CAA de NANCY, 2ème chambre, 27/05/2021, 20NC00478, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 5 février 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui renouveler son titre de séjour.

Par un jugement n° 1802768 du 30 juillet 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 février 2020, Mme A... C..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 juillet 2019 ;

2°) d'annuler cette décision du 5 février 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant de travailler ou subsidiairement de réexaminer sa situation et dans cette attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu les stipulations des articles 7 bis et 6-2 de l'accord franco-algérien, ainsi que les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.


Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.


Le défenseur des droits a produit des observations le 2 avril 2021.


Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2020.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 28 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Mme C....


Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née en 1978 et de nationalité algérienne, est entrée régulièrement en France le 7 décembre 2014 sous couvert d'un visa court séjour. A la suite de son mariage avec un ressortissant français, l'intéressée s'est vu délivrer un certificat de résidence algérien valable du 13 juin 2016 au 12 juin 2017. Le 9 mai 2017, Mme C... a déposé une demande de renouvellement de son titre de séjour. Par décision du 5 février 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui renouveler son titre de séjour au motif que la communauté de vie avec son mari était rompue. Mme C... relève appel du jugement du 30 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 5 février 2018.

2. En premier lieu, Mme C... se borne à reprendre en appel, avec la même argumentation qu'en première instance, les moyens tirés du défaut de motivation et d'examen particulier. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon escient par les premiers juges aux points 4 et 5 de son jugement.

3. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2) ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre époux ".

4. Ces stipulations régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissante algérienne ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au renouvellement du titre de séjour lorsque l'étranger a subi des violences conjugales et que la communauté de vie a été rompue, il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient seulement au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.

5. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, Mme C... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sa situation étant exclusivement régie par les stipulations de l'accord franco-algérien. Cependant, la requérante faisant étant de violences de la part de son époux à l'origine selon elle de la rupture de la vie commune, justifiant le renouvellement de son titre de séjour, il y a lieu de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.

6. Pour refuser à Mme C... le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de la Meurthe-et-Moselle s'est fondé sur la circonstance qu'elle ne justifiait plus d'une communauté de vie avec son époux. L'intéressée soutient qu'elle s'est séparée de son conjoint en raison des violences physiques et psychologiques qu'elle a subies de la part de celui-ci depuis son arrivée sur le territoire français. Elle argue par ailleurs de ce que son ex-mari lui aurait transmis une maladie sexuellement transmissible.

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a épousé son mari, de nationalité française, le 26 octobre 2015 après avoir conclu un pacte civil de solidarité en mai 2015. Au cours de leur union, elle a déposé plusieurs mains-courantes pour des faits de menaces et injures de la part de sa belle-famille et de différends entre époux les 24 janvier et 19 septembre 2017. A la suite de la demande de divorce déposée par le mari de Mme C... le 12 janvier 2017 et de l'ordonnance de non-conciliation du tribunal de grande instance de Nancy du 29 mai 2017, l'intéressée a définitivement quitté le domicile conjugal le 9 novembre 2017. Le 21 novembre 2017, elle a déposé plainte à l'encontre de son époux pour non-paiement de la prestation compensatoire prévue par l'ordonnance de non-conciliation du 29 mai 2017, sans toutefois faire état des violences qu'elle aurait subies. Le 7 novembre 2017, Mme C... a assigné son mari devant la juridiction judiciaire par une requête en divorce pour fautes en se prévalant notamment des violences sexuelles et psychologiques endurées durant leur union. Par jugement du 11 avril 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nancy a constaté les manquements de l'époux de Mme C... à son obligation de fidélité et a prononcé pour ce motif le divorce aux torts exclusifs de ce dernier, sans cependant évoquer dans la motivation de son jugement les violences invoquées. En outre, la requérante produit l'attestation du 20 mars 2018 d'un médecin du service de médecine légale du centre hospitalier régional universitaire de Nancy, qui a constaté que Mme C... présente un état anxieux et des troubles du sommeil pouvant faire suite à un harcèlement régulier de son ancien conjoint, sans toutefois établir avec certitude de lien direct. Elle produit également le compte-rendu d'une échographie obstétricale du 30 juin 2015 constatant l'arrêt d'une grossesse au cours du premier trimestre sans que le motif en soit précisé et les résultats de frottis du 14 février 2017 attestant la présence d'un papillomavirus humains (HPV) oncogène, infection sexuellement transmissible. L'ensemble de ces pièces ne permettent pas pour autant de tenir pour établies les violences invoquées par la requérante qui seraient responsables selon elle de la rupture de la communauté de vie. Il en est de même s'agissant des attestations non circonstanciées de tiers produites par la requérante. Dans ces conditions, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Meurthe-et-Moselle aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation à laquelle il s'est livré de sa situation personnelle dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.

8. En troisième lieu, Mme C... ne peut utilement se prévaloir des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que la situation des ressortissants algériens est exclusivement régie par les stipulations de l'accord franco-algérien.

9. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Mme C... a vécu en Algérie jusqu'à l'âge de trente-six ans où elle était commerçante et disposait donc de revenus stables. Elle se prévaut de son insertion professionnelle en produisant la copie de contrats de missions intérimaires et de contrats à durée déterminée, ainsi qu'une promesse d'embauche du 2 novembre 2018 pour un poste d'agent commercial. Cependant, la requérante n'était présente en France, à la date de la décision attaquée, que depuis un peu plus de trois ans et ne démontre pas ne plus avoir d'attaches familiales en Algérie. Si Mme C... démontre également avoir satisfait aux épreuves de connaissances en langue française et avoir participé à la formation civique, elle ne peut être regardée, compte tenu notamment du caractère récent de son séjour et en l'absence d'attaches privées stables et anciennes en France, comme ayant ancré définitivement sa vie privée en France. Dans ces circonstances, et malgré les efforts d'insertion dont la requérante a fait preuve sur le territoire national, la décision attaquée ne peut être regardée comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et comme ayant ainsi méconnu les stipulations l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.



D E C I D E :



Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre de l'intérieur et au défenseur des droits.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.


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N° 20NC00478



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