Conseil d'État, Juge des référés, 07/05/2021, 451686, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 et 22 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Libre Horizon, représentant unique, et Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision implicite du 14 février 2021 par laquelle la ministre de la transition écologique a rejeté la demande du 11 décembre 2020 d'abrogation de la décision du 6 avril 2012 désignant l'exploitant du parc éolien au large de Courseulles-sur-Mer et de la décision du 18 avril 2012 autorisant la société Eolien Maritime France à exploiter une installation de production d'électricité sur le domaine public maritime au large de Courseulles-sur-Mer ;

2°) d'enjoindre à la ministre de la transition écologique de faire cesser sans délai les travaux qui viennent de débuter, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard a` compter de l'ordonnance a` venir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- elles ont intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les travaux de génie civil ont commencé depuis le mois de mars 2021 et vont prendre de l'ampleur, à proximité immédiate de la commune de Courseulles-sur-Mer, de telle sorte que ce chantier conduira irrémédiablement à altérer un des sites terrestres et historiques des plages du Débarquement et porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate a` leur situation et aux intérêts qu'elles défendent ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, les principes d'égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence justifiant la nécessité d'une nouvelle mise en concurrence préalable à la modification de la composition du capital de l'attributaire opérée en 2016, qui constitue une modification substantielle, la société Enbridge remplaçant la société Dong Energy ne présentant pas les mêmes garanties et ne répondant pas aux exigences du cahier des charges.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2021, la société Eolien Maritime France et la société Eoliennes offshore du Calvados concluent au rejet de la requête. Elles soutiennent que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître de la décision attaquée, que la requête est irrecevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Elles demandent à ce qu'il soit mis à la charge des associations requérantes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la requête est irrecevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 28 avril 2021, les associations requérantes maintiennent leurs conclusions par les mêmes moyens.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que la décision qui sera prise dans cette affaire est susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public relevé d'office tiré de l'incompétence du Conseil d'Etat à connaître du refus d'abroger des actes ministériels non réglementaires, en application de l'article R. 311-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les associations Libre Horizon et Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et, d'autre part, la société Eolien Maritime France, la société Eoliennes offshore du Calvados et la ministre de la transition écologique ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 avril 2021, à 16 heures :

- Me de La Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des associations Libre Horizon et Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France ;

- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des sociétés Eolien Maritime France et de la société Eoliennes offshore du Calvados ;

- les représentants des associations requérantes ;

- les représentants des sociétés défenderesses ;

- les représentants de la ministre de la ministre de la transition écologique ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.


Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 avril 2021, présentée par les associations Libre Horizon et Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 mai 2021, présentée par la société Eoliennes offshore du Calvados et la société Eolien Maritime France ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des éléments fournis par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

3. Par un avis publié au Journal Officiel de l'Union européenne du 5 juillet 2011, le ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, ont mis en oeuvre, en application des dispositions de l'article L. 311-1 du code de l'énergie, une procédure d'appel d'offres portant sur cinq lots en vue de la sélection des opérateurs chargés de répondre aux objectifs de développement de la production électrique à partir de l'énergie éolienne en mer. Par décision des ministres du 6 avril 2012, la société Eolien Maritime France a été déclarée attributaire du lot n° 3 portant sur une installation de production d'énergie électrique au large de la commune de Courseulles-sur-Mer (Calvados). Par un arrêté du 18 avril 2012, cette société a été autorisée à exploiter sur ce site un parc éolien d'une capacité maximale totale de production de 500 MW. Par un arrêté du 6 novembre 2012, l'autorisation d'exploiter a été transférée de la société Eolien Maritime à la société Eoliennes Offshore du Calvados, détenue à 15% par la société WDP Offshore et à 85% par la société Eolien Maritime France, dont le capital était lui-même composé à 60% de la société EDF Energies Nouvelles France et à 40% de la société Dong Energy. Depuis septembre 2016, ce capital est détenu à 50% par la société EDF Energies Nouvelles France et à 50% par la société Enbridge. L'association Libre Horizon et l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France demandent la suspension du refus d'abroger les décisions des 6 et 18 avril 2012 en raison de l'illégalité des changements capitalistiques opérés en 2016 qui, selon elles, étaient substantiels et requerraient une nouvelle mise en concurrence.

4. Pour justifier de l'urgence justifiant que soit prononcée la suspension de l'exécution de la décision qu'elles contestent, les requérantes font état de l'engagement des premiers travaux de génie civil, consistant en la construction d'une liaison souterraine de 24 kilomètres, afin de réaliser la partie terrestre du raccordement électrique entre Bernières-sur-Mer et le poste de transformation de Ranville.

5. Il résulte de l'instruction et de l'audience que ces travaux sont conduits par Réseau de Transport d'Electricité (RTE) dans le cadre d'autorisations administratives relatives à l'implantation d'une ligne électrique souterraine déclarée d'utilité publique par un arrêté du 30 juin 2016 publié au Journal officiel du 12 juillet suivant. L'exécution de ces travaux d'enfouissement de la liaison électrique, s'ils peuvent permettre à terme le raccordement électrique du poste de transformation de Ranville et ensuite du parc éolien en mer au large de Courseulles-sur-Mer, est toutefois indépendante du titulaire de l'autorisation d'exploiter l'installation de production électrique de ce parc. Par suite, les travaux dont il est fait état ne peuvent caractériser une situation d'urgence de nature à justifier la suspension de l'exécution du refus d'abroger les décisions des 6 et 18 avril 2012, au regard des effets de ces dernières, qui se limitent, d'une part, à la désignation du candidat retenu au terme de l'appel d'offre et, d'autre part, au choix du titulaire de l'autorisation d'exploiter et à la fixation du mode de production, de la capacité autorisée et du lieu d'implantation de l'installation.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que cette dernière doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de ce dernier article par les sociétés Eolien Maritime France et Eoliennes offshore du Calvados.



O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête des associations Libre Horizon et Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société Eolien Maritime France et la société Eoliennes offshore du Calvados sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Libre Horizon, représentant unique, à la société Eolien Maritime France, à la société Eoliennes offshore du Calvados et à la ministre de la transition écologique.

ECLI:FR:CEORD:2021:451686.20210507
Retourner en haut de la page