CAA de NANTES, 1ère chambre, 01/04/2021, 20NT00630, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 3 mai 2019 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré ou tout pays vers lequel il est légalement admissible.

Par un jugement n° 1906337 du 4 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté (article 1er), enjoint au préfet de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler (article 2), condamné l'Etat à verser à Me Rodrigues Devesas, avocat de M. C..., la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 3) et rejeté le surplus de sa demande (article 4).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de rejeter, dans cette mesure, la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur le moyen tiré de ce qu'il n'établit pas le caractère frauduleux des actes litigieux d'état civil de M. C... dès lors que, d'une part, le jugement supplétif du 14 avril 2017 est irrégulier dans sa forme et, d'autre part, celui-ci et l'acte de naissance qui a été dressé en exécution n'ont pas été légalisés par le consul de Guinée en France ou le consul de France en Guinée, conformément à la coutume internationale et sauf convention internationale contraire ;
- le tribunal a omis de se prononcer sur l'irrecevabilité des actes d'état civil.


Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant guinéen, né le 25 décembre 2000, a été placé par ordonnance du juge des enfants du tribunal de grande instance de Nantes du 21 mars 2018 auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de la Loire-Atlantique en qualité de mineur isolé. Il a demandé le 4 mars 2019 au préfet de ce département un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7 ° de l'article L. 313-11 et des articles L. 313-14 et L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 mai 2019, le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 4 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté (article 1er), enjoint au préfet de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler (article 2), mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros au titre des frais liés au litige (article 3) et rejeté le surplus de sa demande (article 4). Le préfet relève appel des articles 1er et 2 de ce jugement.

2. Le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de délivrer à M. C... un titre de séjour au motif, notamment, que l'intéressé, qui a produit, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un jugement supplétif d'acte de naissance et un tel acte rectifié en exécution de ce jugement ne justifiait pas de son identité et de sa date de naissance en raison du caractère frauduleux de ces actes.

3. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ".

4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Ce dernier article dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de Nantes a considéré que le préfet de la Loire-Atlantique n'était pas fondé à opposer à M. C... le motif tiré de ce que ni son identité ni sa date de naissance n'étaient établies. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le jugement supplétif du 14 avril 2017 ne comporte pas les dates de naissance du père et de la mère de l'intéressé. Par ailleurs, les actes établis par une autorité étrangère et destinés à être produits devant les juridictions françaises doivent au préalable, selon la coutume internationale et sauf convention internationale contraire, être légalisés pour y produire effet. Cette légalisation peut être effectuée, en France, par le consul du pays où l'acte a été établi ou par le consul de France dans le pays d'origine de l'étranger. En l'espèce, le jugement supplétif du 14 avril 2017 et le nouvel acte de naissance du 19 avril 2017, qui ne sont revêtus d'aucune formule de légalisation signée par le consul de Guinée en France ou le consul de France en Guinée, ne peuvent être regardés comme valablement légalisés et se trouvent ainsi dépourvus d'effet. Dès lors, c'est à bon droit que le préfet a estimé que M. C... ne pouvait pas légalement attester de son identité dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment de sa situation de mineur lors de son entrée en France et a refusé la délivrance du titre de séjour sur le fondement de ces dispositions.

6. Il suit de là que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur le moyen tiré de ce qu'il n'établit pas le caractère frauduleux des actes litigieux d'état civil de M. C....

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes.

8. M. C..., qui est récemment entré en France en mai 2017 et qui est célibataire et sans charge de famille, ne démontre pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où réside son père et avoir tissé des liens personnels et amicaux intenses en France. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

9. La décision refusant un titre de séjour n'étant pas annulée, M. C... n'est pas fondé à soutenir que les décisions portant obligation de quitter le territoire français fixant le pays de destination sont illégales par voie de conséquence.

10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen relatif à la régularité du jugement attaqué que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er et 2 du jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 3 mai 2019 et lui a enjoint de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler.


D E C I D E :


Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 février 2020 sont annulés.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2021.

Le rapporteur,




J.E. A...Le président,




F. Bataille
La greffière,




E. Haubois


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.













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N° 20NT00630



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