CAA de LYON, 2ème chambre, 25/02/2021, 19LY04314, Inédit au recueil Lebon
CAA de LYON, 2ème chambre, 25/02/2021, 19LY04314, Inédit au recueil Lebon
CAA de LYON - 2ème chambre
- N° 19LY04314
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
25 février 2021
- Président
- M. PRUVOST
- Rapporteur
- Mme Camille VINET
- Avocat(s)
- SCP LONQUEUE - SAGALOVITSCH - EGLIE-RICHTERS & Associés
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Cars Annequin a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le marché de services réguliers de transports publics non urbains de personnes par voie terrestre conclu, pour le lot n° 22, entre le département de l'Isère et la société Cars Philibert et de condamner le département de l'Isère à lui verser une indemnité de 160 103,22 euros en réparation de son préjudice.
Par un jugement n° 1305847 du 1er juillet 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15LY03031 du 21 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Cars Annequin contre ce jugement.
Par une décision n° 418461 du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon et lui a renvoyé l'affaire pour qu'elle y statue de nouveau.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 septembre 2015, 7 septembre 2016, 7 octobre 2016, 3 novembre 2016 et 9 octobre 2017, le 31 janvier 2020 et le 24 novembre 2020, la société Cars Annequin, représentée par Me Delaire, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er juillet 2015 ;
2°) d'annuler ce marché ;
3°) de condamner le département de l'Isère à lui verse, à titre principal, la somme de 142 103,22 euros en réparation de la perte de chance d'obtenir le marché, subsidiairement la somme de 18 000 euros correspondant aux frais engagés pour présenter son offre, ces sommes étant assorties des intérêts légaux ;
4°) de mettre à la charge du département de l'Isère la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est recevable à former un recours de plein contentieux après le rejet du référé précontractuel ;
- l'offre de la société Cars Philibert qui ne chiffrait pas la totalité des coûts de la prestation étant anormalement basse, le département de l'Isère était tenu soit de l'éliminer en tant qu'offre irrégulière au sens de l'article 35 du code des marchés publics, soit de la rejeter sur le fondement de l'article 55 du même code en conduisant jusqu'à son terme la procédure de détection des offres anormalement basses et ne pouvait accepter la régularisation de l'offre ;
- s'agissant du sous-critère lié au " niveau d'engagement du candidat en matière de notation de la qualité du service rendu ", le département de l'Isère s'est irrégulièrement déchargé de l'obligation que fait peser l'article 53 du code des marchés publics sur le pouvoir adjudicateur d'apprécier de noter lui-même la valeur des offres et a ainsi privé les candidats d'une appréciation objective, impartiale et égalitaire des mérites respectifs de leurs offres ; il s'est également déchargé de son obligation de contrôler la conformité en cours d'exécution du marché au regard des besoins et obligations préalablement définis par lui et non par l'attributaire du marché lui-même ;
- la méthode de notation du critère prix est irrégulière en ce qu'elle revient à neutraliser les autres critères portant sur la valeur technique des prestations pour permettre au pouvoir adjudicateur de retenir l'offre la moins-disante et non la mieux-disante au regard de l'ensemble des critères d'attribution définis dans les documents de la consultation ;
- le contrat en cause est irrégulier en ce qu'il impliquerait l'exercice d'une gestion de fait par le titulaire du marché ;
- elle disposait d'une chance sérieuse de se voir attribuer le marché ;
- le manque à gagner lié à cette perte de chance sérieuse s'établit à la somme de 142 103,22 euros ;
- elle a droit à tout le moins à une réparation au titre des frais d'un montant de 18 000 euros engagés pour participer à l'appel d'offre ;
- le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur les moyens autres que celui tiré de l'irrégularité du mécanisme d'auto-notation, elle les maintient ;
- l'irrégularité d'un critère pondéré à 20 % portant, au surplus sur la valeur technique de l'offre a eu une influence déterminante sur le choix de l'attributaire, de sorte que, classée en seconde position, elle a été privée d'une chance sérieuse d'obtenir le contrat et, à tout le moins, elle n'était pas dépourvue de toute chance de l'obtenir ;
- l'annulation du contrat ne porterait pas à l'intérêt général une atteinte excessive.
Par des mémoires enregistrés les 7 juillet 2016, 10 octobre 2016, 25 octobre 2017 et le 30 janvier 2020, le département de l'Isère, représenté par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Cars Annequin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par la société Cars Annequin ne sont pas fondés ; les vices invoqués ne sont pas susceptibles d'entraîner l'annulation ni la résiliation du contrat ;
- la requérante n'établit pas de lien de causalité entre l'irrégularité alléguée de la procédure de passation et le préjudice dont elle demande la réparation ;
- les deux chefs de préjudice dont elle demande réparation sont exclusifs l'un de l'autre ;
- si le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Cars Philibert en ce qu'elle n'a pas intégré certains coûts de production dans la grille de décomposition des coûts était accueilli par la cour, elle devrait constater l'irrégularité de l'offre présentée par la société Cars Annequin qui a usé de la même faculté ; elle serait dès lors dépourvue de toute chance d'obtenir le marché ou, à tout le moins, de chances sérieuses et ne pourrait prétendre qu'au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ;
- elle ne justifie pas des sommes réclamées au titre de son manque à gagner et des frais de présentation de son offre.
