CAA de MARSEILLE, 6eme chambre - formation a 3, 14/06/2021, 20MA02803, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société nouvelle d'entreprise de spectacles a demandé au tribunal administratif de Montpellier, à titre principal, d'annuler le bail emphytéotique administratif conclu le 23 avril 2018 entre la commune de Canet-en-Roussillon et la société L'Yre Canet en vue de la construction d'un complexe cinématographique ou, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat.


Par un jugement n° 1803017 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 août 2020, la société nouvelle d'entreprise de spectacles, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) à titre principal, d'annuler le bail emphytéotique administratif conclu le 23 avril 2018 entre la commune de Canet-en-Roussillon et la société L'Yre Canet ;

3°) à titre subsidiaire, de résilier ce contrat ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Canet-en-Roussillon la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé car il écarte le moyen tiré de ce que le contrat est une délégation de service public sans répondre à son argumentation ;
- le contrat en cause est irrégulier faute d'avoir été soumis à la procédure de mise en concurrence prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales car il constitue en réalité une délégation de service public ;
- ce contrat constitue en réalité un marché public dès lors que, conclu à titre onéreux, il répond aux besoins de la commune ;
- la commune a méconnu les dispositions de l'article L. 2122-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 19 avril 2017, qui l'obligeaient à procéder à une mise en concurrence dès lors que le terrain en cause devait être affecté à un service public moyennant un aménagement l'adaptant aux besoins de ce service.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 décembre 2020, la commune de Canet-en-Roussillon, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société nouvelle d'entreprise de spectacles en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par la société nouvelle d'entreprise de spectacles sont infondés.

Par ordonnance du 21 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 8 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur,
- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société nouvelle d'entreprise de spectacles et de Me C... pour la commune de Canet-en-Roussillon.

Une note en délibéré présentée pour la société nouvelle d'entreprise de spectacles a été enregistrée le 2 juin 2021.

Une note en délibéré présentée pour la commune de Canet-en-Roussillon a été enregistrée le 4 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Le conseil municipal de Canet-en-Roussillon a, par délibération du 18 avril 2017, approuvé la conclusion d'un bail emphytéotique administratif par lequel la commune a mis à disposition de la société L'Yre Canet des parcelles appartenant à son domaine privé en vue de la construction et de l'exploitation d'un cinéma. Ce bail a été signé le 23 avril 2018. La société nouvelle d'entreprise de spectacles a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler ce contrat ou, à titre subsidiaire, d'en prononcer la résiliation. Le tribunal a, par le jugement attaqué, rejeté cette demande.



Sur la régularité du jugement attaqué :



2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Si la société nouvelle d'entreprise de spectacles soutient que le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le contrat en cause était relatif à l'organisation d'un service public et constituait une délégation de service public, les premiers juges ont expressément répondu à ce moyen au point 7 de leur jugement en écartant cette qualification faute de contrôle de la commune sur l'activité menée par la société L'Yre Canet. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation.



Sur le bien-fondé du jugement attaqué :



4. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.


5. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice du consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

6. Aux termes des dispositions de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales dans leur rédaction alors en vigueur : " Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif. / Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l'affectation du bien résultant soit du bail ou d'une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public, sous réserve que cette dépendance demeure hors du champ d'application de la contravention de voirie. / Un tel bail ne peut avoir pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d'une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, pour le compte ou pour les besoins d'un acheteur soumis à l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ou d'une autorité concédante soumise à l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. / Dans le cas où un tel bail serait nécessaire à l'exécution d'un contrat de la commande publique, ce contrat prévoit, dans le respect des dispositions du présent code, les conditions de l'occupation du domaine. ".

