CAA de VERSAILLES, 2ème chambre, 08/04/2021, 20VE00616, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 mars 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1908911 du 21 janvier 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 février 2020, M. A..., représenté par Me Ormillien, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° d'annuler cet arrêté ;

3° d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- au vu de sa pathologie, l'arrêté a été pris en méconnaissance de l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- son éloignement du territoire français l'expose à des risques pour son état de santé au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 19 décembre 1984, de nationalité indienne, relève appel du jugement n° 1908911 du 21 janvier 2020 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 28 mars 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de renouvellement de sa carte de séjour temporaire délivrée en qualité d'étranger malade, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à ce préfet de lui délivrer un nouveau titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation, et ce dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) ; 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 précité, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Il ressort de l'arrêté litigieux du 28 mars 2019, notifié le 21 juillet 2019, que, pour rejeter la demande présentée le 12 septembre 2017 par M. A... en vue du renouvellement de sa carte de séjour temporaire délivrée en qualité d'étranger malade, pour la première fois en janvier 2013 et renouvelée à plusieurs reprises depuis lors, l'autorité préfectorale a estimé, au vu de l'avis émis le 24 mars 2018 par le collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, que si l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, en l'occurrence l'Inde.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier de nombreux documents médicaux produits par M. A..., que celui-ci souffre d'une maladie dégénérative sévère, en l'occurrence une paraparésie spastique familiale ou héréditaire, qui provoque des troubles de la marche importants, ainsi que d'un état dépressif corrélatif. Cette pathologie, qui évolue défavorablement, nécessite un traitement ambulatoire, une surveillance médicale spécialisée, un suivi hospitalier régulier et la mobilisation physique des membres inférieurs de l'intéressé. Si aucun des documents produits par M. A... n'est de nature à infirmer l'avis du collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration selon lequel des possibilités de soins existent en Inde, il fait valoir sans être contesté qu'il ne peut pas en bénéficier effectivement, eu égard notamment aux coûts des soins qui lui sont indispensables, à la faiblesse de ses ressources personnelles issues principalement de l'allocation aux adultes handicapés et à l'impossibilité pour sa famille résidant en Inde de lui apporter une aide financière, son père étant aveugle et sans emploi et sa mère touchée par la paraparésie spastique à l'instar de l'intéressé et de trois membres de sa fratrie. Il n'est pas établi ni même allégué par le préfet défendeur qu'existerait en Inde un dispositif assurant la prise en charge des soins dispensés aux personnes dépourvues de ressources ou dont les ressources sont inférieures à certains seuils. Ainsi, M. A... établit la réalité d'obstacles l'empêchant d'accéder effectivement au traitement approprié dans son pays d'origine. Il suit de là que la décision du 28 mars 2019 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de renouvellement de la carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade est illégale et doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions distinctes du même jour l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et la décision fixant le pays de destination.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, le jugement n° 1908911 du 21 janvier 2020 du Tribunal administratif de Montreuil et l'arrêt du 28 mars 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
8. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Seine-Saint-Denis délivre à M. A... une nouvelle carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer à M. A... cette carte de séjour temporaire dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, de prononcer une astreinte.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1908911 du 21 janvier 2020 du Tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté en date du 28 mars 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. A... une nouvelle carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
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N° 20VE00616



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