Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 02/04/2021, 428084
Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 02/04/2021, 428084
Conseil d'État - 3ème - 8ème chambres réunies
- N° 428084
- ECLI:FR:CECHR:2021:428084.20210402
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
02 avril 2021
- Rapporteur
- M. Martin Guesdon
- Avocat(s)
- SCP JEAN-PHILIPPE CASTON
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009, 2010, 2012 et 2013 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1400547 du 2 juin 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16BX02605 du 18 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. B..., annulé ce jugement et prononcé la décharge sollicitée.
Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés le 18 février 2019 et le 17 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B..., viticulteur, a fait valoir ses droits à la retraite au 1er janvier 2009. Il a déclaré, en 2009 et en 2010, des bénéfices agricoles d'un montant respectif de 162 160 euros et 144 189 euros, correspondant à des bénéfices réalisés avant sa cessation d'activité et étalés selon le régime de la moyenne triennale prévu à l'article 75-0 B du code général des impôts, pour lequel il avait opté. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a soumis ces bénéfices aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine en application du f) du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. En 2012 et 2013, M. B... a cédé l'intégralité de son stock d'eau de vie et a déclaré les produits de ces cessions, pour un montant total de 778 976 euros, dans la catégorie des bénéfices agricoles. L'administration fiscale les a soumis à ces mêmes prélèvements sociaux. Par un jugement du 2 juin 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de M. B... tendant à la décharge de ces contributions et des pénalités correspondantes. Par un arrêt du 18 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel de M. B..., a annulé ce jugement et prononcé la décharge des contributions et pénalités en litige. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale : " Il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à laquelle sont assujettis : / 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie (...) ". Aux termes du I de l'article L. 136-4 du même code, sont soumis à cette contribution sur les revenus d'activité et les revenus de remplacement " les revenus professionnels déterminés en application des articles L. 731-14 à L. 731-15 du code rural et de la pêche maritime. / Les revenus pris en compte sont constitués par la moyenne des revenus se rapportant aux trois années antérieures à celle au titre de laquelle la contribution est due. Lorsque le chef d'exploitation ou d'entreprise agricole a exercé l'option prévue à l'article L. 731-19 du code rural et de la pêche maritime, les revenus pris en compte sont constitués par les revenus afférents à l'année précédant celle au titre de laquelle la contribution est due (...) ". Aux termes du I de l'article L. 136-6 du même code : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : (...) / f) De tous revenus qui entrent dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles au sens du code général des impôts, à l'exception de ceux qui sont assujettis à la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement définie aux articles L. 136-1 à L. 136-5 (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime : " Sont considérés comme revenus professionnels pour la détermination de l'assiette des cotisations dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles : / 1° Les revenus soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices agricoles (...) ". Aux termes de l'article L. 731-15 du même code : " Les revenus professionnels pris en compte sont constitués par la moyenne des revenus se rapportant aux trois années antérieures à celle au titre de laquelle les cotisations sont dues. Ces revenus professionnels proviennent de l'ensemble des activités agricoles exercées au cours des années de référence, y compris lorsque l'une de ces activités a cessé au cours desdites années (...) ".
4. Il résulte des dispositions précitées que les revenus soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices agricoles sont soumis à la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, sur le fondement du f) de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, lorsqu'ils n'entrent pas dans le champ de la contribution sociale sur les revenus d'activité et de remplacement défini par les dispositions des articles L. 136-1 et L. 136-4 du même code, ces deux impositions ne pouvant se cumuler. Il résulte de ces mêmes dispositions que les revenus soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices agricoles soumis à la contribution sociale sur les revenus d'activité et de remplacement sont uniquement ceux qui sont perçus par les personnes non-salariées des professions agricoles durant leur période d'activité, indépendamment de la date à laquelle ces revenus doivent faire l'objet d'une déclaration au titre de ces impositions. La cour a donc commis une erreur de droit en jugeant que tous les bénéfices agricoles, y compris ceux perçus par les personnes non-salariées des professions agricoles après la cessation de leur activité, entrent dans le champ de la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement, pour en déduire que tel était le cas de l'ensemble des bénéfices agricoles déclarés par M. B... au titre des années 2009, 2010, 2012, y compris ceux perçus après la cessation de son activité, et qu'ils ne pouvaient, de ce fait, être assujettis à la contribution sociale sur les revenus du patrimoine. Le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'annulation de l'arrêt attaqué.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Il est constant, d'une part, que les bénéfices agricoles déclarés par M. B... au titre des années 2009 et 2010, postérieurement à son admission à la retraite, correspondent à des revenus perçus en 2007 et 2008 durant sa période d'activité en tant qu'exploitant agricole. Ces sommes entraient, par conséquent, dans le champ des contributions sociales sur les revenus d'activité et de remplacement. Il est constant, d'autre part, que les revenus déclarés par M. B... dans la catégorie des bénéfices agricoles au titre des années 2012 et 2013 proviennent de la cession, ces mêmes années, de l'intégralité d'un stock d'eau de vie dont M. B... était resté en possession après avoir fait valoir ses droits à la retraite. Alors même que ce stock a été constitué au cours de la période d'activité de l'intéressé, les revenus tirés de cette cession ont été perçus alors que M. B... n'était plus en activité et qu'à défaut d'entrer dans le champ des contributions sur les revenus d'activité et de remplacement, ils devaient être soumis à la contribution sur les revenus du patrimoine.
7. M. B... n'a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce que les dispositions des articles L. 136-4 et L. 136-6 du code de la sécurité sociale porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d'égalité devant les charges publiques. Ce moyen n'est, par suite, pas recevable et ne peut qu'être écarté.
8. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 2 juin 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge des contributions sociales sur les revenus du patrimoine auxquelles ont été assujettis les bénéfices agricoles qu'il a déclarés au titre des années 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes. Il y a lieu, dans cette mesure, d'annuler ce jugement et de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités.
9. L'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. B....
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 décembre 2018 est annulé.
Article 2 : M. B... est déchargé des contributions sociales sur les revenus du patrimoine auxquels il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010 et des pénalités correspondantes.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 juin 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. A... B....