CAA de PARIS, 2ème chambre, 20/04/2021, 19PA03909, Inédit au recueil Lebon
CAA de PARIS, 2ème chambre, 20/04/2021, 19PA03909, Inédit au recueil Lebon
CAA de PARIS - 2ème chambre
- N° 19PA03909
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
20 avril 2021
- Président
- Mme BROTONS
- Rapporteur
- Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
- Avocat(s)
- KADRAN AVOCATS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a implicitement rejeté sa demande tendant au versement de l'indemnité compensatrice de vingt jours de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016 et de condamner l'Etat à lui verser cette indemnité compensatrice, ainsi que les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 28 septembre 2017 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 28 septembre 2018.
Par un jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 décembre 2019 et 20 juillet 2020, Mme D..., représentée par Me A... C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision contestée devant ce tribunal ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnisation compensatrice des vingt jours de congés qu'elle n'a pu prendre au titre de l'année 2016 ;
4°) de la renvoyer devant les services comptables du ministère de la justice pour le calcul de ses demandes indemnitaires ;
5°) de dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 28 septembre 2017, date de réception de sa demande préalable, et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement a été rendu en méconnaissance des dispositions des articles R. 741-7 et R. 741-8 du code de justice administrative ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son placement en détachement au sein de l'institut régional d'administration de Metz n'avait pas mis fin à sa relation de travail ; il ressort des dispositions de l'article 7 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 que lorsqu'un congé de maladie ou de maternité a empêché un agent de prendre l'ensemble de ses congés annuels, il a droit au report des congés annuels non pris ou à l'octroi d'une indemnité compensatrice ; le courant jurisprudentiel de la Cour de justice de l'Union européenne tend vers un report quasi automatique ou une indemnisation des congés non pris avant la fin de la relation de travail, peu importe les circonstances dans lesquelles est intervenue la fin de la relation de travail ; sur vingt-sept jours de congés annuels en 2016, elle n'a pu prendre que sept jours en raison de son placement en congé de maternité du 13 avril au 30 août 2016 et de son détachement au sein de l'institut régional d'administration de Metz à compter du 1er septembre 2016, date de la fin de sa relation de travail avec le ministère de la justice ; par ailleurs, elle n'a pu prendre que huit jours de congés annuels en décembre 2016 dans le cadre de sa scolarité ; la fin de la relation de travail s'apprécie de manière large à la lumière des dispositions de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ; sa radiation des cadres du ministère de la justice le 20 novembre 2017 a en tout état de cause mis fin à sa relation de travail ; elle est fondée à être indemnisée des congés annuels qu'elle n'a pu prendre et ce, d'autant plus que le ministère de la justice ne lui a pas proposé un report desdits congés ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle ne pouvait utilement soutenir qu'en refusant de lui accorder l'indemnité compensatrice demandée, l'administration avait méconnu le principe général de droit à rémunération après service fait ; le droit aux congés qu'elle a acquis au titre de l'année 2016 est la contrepartie du service fait ; les congés font partie intégrante de la rémunération globale d'un agent ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle ne pouvait prétendre à l'indemnisation des congés annuels non pris sur le fondement de la théorie de l'enrichissement sans cause dès lors que les services qu'elle a effectués en contrepartie de l'octroi de congés rémunérés ont procuré à l'Etat un enrichissement sans cause ;
- pour le reste, elle s'en remet à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2020, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 4 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lauréate du concours interne d'accès aux instituts régionaux d'administration au titre de l'année 2016, Mme D..., greffier des services judiciaires, a été placée en position de détachement auprès de l'institut régional d'administration (IRA) de Metz, en qualité d'attaché d'administration de l'Etat stagiaire, à compter du 1er septembre 2016. Par un arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 7 septembre 2017, elle a été titularisée en qualité d'attaché d'administration de l'Etat, à compter du 1er septembre 2017, date à laquelle elle a été radiée des cadres du ministère de la justice par un arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice du 20 novembre 2017. Par une demande du 26 septembre 2017, reçue le 28 septembre suivant par le garde des Sceaux, ministre de la justice, Mme D... a sollicité le versement d'une indemnité compensatrice des congés annuels qu'elle n'avait pu prendre au cours de l'année 2016 en réparation du préjudice qu'elle aurait subi résultant de la faute de l'Etat et en se prévalant, par ailleurs, de ce que l'Etat s'était, sans cause, enrichi des sommes qui lui revenaient normalement. Par un jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019, dont Mme D... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a implicitement rejeté cette demande et à la condamnation de l'Etat à lui verser cette indemnité compensatrice, ainsi que les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 28 septembre 2017 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 28 septembre 2018.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Aux termes de l'article R. 741-8 du même code : " Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau. / (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Il suit de là, et alors que Mme D... ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 741-8 du code de justice administrative, le président de la formation n'ayant pas été rapporteur du jugement attaqué, que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été pris en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation et d'indemnisation :
4. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période.
5. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. Cette durée est appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés. / (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, et s'opposent à l'indemnisation de ces congés lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point 4 et, par suite, sont illégales.
6. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La Cour de justice de l'Union européenne a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévue par cet article 7. Par ailleurs, le droit à l'indemnité financière de remplacement des congés annuels non pris doit s'apprécier à la date de la fin de la relation de travail mentionnée par l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.
7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'a relevé le tribunal, que le placement de Mme D... en position de détachement, à compter du 1er septembre 2016, pour suivre sa scolarité à l'IRA de Metz, n'a pas eu pour effet de mettre fin à sa relation de travail avec le ministère de la justice, ce détachement étant intervenu dans le cadre de sa réussite au concours interne d'accès à l'IRA de Metz. En revanche, sa radiation des cadres des effectifs du ministère de la justice à compter du 1er septembre 2017, à la suite de sa titularisation dans le corps des attachés d'administration de l'Etat, à cette même date, par un arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 7 septembre 2017, doit être regardée comme la fin de sa relation de travail avec le ministère de la justice au sens de l'article 7 précité de la directive du 4 novembre 2003. Dans ces circonstances, alors qu'il n'est pas contesté que Mme D... n'a pu prendre l'intégralité de ses congés annuels au titre de l'année 2016 compte tenu de son placement en congé de maternité pour la période du 13 avril au 31 août 2016 et de sa scolarité à l'IRA de Metz, à compter du 1er septembre 2016, qu'elle ne pouvait obtenir un report de ses droits à congés sur l'année 2017, en raison de sa scolarité, et qu'elle a sollicité en vain le report de ses droits à congés non pris sur son
compte-épargne temps, c'est à tort que le garde des Sceaux, ministre de la justice a implicitement rejeté sa demande tendant au versement de l'indemnité compensatrice de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016, ladite demande ayant été présentée avant l'expiration de la période de quinze mois mentionnée au point 6.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que Mme D... est fondée à obtenir, dans la limite de vingt jours de congés annuels ainsi que cela ressort de l'article 7 précité de la directive du 4 novembre 2003, l'indemnisation des jours de congés annuels qu'elle n'a pu prendre intégralement au cours de l'année 2016, et dont elle ne pouvait obtenir le report avant le 1er septembre 2017, date de sa radiation des cadres des effectifs du ministère de la justice. En l'état de l'instruction, en l'absence au dossier d'éléments concordants sur le nombre de congés annuels déjà pris par Mme D... au cours de l'année 2016, il y a lieu de la renvoyer devant l'administration pour le calcul et la liquidation de cette indemnité compensatrice de congés annuels non pris. Cette indemnité sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2017, date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable. Mme D... demande, par ailleurs, à la Cour, dans sa requête du 3 décembre 2019, la capitalisation des intérêts. A cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière. Il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant au versement de l'indemnité compensatrice des jours de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016 et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité compensatrice de congés annuels non pris selon les modalités définies ci-dessus au
point 8. ci-dessus. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris et la décision implicite par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande présentée par Mme D... tendant au versement de l'indemnité compensatrice des jours de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016 sont annulés.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme D... une indemnité compensatrice de congés annuels non pris au titre de l'année 2016, conformément aux motifs du présent arrêt, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2017, date de réception de sa demande indemnitaire préalable et de la capitalisation intérêts à compter du 3 décembre 2019 puis à chaque échéance annuelle. Mme D... est renvoyée devant le ministère de la justice pour qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de cette indemnité.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme D... devant la Cour et de sa demande présentée devant le tribunal est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 20 avril 2021.
