin, le 12 juin et le 6 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A... B... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de la deuxième phrase du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts le 23 septembre 2013 sous la référence BOI-RFPI-PVI-10-40-30 ;

2°) d'enjoindre au ministre d'abroger ces dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2021, présentée par M. B... ;






Considérant ce qui suit :

1. M. B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le refus d'abroger la deuxième phrase du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs publiés le 23 septembre 2013 au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-RFPI-PVI-10-40-30, par lesquels le ministre de l'économie et des finances a fait connaître son interprétation des dispositions du 1° bis du II de l'article 150 U du code général des impôts, relatives à l'exonération d'impôt sur le revenu des plus-values résultant de la première cession d'un logement autre que la résidence principale.

2. Aux termes de l'article 150 U du code général des impôts : " I. - Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées par les personnes physiques ou les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter, lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH. / (...) II. - Les dispositions du I ne s'appliquent pas aux immeubles, aux parties d'immeubles ou aux droits relatifs à ces biens : / (...) 1° bis Au titre de la première cession d'un logement, y compris ses dépendances immédiates et nécessaires au sens du 3° si leur cession est simultanée à celle dudit logement, autre que la résidence principale, lorsque le cédant n'a pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession. / L'exonération est applicable à la fraction du prix de cession défini à l'article 150 VA que le cédant remploie, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession, à l'acquisition ou la construction d'un logement qu'il affecte, dès son achèvement ou son acquisition si elle est postérieure, à son habitation principale. En cas de manquement à l'une de ces conditions, l'exonération est remise en cause au titre de l'année du manquement ; (...) ".

3. Il résulte des dispositions du 1° bis du II de l'article 150 U du code général des impôts citées au point 2, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 dont elles sont issues, qu'en subordonnant l'octroi d'une exonération d'impôt sur le revenu des plus-values réalisées par les personnes physiques lors de la première cession d'un logement autre que la résidence principale, en vue d'un remploi dans les vingt-quatre mois à l'acquisition ou la construction de son habitation principale, à la condition que le cédant n'ait pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession, le législateur a entendu favoriser l'investissement dans l'acquisition d'une résidence principale et en réserver le bénéfice aux contribuables qui ne détiennent aucun droit réel immobilier sur le bien qu'ils ont élu pour domicile.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. M. B... soutient que les dispositions du 1° bis du II de l'article 150 U du code général des impôts, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en tant qu'elles excluent du bénéfice de l'exonération de la plus-value réalisée au titre de la cession d'un immeuble à usage d'habitation autre que la résidence principale les contribuables qui ont détenu l'usufruit de leur résidence principale au cours des quatre années précédant cette cession.

6. D'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts poursuivis sans que cette appréciation entraîne de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. En réservant, comme il a été dit au point 3, le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu des plus-values réalisées par les personnes physiques lors de la première cession d'un logement autre que la résidence principale aux contribuables qui n'ont détenu aucun droit réel sur cette résidence, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession, le législateur, qui s'est fixé comme objectif de favoriser l'accès à la propriété de la résidence principale, s'est fondé sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi. S'il en résulte une différence de traitement entre les contribuables qui, notamment, ont été titulaires, temporairement ou non, d'un usufruit sur leur résidence principale au cours de la période de référence et ceux qui l'ont occupée au cours de cette même période en vertu d'un contrat de location, celle-ci est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.

8. Par suite, ne présentent pas un caractère sérieux les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaitraient les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques rappelés au point 6, en tant qu'elles excluent du bénéfice de l'exonération de la plus-value réalisée au titre de la cession d'un immeuble à usage d'habitation autre que la résidence principale les contribuables qui ont détenu un usufruit sur leur résidence principale au cours des quatre années précédant cette cession.

9. La question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente ainsi pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

10. La deuxième phrase du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs contestés, qui ont pour objet d'éclairer la portée des dispositions législatives citées au point 2, indique, s'agissant de la condition, à laquelle est notamment subordonné le bénéfice de l'exonération des plus-values réalisées lors de la première cession d'un logement autre que la résidence principale, tenant à ce que le cédant ne doit pas avoir été propriétaire de celle-ci, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession, que : " De même, la détention d'un droit démembré ou d'un droit indivis sur un immeuble d'habitation affecté à la résidence principale du cédant est de nature à priver le contribuable du bénéfice de l'exonération ".

11. M. B... soutient que ces dernières énonciations ajouteraient illégalement aux dispositions du 1 bis du II de l'article 150 U du code général des impôts et seraient contraires aux objectifs poursuivis par le législateur.

12. Toutefois, il résulte de de ce qui a été dit au point 3 que les énonciations du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs litigieux, en rappelant que la détention par le cédant d'un droit réel immobilier sur le bien qu'il a élu pour résidence principale fait obstacle à ce qu'il puisse bénéficier de l'exonération des plus-values qu'il a réalisées lors de la première cession d'un logement autre que sa résidence principale, se bornent à expliciter, sans y ajouter, les dispositions de l'article du 1 bis du II de l'article 150 U du code général des impôts. Ne peut par suite qu'être écarté le moyen tiré de ce que ces commentaires énonceraient une règle qui méconnaîtrait l'objectif poursuivi par le législateur.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger les commentaires administratifs qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

ECLI:FR:CECHR:2021:453490.20210715
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