CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 04/05/2021, 19BX02187, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 mai 2019 et le 14 septembre 2020, la société Ferme éolienne de Saint-Laurent-de-Céris, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 29 mars 2019 par lequel le préfet de la Charente a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc éolien composé de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Laurent-de-Céris ;

2°) de lui accorder l'autorisation sollicitée et de définir en tant que de besoin les prescriptions nécessaires au fonctionnement de l'installation dans le respect des intérêts protégés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à défaut, d'enjoindre au préfet de lui délivrer l'autorisation et de fixer s'il y a lieu les prescriptions nécessaires au fonctionnement de l'installation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; sinon, d'enjoindre au préfet de prendre une nouvelle décision sur la demande dans un délai de deux mois sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle se fonde sur l'opposition au projet manifestée par la population au cours de l'enquête publique et par certaines communes ; un tel motif ne se rapporte pas aux intérêts protégés par les articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement ;
- il n'est pas établi que le projet porterait atteinte à l'avifaune ; l'aire d'implantation du projet n'est concernée par aucun milieu naturel protégé ; le projet retenu parmi plusieurs variantes envisagées est celui qui porte le moins d'atteinte à l'avifaune ; l'implantation choisie des éoliennes permet de diminuer le plus possible les risques de collision ; le site d'implantation est constitué de terres agricoles et de surfaces défrichées ; les travaux seront réalisés en dehors des périodes de reproduction ; le projet est situé en limite du couloir migratoire de la Grue cendrée et non au milieu de celui-ci ; les risques d'impact sont modérés ; un système d'effarouchement dont l'efficacité a été reconnue par plusieurs études sera mis en place pour éloigner les oiseaux des éoliennes et réduire d'autant le risque de collision ; en l'absence de destruction d'espèces protégées ou d'habitats d'espèces protégées, le préfet ne pouvait fonder sa décision sur l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction de ces espèces ou de ces habitats ;
- il n'est pas établi que le projet porterait atteinte aux chiroptères protégés présents dans le secteur d'implantation ; des mesures de précaution ont été définies afin de limiter le risque de mortalité des chiroptères par collision ; un plan de bridage sera mis en place pour l'arrêt des machines pendant les périodes d'activité des chiroptères ; trois des six éoliennes projetées sont plus éloignées des haies, de sorte que le risque de collision est diminué ; la présence des éoliennes à proximité des haies n'empêche pas la réalisation de mesures de suivi efficaces ; des mesures de suivi en altitude sont également prévues ; elles permettront d'adapter si nécessaire le fonctionnement du parc éolien aux exigences de protection des chiroptères ;
- le préfet ne peut fonder sa décision sur l'atteinte aux paysages et au patrimoine résultant du projet ; le site d'implantation ne présente aucun intérêt particulier ; il est formé de paysages à dominante agricole et rurale qui se prêtent bien à l'installation d'un parc éolien ; les visibilités avec la vallée de la Charente sont rares comme les photomontages joints à la demande d'autorisation ont permis de l'établir ; il n'existe pas d'effet de saturation avec d'autres parcs éoliens contrairement à ce qu'a estimé le préfet sans l'établir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.




Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... A...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteure publique,
- et les observations de Me C..., représentant la société Ferme éolienne de Saint-Laurent-de-Céris.



Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme éolienne de Saint-Laurent-de-Céris projette d'exploiter, sur le territoire de la commune de Saint-Laurent-de-Céris, un parc éolien composé de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison. A cette fin, elle a déposé en préfecture de Charente, le 23 avril 2015, une demande d'autorisation d'exploiter au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, que le préfet de la Charente a rejetée par un arrêté du 29 mars 2019. La société Ferme éolienne de Saint-Laurent-de-Céris demande à la cour d'annuler cet arrêté.