Le rapporteur,
S. E...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03909
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a implicitement rejeté sa demande tendant au versement de l'indemnité compensatrice de vingt jours de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016 et de condamner l'Etat à lui verser cette indemnité compensatrice, ainsi que les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 28 septembre 2017 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 28 septembre 2018.
Par un jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 décembre 2019 et 20 juillet 2020, Mme D..., représentée par Me A... C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision contestée devant ce tribunal ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnisation compensatrice des vingt jours de congés qu'elle n'a pu prendre au titre de l'année 2016 ;
4°) de la renvoyer devant les services comptables du ministère de la justice pour le calcul de ses demandes indemnitaires ;
5°) de dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 28 septembre 2017, date de réception de sa demande préalable, et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement a été rendu en méconnaissance des dispositions des articles R. 741-7 et R. 741-8 du code de justice administrative ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son placement en détachement au sein de l'institut régional d'administration de Metz n'avait pas mis fin à sa relation de travail ; il ressort des dispositions de l'article 7 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 que lorsqu'un congé de maladie ou de maternité a empêché un agent de prendre l'ensemble de ses congés annuels, il a droit au report des congés annuels non pris ou à l'octroi d'une indemnité compensatrice ; le courant jurisprudentiel de la Cour de justice de l'Union européenne tend vers un report quasi automatique ou une indemnisation des congés non pris avant la fin de la relation de travail, peu importe les circonstances dans lesquelles est intervenue la fin de la relation de travail ; sur vingt-sept jours de congés annuels en 2016, elle n'a pu prendre que sept jours en raison de son placement en congé de maternité du 13 avril au 30 août 2016 et de son détachement au sein de l'institut régional d'administration de Metz à compter du 1er septembre 2016, date de la fin de sa relation de travail avec le ministère de la justice ; par ailleurs, elle n'a pu prendre que huit jours de congés annuels en décembre 2016 dans le cadre de sa scolarité ; la fin de la relation de travail s'apprécie de manière large à la lumière des dispositions de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ; sa radiation des cadres du ministère de la justice le 20 novembre 2017 a en tout état de cause mis fin à sa relation de travail ; elle est fondée à être indemnisée des congés annuels qu'elle n'a pu prendre et ce, d'autant plus que le ministère de la justice ne lui a pas proposé un report desdits congés ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle ne pouvait utilement soutenir qu'en refusant de lui accorder l'indemnité compensatrice demandée, l'administration avait méconnu le principe général de droit à rémunération après service fait ; le droit aux congés qu'elle a acquis au titre de l'année 2016 est la contrepartie du service fait ; les congés font partie intégrante de la rémunération globale d'un agent ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle ne pouvait prétendre à l'indemnisation des congés annuels non pris sur le fondement de la théorie de l'enrichissement sans cause dès lors que les services qu'elle a effectués en contrepartie de l'octroi de congés rémunérés ont procuré à l'Etat un enrichissement sans cause ;
- pour le reste, elle s'en remet à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2020, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 4 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lauréate du concours interne d'accès aux instituts régionaux d'administration au titre de l'année 2016, Mme D..., greffier des services judiciaires, a été placée en position de détachement auprès de l'institut régional d'administration (IRA) de Metz, en qualité d'attaché d'administration de l'Etat stagiaire, à compter du 1er septembre 2016. Par un arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 7 septembre 2017, elle a été titularisée en qualité d'attaché d'administration de l'Etat, à compter du 1er septembre 2017, date à laquelle elle a été radiée des cadres du ministère de la justice par un arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice du 20 novembre 2017. Par une demande du 26 septembre 2017, reçue le 28 septembre suivant par le garde des Sceaux, ministre de la justice, Mme D... a sollicité le versement d'une indemnité compensatrice des congés annuels qu'elle n'avait pu prendre au cours de l'année 2016 en réparation du préjudice qu'elle aurait subi résultant de la faute de l'Etat et en se prévalant, par ailleurs, de ce que l'Etat s'était, sans cause, enrichi des sommes qui lui revenaient normalement. Par un jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019, dont Mme D... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a implicitement rejeté cette demande et à la condamnation de l'Etat à lui verser cette indemnité compensatrice, ainsi que les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 28 septembre 2017 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 28 septembre 2018.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Aux termes de l'article R. 741-8 du même code : " Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau. / (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Il suit de là, et alors que Mme D... ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 741-8 du code de justice administrative, le président de la formation n'ayant pas été rapporteur du jugement attaqué, que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été pris en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation et d'indemnisation :
4. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période.
5. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. Cette durée est appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés. / (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, et s'opposent à l'indemnisation de ces congés lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point 4 et, par suite, sont illégales.
6. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La Cour de justice de l'Union européenne a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévue par cet article 7. Par ailleurs, le droit à l'indemnité financière de remplacement des congés annuels non pris doit s'apprécier à la date de la fin de la relation de travail mentionnée par l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.
7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'a relevé le tribunal, que le placement de Mme D... en position de détachement, à compter du 1er septembre 2016, pour suivre sa scolarité à l'IRA de Metz, n'a pas eu pour effet de mettre fin à sa relation de travail avec le ministère de la justice, ce détachement étant intervenu dans le cadre de sa réussite au concours interne d'accès à l'IRA de Metz. En revanche, sa radiation des cadres des effectifs du ministère de la justice à compter du 1er septembre 2017, à la suite de sa titularisation dans le corps des attachés d'administration de l'Etat, à cette même date, par un arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 7 septembre 2017, doit être regardée comme la fin de sa relation de travail avec le ministère de la justice au sens de l'article 7 précité de la directive du 4 novembre 2003. Dans ces circonstances, alors qu'il n'est pas contesté que Mme D... n'a pu prendre l'intégralité de ses congés annuels au titre de l'année 2016 compte tenu de son placement en congé de maternité pour la période du 13 avril au 31 août 2016 et de sa scolarité à l'IRA de Metz, à compter du 1er septembre 2016, qu'elle ne pouvait obtenir un report de ses droits à congés sur l'année 2017, en raison de sa scolarité, et qu'elle a sollicité en vain le report de ses droits à congés non pris sur son
compte-épargne temps, c'est à tort que le garde des Sceaux, ministre de la justice a implicitement rejeté sa demande tendant au versement de l'indemnité compensatrice de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016, ladite demande ayant été présentée avant l'expiration de la période de quinze mois mentionnée au point 6.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que Mme D... est fondée à obtenir, dans la limite de vingt jours de congés annuels ainsi que cela ressort de l'article 7 précité de la directive du 4 novembre 2003, l'indemnisation des jours de congés annuels qu'elle n'a pu prendre intégralement au cours de l'année 2016, et dont elle ne pouvait obtenir le report avant le 1er septembre 2017, date de sa radiation des cadres des effectifs du ministère de la justice. En l'état de l'instruction, en l'absence au dossier d'éléments concordants sur le nombre de congés annuels déjà pris par Mme D... au cours de l'année 2016, il y a lieu de la renvoyer devant l'administration pour le calcul et la liquidation de cette indemnité compensatrice de congés annuels non pris. Cette indemnité sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2017, date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable. Mme D... demande, par ailleurs, à la Cour, dans sa requête du 3 décembre 2019, la capitalisation des intérêts. A cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière. Il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant au versement de l'indemnité compensatrice des jours de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016 et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité compensatrice de congés annuels non pris selon les modalités définies ci-dessus au
point 8. ci-dessus. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801171/5-2 du 3 octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris et la décision implicite par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande présentée par Mme D... tendant au versement de l'indemnité compensatrice des jours de congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre au titre de l'année 2016 sont annulés.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme D... une indemnité compensatrice de congés annuels non pris au titre de l'année 2016, conformément aux motifs du présent arrêt, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2017, date de réception de sa demande indemnitaire préalable et de la capitalisation intérêts à compter du 3 décembre 2019 puis à chaque échéance annuelle. Mme D... est renvoyée devant le ministère de la justice pour qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de cette indemnité.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme D... devant la Cour et de sa demande présentée devant le tribunal est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 20 avril 2021.
Le rapporteur,
S. E...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03909