CAA de PARIS, 3ème chambre, 30/06/2021, 20PA03999, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 décembre 2019 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2002634/4-1 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.


Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 décembre 2020, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 18 juin 2020 ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que l'avis médical rendu par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) n'a pas été délibéré de manière collégiale ;
- ledit avis n'a pas été émis à la suite d'une délibération collégiale, en méconnaissance de l'arrêté du 27 décembre 2016 ;
- cet avis est irrégulier dès lors qu'il ne se prononce pas sur la disponibilité de son traitement dans son pays d'origine ; ce défaut l'a privé d'une garantie substantielle ;
- la charge de la preuve de cette disponibilité incombe au préfet, qui n'apporte aucun élément en ce sens ;
- l'arrêté du 16 décembre 2019 méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le suivi pluridisciplinaire que requiert son état de santé n'est pas possible dans son pays d'origine ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de son arrêté sur sa situation personnelle ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'est pas suffisamment motivée en droit ;
- cette décision viole les dispositions de l'article L. 511-4 alinéa 11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle fixe de manière automatique le délai de départ volontaire à un mois ;
- le délai d'un mois qui lui est accordé pour quitter le territoire français est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, au regard de sa situation personnelle.


La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas produit de mémoire en défense.


Par une décision du 3 novembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris a accordé à M. A... B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me D..., représentant M. A... B....



Considérant ce qui suit :


1. M. A... B..., ressortissant tunisien né le 1er mai 1999, est entré en France le 12 janvier 2017 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 16 octobre 2019, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 11° alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 décembre 2019, le préfet de police a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... B... relève appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.


Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 16 décembre 2019 :

2. Aux termes de l'article L. 313-11, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'un certificat établi le 20 janvier 2020 par le médecin chef de la Clinique du Bourget, que M. A... B... a été victime, le 15 décembre 2018, d'une agression avec traumatisme crânien facial grave. Après avoir subi une hémorragie intraventriculaire, vingt-et-un jours de coma et une amnésie post-traumatique de cinquante-deux jours, il a été hospitalisé dans un service de réanimation puis de post-réanimation. Il a ensuite été pris en charge en hospitalisation de jour par la Clinique du Bourget, centre de référence pour la prise en charge des patients cérébrolésés avec troubles cognitifs sévères. M. A... B..., placé sous curatelle renforcée par jugement du 1er octobre 2019, présente d'importantes séquelles cognitives et fonctionnelles et a suivi de manière régulière des soins spécialisés en neuropsychologie, orthophonie, ergothérapie et d'activité physique adaptée. Un certificat médical établi le 26 novembre 2020 mentionne la nécessité d'une prise en charge psychiatrique au sein de l'établissement Barthélemy Durand d'Étampes. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le défaut de ces soins aurait sur son état de santé des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'un suivi similaire à celui dont il bénéficie en France n'est pas possible en Tunisie, comme l'indiquent notamment un certificat médical établi à Zarzis par un neurologue tunisien le 12 mars 2020, ainsi que des attestations du directeur régional de la santé de Médenine du 10 mars 2020 et du service de médecine physique et de rééducation-réadaptation fonctionnelle du centre hospitalier universitaire Habib Bourguiba de Sfax du 18 février 2020. Dans ces conditions, en refusant de délivrer à M. A... B... un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police a commis une erreur d'appréciation. Son arrêté du
16 décembre 2019 est par suite entaché d'illégalité et doit donc être annulé en toutes ses dispositions.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.


Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus à la demande de M. A... B..., le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité lui délivre un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité d'étranger malade. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de délivrer ce titre dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.


Sur les frais liés au litige :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocat de M. A... B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement 2002634/4-1 du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 16 décembre 2019 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, de délivrer à M. A... B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 500 euros à Me D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience publique du 15 juin 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président,
- Mme Marie-Dominique Jayer, premier conseiller,
- Mme Gaëlle C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2021.
Le rapporteur,




G. C... Le président,
I. LUBEN
Le greffier,

E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
20PA03999 2



Retourner en haut de la page