2. En premier lieu, pour refuser la délivrance de l'autorisation sollicitée, le préfet s'est notamment fondé sur l'atteinte que le projet est de nature à porter au paysage et au patrimoine existants. Il s'est référé à la définition du paysage résultant de la convention européenne des paysages, transposée en droit français à l'article L. 350-1 A du code de l'environnement, dans laquelle entre en ligne de compte la perception que la population a du territoire. Le préfet s'est aussi référé à l'atlas régional des paysages de Poitou-Charentes, document prévu à l'article L. 350-1 B du code de l'environnement, qui a identifié comme rares et remarquables les paysages environnant le projet et notamment celui du fleuve Charente. La décision en litige mentionne aussi la charte paysagère Charente Limousine qui considère le lieu d'implantation du projet comme non propice à l'éolien. Le préfet a ensuite estimé que l'implantation des éoliennes d'une hauteur de 180 m à environ 2 km du cours d'eau de la Charente engendre, compte tenu des dénivelés, un rapport d'échelle préjudiciable au paysage et nuit à l'intégrité de la vallée. Pour refuser l'autorisation sollicitée, il s'est encore fondé sur l'effet de saturation observé dans le secteur d'implantation compte tenu des parcs éoliens déjà existants et autorisés. Contrairement à ce que soutient la société requérante, qui ne conteste que la motivation de la décision fondée sur l'atteinte aux paysages et au patrimoine, cette motivation, qui permet une contestation utile, est satisfaisante.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Les installations visées à l'article L. 511-1 sont définies dans la nomenclature des installations classées établie par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre chargé des installations classées, après avis du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques. Ce décret soumet les installations à autorisation, à enregistrement ou à déclaration suivant la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter leur exploitation ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'étude d'impact, de l'étude avifaunistique jointes au dossier de demande ainsi que de l'avis de l'autorité environnementale, que le site d'implantation du projet est composé principalement de prairies encadrées de haies entières ou mitées offrant de nombreuses connexions avec des entités boisées. Les inventaires réalisés au niveau de l'aire d'étude immédiate du projet ont permis de recenser en période de nidification 76 espèces d'avifaune nicheuse dont 59 bénéficient d'une protection. L'étude d'impact précise à cet égard que l'effectif observé est " bien plus élevé que dans d'autres secteurs charentais ". Neuf espèces de rapaces ont également été observées dans ce même périmètre qu'elles utilisent principalement comme territoire de chasse. Les études de suivi des migrations ont permis de recenser 30 espèces appartenant à l'avifaune migratrice dont les vols ont surtout été observés la nuit et, pour certaines de ces espèces comme les passereaux ou le Pipit farlouse, à des hauteurs relativement faibles. Au sein du cortège avifaunistique migrateur recensé dans le périmètre d'étude immédiat, six espèces, parmi lesquelles la Grue cendrée, sont inscrites à l'annexe 1 de la directive " oiseaux ", dix espèces étant considérées comme " rares, en déclin, menacées ou quasi-menacées en France ". Il résulte des cartes n° 37 et 38 représentées dans l'étude d'impact que le périmètre d'étude immédiate du projet est traversé par des vols migratoires de plusieurs espèces, les axes de migrations suivant une ligne nord/nord-est et sud/sud-est, en particulier la Grue cendrée dont le couloir migratoire principal se situe à la limite de ce périmètre. De plus, le parc éolien est implanté quasi-perpendiculairement à la trajectoire de migration, ce qui augmente le risque de collision en particulier lorsque les conditions météorologiques sont défavorables. Les inventaires effectués sur place ont permis également de recenser 49 espèces d'avifaune hivernante, dont trois sont inscrites à l'annexe 1 de la " directive oiseaux " et 14 considérées comme " rares, en déclin, menacées ou quasi-menacées en France ". Tenant compte de l'ensemble de ces éléments, l'étude d'impact du projet a qualifié de " particulièrement riche " le cortège avifaunistique de l'aire d'implantation du projet.

5. Il résulte par ailleurs de l'instruction que dans l'aire d'implantation projetée, 14 espèces de chiroptères ont été recensées, cette diversité s'expliquant par la présence de haies, lisières et prairies pâturées que ces espèces utilisent comme territoire de chasse et corridors de déplacement. L'étude d'impact souligne à cet égard (p.119,120) " l'importance du périmètre d'étude immédiat et de sa proximité tant pour les individus en chasse à l'intérieur du site que ceux empruntant uniquement le secteur pour rejoindre leurs territoires de chasse plus distants " et précise en outre que " les résultats du suivi continu corrobore la bibliographie selon laquelle ces espèces sont décrites comme volant à faible altitude sans s'éloigner des corridors de déplacement ou des zones végétalisées favorables à la chasse ". Les cartes n° 41 et 42 de l'étude d'impact montrent la présence de ces territoires de chasse et corridors de déplacement à l'intérieur ou à proximité de l'aire d'implantation du projet. De plus, la grotte de Grosbot, reconnue comme un site majeur de reproduction, héberge 7 à 10 espèces de chauve-souris parmi lesquelles plusieurs sont rares et menacées et si elle se situe à 7 km environ du site d'implantation du projet, il ne peut être exclu que les chiroptères qui y nichent fréquentent celui-ci dès lors que leur territoire de chasse peut s'étendre au-delà de 10 km.