Par des mémoires, enregistrés les 5 septembre 2016, 18 novembre 2016, 25 octobre 2017 et 15 janvier 2020, la société Cars Philibert, représentée par Me Camière, conclut au rejet de la requête et, dans le dernier état de ses écritures, à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Cars Annequin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête de la société Cars Annequin est irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée par l'ordonnance du 2 juillet 2013 du juge du référé précontractuel ;
- le Conseil d'Etat n'a pas tranché le fond du litige et n'a accueilli qu'un seul des moyens soulevés par la requérante ; les autres moyens ne sont pas fondés ;
- l'illégalité relevée n'est pas susceptible d'entraîner l'annulation ni la résiliation du contrat.
Par ordonnance du 9 novembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 24 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vinet, première conseillère,
- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique,
- et les observations de Me Delaire, représentant la société des Cars Annequins, et de Me Malle, représentant la société des Cars Philibert ;
Considérant ce qui suit :
1. Le département de l'Isère a lancé, en novembre 2012, une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un marché alloti de services réguliers de transports publics non urbains de personnes par voie terrestre, dans le cadre du réseau " Transisère ". L'offre présentée par la société Cars Annequin pour le lot n° 22, relatif à la ligne départementale de desserte de Satolas et Bonce, a été classée en seconde position. Le contrat a été conclu le 19 juillet 2013 avec la société Cars Philibert. Par un jugement du 1er juillet 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la société Cars Annequin tendant, d'une part, à l'annulation de ce marché et, d'autre part, à la condamnation du département de l'Isère à l'indemniser du préjudice résultant de son éviction. Par un arrêt du 21 décembre 2017, la présente cour administrative d'appel a rejeté son appel contre ce jugement. Par une décision du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour pour qu'elle y statue de nouveau.
Sur les conclusions en contestation de la validité du contrat :
2. Il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
En ce qui concerne la procédure de passation du contrat :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 35 du code des marchés publics, alors en vigueur : " (...) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer (...) ". Aux termes de l'article 55 du même code : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...). Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) ". Aux termes de l'article 59 de ce code : " I. - Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre (...) ".
4. Si la requérante soutient que l'offre de la société Cars Philibert, attributaire du marché, était irrégulière à défaut d'avoir comporté une grille de décomposition des coûts complète, celle-ci n'ayant pas comporté le coût des kilomètres à vide, dits " haut-le-pied " et faisant apparaître des frais de marge et aléas nuls, il résulte de l'instruction que l'offre de la société attributaire était assortie d'une grille de décomposition des prix globalisant le coût des kilomètres à vide et celui des kilomètres en charge et que les frais de marge et aléas avaient été intégrés dans les frais de structure. En précisant ces points, en réponse à un courrier du 5 avril 2013 du pouvoir adjudicateur, par courrier du 9 avril 2013 la société Cars Philibert n'a pas régularisé une offre qui aurait été irrégulière à défaut d'être complète mais a seulement clarifié l'interprétation de son offre sur l'intégration de certaines dépenses dans certains types de frais, sans en modifier le montant. Le département n'a par ailleurs pas tenu compte des nouveaux bordereaux de prix unitaires et détails des quantités estimatives joints au courrier du 9 avril 2013 dans le respect du principe d'intangibilité de l'offre et des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics. Le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Cars Philibert doit être écarté.
5. Par ailleurs, le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Par ailleurs, le seul écart de prix avec une offre concurrente ne signifie pas qu'une offre était anormalement basse, le juge devant seulement rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.
6. Il résulte de l'instruction qu'invitée par le département de l'Isère à compléter ses justifications, la société Cars Philibert, dans un courrier du 19 avril 2013, a notamment justifié le caractère très compétitif de son offre par la cohérence de l'implantation de ses sites en Isère par rapport au lot choisi, l'affectation de véhicules neufs acquis au meilleur prix et la mutualisation des véhicules. La commission d'appel d'offres a jugé les réponses de la société Cars Philibert cohérentes et satisfaisantes pour le lot pour l'attribution duquel elle s'était portée candidate. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les circonstances que le prix proposé par la société Cars Philibert serait inférieur de 27 % à l'offre du groupement Cars Annequin et de 35 % à l'estimation réalisée par le département de l'Isère, ne sauraient établir, à elles seules, que l'offre de la société Cars Philibert était anormalement basse. Par ailleurs, si la requérante soutient que les chiffres avancés par la société attributaire pour justifier son prix seraient insincères, une telle circonstance ne saurait résulter des calculs approximatifs et dépourvus de pièce justificative auxquels la société requérante s'est livrée, consistant à rapprocher le chiffre d'affaires de la société Cars Philibert et le nombre de ses véhicules ou de ses licences communautaires, ou à se référer à d'autres marchés dont la société Cars Philibert est attributaire. Au demeurant, ces calculs ne prennent pas en compte la diversité des conditions économiques dans lesquelles sont assurées les prestations de cette société, cette dernière pouvant, par exemple, choisir d'équilibrer ses comptes sur l'ensemble de ses activités et compenser un éventuel déficit d'exploitation sur les prestations faisant l'objet du lot en compétition par les bénéfices engendrés par d'autres de ses activités. Le moyen tiré du caractère anormalement bas de l'offre doit, par suite, être écarté.
