CAA de LYON, 4ème chambre, 25/03/2021, 20LY03165, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon :
- d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Ain a rejeté sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être renvoyé ;

- d'enjoindre au préfet de l'Ain, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire d'une durée de quatre ans, à titre subsidiaire d'un an, portant la mention " vie privée et familiale ", ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son avocat, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 2001459 du 2 octobre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2020, M. A..., représenté par la SELARL BS2A Bescou et Sabatier Avocats Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement susmentionné n° 2001459 du 2 octobre 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler les décisions précitées du 22 janvier 2020 du préfet de l'Ain portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français, fixation d'un délai de départ volontaire de trente jours, et fixation du pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Ain, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée de quatre ans ou d'un an, ou à tout le moins de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.


Il soutient que :
- s'agissant de la décision portant refus de séjour :
. elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle et le jugement contesté a dénaturé les termes de cette décision ;
. elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le jugement contesté ayant dénaturé les pièces du dossier ;
. elle méconnait les dispositions de l'article L. 313-11, 7°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
. elle viole l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
. elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
. elle est illégale, par voie d'exception, du fait de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
. elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
. elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- s'agissant de la décision portant fixation du délai de départ volontaire :
. elle est illégale, par voie d'exception, du fait de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
. elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- s'agissant de la décision portant fixation du pays de destination :
. elle est illégale, par voie d'exception, du fait de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
. elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.


Il fait valoir que :
- les conclusions aux fins d'annulation de ses décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination sont ainsi devenues sans objet, de même que celles aux fins d'injonction et de réexamen, dès lors qu'il a délivré à l'intéressé un récépissé le 14 janvier 2021, valable jusqu'au 13 juillet 2021 et qu'en conséquence sa décision l'obligeant à quitter le territoire français a été abrogée ;
- les moyens soulevés par le requérant contre la décision portant refus de séjour ne sont pas fondés ;
- les moyen tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions sont inopérants dès lors que l'intéressé n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement.


Par une décision du 9 décembre 2020, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention internationale relative aux droit de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. C....
Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant kosovare né le 18 janvier 1993, est entré en France le 30 juin 2014. Il a déposé une demande d'asile, rejetée par une décision du 27 octobre 2014 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis confirmée par une décision du 18 mars 2015 de la Cour nationale du droit d'asile. Le 19 avril 2019, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour, à titre principal en faisant valoir sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que son épouse bénéficiait de la protection subsidiaire, à titre subsidiaire, en invoquant les fondements du 7° de l'article L. 313-11 ou de l'article L. 313-14 du même code. Par des décisions du 22 janvier 2020, le préfet de l'Ain a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Par un jugement n° 2001459 du 2 octobre 2020, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.


Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; / (...). "

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France le 30 juin 2014 à l'âge de 21 ans et qu'il souffre d'une paraplégie des membres inférieurs suite à une double fracture vertébrale, qui a provoqué des complications urinaires nécessitant un suivi urologique. Il a bénéficié d'un titre de séjour en raison de son état de santé, qui a été renouvelé jusqu'au 24 mai 2017. Le préfet de l'Ain a refusé de renouveler une nouvelle fois ce titre de séjour par une décision du 3 mai 2018, qu'il a assortie d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours Cette décision a été confirmée par un jugement définitif n° 1805463 du 15 janvier 2019 du tribunal administratif de Lyon. Toutefois, Mme A..., qu'il a épousée au Kosovo 19 octobre 2011 et qui l'a rejoint en France le 7 août 2018, accompagnée de leur enfant mineur né au Kosovo le 24 novembre 2011, a obtenu le 28 novembre 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le bénéfice de la protection subsidiaire et détient à ce titre une carte de séjour pluriannuelle d'une durée de quatre ans. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions du séjour en France de M. A..., qui doit être regardé comme ayant transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux en France, la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. L'intéressé est donc fondé à soutenir que cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11, 7°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette décision doit donc être annulée ainsi que, par voie de conséquence, celles portant obligation de quitter le territoire français, octroi d'un délai de départ volontaire de trente jours, et fixation du pays de destination.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces décisions.

5. En conséquence, compte tenu du motif de l'annulation de la décision portant refus de séjour, il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre, ainsi que le demande le requérant, au préfet de l'Ain de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

6. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par l'appelant au profit de son conseil.



DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001459 du 2 octobre 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les décisions susvisées du 22 janvier 2020 du préfet de l'Ain sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Ain de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2021.
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N° 20LY03165



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