6. Il résulte de l'instruction que dans l'aire d'implantation du projet se trouve un cortège avifaunistique important, varié et sensible. Cette sensibilité concerne en particulier la Grue cendrée dont le couloir migratoire se situe à la limite du périmètre d'étude immédiat des éoliennes. Il en est de même pour les chiroptères pour lesquelles le lieu du futur projet présente, compte tenu des nombreuses haies arborées qui s'y trouvent, un caractère attractif. Il est de plus constant que les six éoliennes projetées d'une hauteur de 180 m chacune doivent être implantées à des distances proches des haies et lisières boisées, augmentant ainsi les risques de collision notamment pour les chiroptères. Ces distances sont ainsi de 60 m pour l'éolienne n° 1, de 90 m pour l'éolienne n° 2, de 150 m pour l'éolienne n° 3, de 60 m pour l'éolienne n° 4, de 120 m pour l'éolienne n° 5 et de 100 m pour l'éolienne n° 6. Au demeurant, l'étude d'impact a reconnu (p. 229) s'agissant de l'avifaune que " le risque d'impact direct (mortalité) est donc fort " et s'agissant des chiroptères (p. 234) " un risque de mortalité plus important est attendu au niveau des éoliennes les plus proches des haies, bosquets et lisières de boisements ". L'implantation du parc éolien projeté par la société requérante est donc de nature à porter une atteinte élevée à la protection à l'avifaune et aux chiroptères.

7. Il ne résulte pas de l'instruction que la variante choisie pour l'implantation des éoliennes parmi les trois envisagées permettrait de réduire les risques pesant sur l'avifaune et les chiroptères. En particulier, il n'est pas établi par les éléments du dossier que les lieux retenus pour les éoliennes, présentés comme permettant d'éviter au maximum la destruction d'arbres et de haies, réduiraient efficacement les risques identifiés pour l'avifaune et les chiroptères. Une telle conclusion ne saurait se déduire du seul fait que le pétitionnaire a accepté de déplacer de 125 mètres au Nord l'éolienne n°1. Par ailleurs, s'agissant des mesures de réduction d'impacts en phase de chantier, le pétitionnaire a retenu un calendrier d'intervention excluant tout travaux de mi-mars à mi-août, période principale de reproduction des espèces, l'enfouissement des lignes de raccordement du parc éolien afin de réduire les risques de collision et d'électrocution des oiseaux et un suivi environnemental par un ingénieur écologue. S'agissant des mesures de réduction en phase d'exploitation, le pétitionnaire prévoit, pour la protection des chiroptères, un arrêt du fonctionnement des machines du 1er juin au 15 août durant quatre heures après le coucher du soleil pour des vents inférieurs à 6 m/s en altitude, un arrêt pendant les six premières heures après le coucher du soleil pour des vents inférieurs à 7m/s du 16 août au 30 septembre et un arrêt des machines les quatre premières heures suivant le coucher du soleil pour des vents inférieurs à 6 m/s du 1er octobre au 15 octobre. Est aussi prévu l'installation d'un système d'effarouchement destiné à toutes les espèces sensibles aux éoliennes au moyen du dispositif DT-Bird à installer sur l'ensemble des aérogénérateurs et dont l'efficacité doit être étudiée lors des suivis de mortalité.

8. Toutefois, la présence des éoliennes projetées dans un secteur riche en haies et lisières boisées, caractérisé par une fréquentation importante de l'avifaune et des chiroptères, fait peser sur ces derniers un risque de mortalité important. Il ne résulte pas de l'instruction que les mesures de réduction des impacts prévues par le pétitionnaire permettraient de réduire de manière suffisamment efficace ce risque qui concerne tout autant l'avifaune, et notamment les Grues cendrées lors de leurs passages migratoires, que les chiroptères. En particulier, la cour ne trouve au dossier aucun élément permettant d'estimer dans quelle mesure le système de détection DT-Bird, à supposer qu'il soit réellement efficace pour la protection des rapaces contrairement à ce qu'a estimé le préfet dans les motifs de sa décision, permettrait de réduire de manière significative le risque de collision existant alors que celui-ci est élevé compte tenu de la présence, ainsi qu'il a été dit, des éoliennes dans une zone à la végétation attractive pour l'avifaune et les chiroptères.

9. Il résulte de ce qui précède qu'en refusant de délivrer l'autorisation sollicitée, le préfet a fait une exacte application des intérêts protégés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il résulte enfin de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision de refus s'il s'était fondé sur le seul motif tiré de l'atteinte portée par le projet à l'avifaune et aux chiroptères.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ferme éolienne de Saint-Laurent-de-Céris n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté en litige du 29 mars 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :
Article 1er : La requête n° 19BX02187 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de Saint-Laurent-de-Céris et au ministre de la transition écologique. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Charente.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. E... A..., président-assesseur,
Mme D... F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.


La présidente,
Elisabeth Jayat
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX02187



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