7. En premier lieu, indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission.


8. En l'espèce, l'activité de projection cinématographique et d'animation culturelle que la société L'Yre Canet entend mener dans le bâtiment à édifier sur le fondement du bail attaqué n'a pas été qualifiée de service public par la loi. Si elle peut être regardée comme présentant, pour la commune de Canet en Roussillon, le caractère d'une activité d'intérêt général, ni le bail emphytéotique conclu le 23 avril 2018, ni la délibération l'approuvant ne comportent de stipulations impartissant des objectifs précis à la société L'Yre Canet ou assurant le contrôle de cette activité par la commune, la stipulation du bail intitulée " contrôle du bailleur " ne pouvant être comprise, au vu de la généralité de ses termes, que comme prévoyant un contrôle d'ordre général sur l'utilisation des lieux par l'emphytéote et non sur la consistance, les modalités et les résultats de son activité. Par ailleurs, si la convention de subvention approuvée le 12 février 2018 par le conseil municipal de Canet-en-Roussillon prévoit, en contrepartie du versement d'une subvention à la société L'Yre Canet, la réalisation d'un certain nombre d'entrées hebdomadaires ou l'obtention par la société L'Yre Canet d'un classement " arts et essais ", ces conditions suspensives, qui ressortent d'un contrat distinct de celui attaqué par la société nouvelle d'entreprise de spectacles, n'impliquent aucun contrôle effectif de la commune sur les conditions dans lesquelles la société mène ces activités, dont la commune n'a au demeurant pas pris l'initiative et sur l'organisation desquelles elle n'exerce aucun droit de regard susceptible de caractériser une volonté de confier une mission de service public à la société L'Yre Canet. Enfin, la circonstance que l'activité menée par la société L'Yre Canet fait l'objet d'une promotion par la commune et que cette activité est encadrée par des dispositions législatives et réglementaires, même reliée aux stipulations du bail et de la convention de subvention qui viennent d'être évoquées, ne sauraient davantage faire regarder cette activité comme un service public. Il en résulte que le contrat en cause ne constituant pas une délégation de service public, la commune n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre principe ou disposition imposant une procédure de publicité et de mise en concurrence avant la passation d'un tel contrat.


9. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article 4 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 : " (...) Les marchés sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. (...). ".


10. Si le contrat attaqué prévoit l'édification d'un cinéma et des ouvrages annexes, lesquels feront retour à la commune à l'expiration du bail conformément aux principes et dispositions régissant un tel contrat, le bail emphytéotique administratif contesté ne comporte, s'agissant des ouvrages à édifier, aucune prescription technique émanant de la commune susceptible de caractériser un besoin précisé par celle-ci et de faire regarder la collectivité comme le maître de l'ouvrage direct de cette opération. Dès lors, si le contrat en cause satisfait un besoin d'intérêt général d'ordre touristique et culturel qui n'est pas étranger à la commune, il ne vise pas à satisfaire un intérêt économique direct de celle-ci et il ne saurait par conséquent être rangé au nombre des marchés publics. La commune de Canet-en-Roussillon n'a donc méconnu aucune disposition ou principe en s'abstenant de faire précéder la passation du bail en cause de la procédure de publicité et de mise en concurrence applicable aux marchés publics.






11. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 2122-1 du code général des collectivités territoriales : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. / Le titre mentionné à l'alinéa précédent peut être accordé pour occuper ou utiliser une dépendance du domaine privé d'une personne publique par anticipation à l'incorporation de cette dépendance dans le domaine public, lorsque l'occupation ou l'utilisation projetée le justifie. / Dans ce cas, le titre fixe le délai dans lequel l'incorporation doit se produire, lequel ne peut être supérieur à six mois, et précise le sort de l'autorisation ainsi accordée si l'incorporation ne s'est pas produite au terme de ce délai.". En vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2122-1-1 du même code : " Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l'article L. 2122-1 permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. ".



12. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 8 ci-dessus que le bail emphytéotique administratif attaqué ne confie aucune activité de service public à la société L'Yre Canet, qui n'exerce par elle-même aucune activité de service public. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, les parcelles domaniales objets de ce contrat ne sauraient être regardées comme appartenant au domaine public en raison de leur aménagement en vue de l'exercice d'un service public. La société nouvelle d'entreprise de spectacles n'est dès lors pas fondée à soutenir que la procédure de passation du contrat attaqué méconnaîtrait les dispositions précitées



13. Il résulte de tout ce qui précède que la société nouvelle d'entreprise de spectacles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par leur jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation ou à la résiliation du bail emphytéotique administratif conclu le 23 avril 2018.



Sur les frais liés au litige :



14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société nouvelle d'entreprise de spectacles sur leur fondement soit mise à la charge de la commune de Canet-en-Roussillon, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de la société nouvelle d'entreprise de spectacles à verser à la commune de Canet-en-Roussillon en vertu de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société nouvelle d'entreprise de spectacles est rejetée.
Article 2 : La société nouvelle d'entreprise de spectacles versera une somme de 2 000 euros à la commune de Canet-en-Roussillon en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société nouvelle d'entreprise de spectacles et à la commune de Canet-en-Roussillon.
Copie en sera adressée à la société L'Yre Canet

Délibéré après l'audience du 31 mai 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,
- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure,
- M. D... Grimaud, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2021.
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N° 20MA02803
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