7. En deuxième lieu, pour la notation sur le critère du prix, le règlement de la consultation prévoyait l'attribution de la note maximale à l'offre la moins-disante et l'attribution de notes aux autres offres en fonction de l'écart constaté par rapport au meilleur prix proposé, selon une formule non linéaire, conduisant à augmenter l'écart des notes entre les candidats corrélativement à l'importance du montant du marché et à l'écart entre les notes des candidats. Contrairement à ce que soutient la société Cars Annequin, le département de l'Isère pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité entre les candidats ni les obligations de publicité et de mise en concurrence, choisir, s'agissant de l'évaluation du critère prix, une méthode de notation non linéaire qui permettait une différenciation des notes attribuées aux candidats par l'attribution automatique de la note maximale à l'offre la moins-disante et l'application d'un coefficient inversement proportionnel au montant du marché, dès lors que cette méthode n'avait pas pour effet de conduire automatiquement à l'attribution de la note 0 à l'offre la plus onéreuse quel que soit l'écart entre son prix et celui des autres offres. Cette formule n'avait ainsi ni pour effet, ni pour objet de priver les autres critères d'attribution du marché de toute portée, les candidats pouvant présenter des offres d'un montant voisin. La société des Cars Annequin n'est dès lors pas fondée à soutenir que la méthode de notation des offres adoptée par le département de l'Isère en matière de prix conduisait à neutraliser des autres critères en méconnaissance des dispositions du 1° de l'article 53 du code des marchés publics.
8. En troisième lieu, la société requérante soutient que le marché litigieux est irrégulier en ce qu'il implique l'exercice d'une gestion de fait par son titulaire compte tenu du caractère public des recettes qui sont issues de la prestation offerte aux usagers du service public de transport. Toutefois, le contrat conclu par la société Cars Philibert ne lui confiait pas le recouvrement de sommes dues par des tiers en contrepartie de biens ou services fournis par le département de l'Isère mais la chargeait du service régulier de transport public non urbain de personnes par voie terrestre à titre onéreux. Les recettes de billetteries découlant de l'activité de la société titulaire du contrat sont des recettes commerciales de cette société dans le cadre du marché de services et ne peuvent être qualifiées de recettes publiques.
9. En quatrième lieu, toutefois, si le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a retenus et rendus publics, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.
10. Une méthode de notation des offres par laquelle le pouvoir adjudicateur laisse aux candidats le soin de fixer, pour l'un des critères ou sous-critères, la note qu'ils estiment devoir leur être attribuée est, par elle-même, de nature à priver de portée utile le critère ou sous-critère en cause si cette note ne peut donner lieu à vérification au stade de l'analyse des offres, quand bien même les documents de la consultation prévoiraient que le candidat attributaire qui ne respecterait pas, lors de l'exécution du marché, les engagements que cette note entend traduire pourrait, de ce fait, se voir infliger des pénalités.
11. Il ressort des pièces du dossier que le département de l'Isère a retenu trois critères de jugement des offres, à savoir le prix, la valeur technique et les garanties environnementales, pondérés respectivement à 60 %, 25 % et 15 %. La notation de l'un des deux sous-critères de la valeur technique, intitulé " niveau d'engagement du candidat en matière de notation de la qualité du service rendu sur les lignes objet du marché ", pondéré à hauteur de 20 %, dépendait exclusivement du niveau de qualité du service que le candidat s'estimait en mesure de garantir et ne résultait que de l'indication par le candidat lui-même d'une note dite " note qualité " qu'il devait s'attribuer à l'aide d'un outil de simulation. Les éléments mentionnés pour l'auto-évaluation, portant sur la propreté du véhicule, " l'ambiance générale " au sein du véhicule, la ponctualité, la conduite respectueuse du code de la route ou la qualité de l'accueil à bord du véhicule ne pouvaient faire l'objet d'une évaluation objective au stade de l'analyse des offres. La " note qualité " devait être comprise entre 7 et 9 sur 10 et la notation de ce sous-critère pouvait donc aller de 0, pour le candidat s'attribuant une " note qualité " de 7, à 25 points, pour le candidat s'attribuant une " note qualité " de 9. En retenant une telle méthode de notation, le département de l'Isère doit être regardé comme ayant renoncé à apprécier la valeur des offres et comme ayant, par suite, privé de portée utile le sous-critère en cause, cette note ne pouvant donner lieu à vérification au stade de l'analyse des offres. Ce sous-critère étant entaché d'irrégularité, la société Cars Annequin est fondée à soutenir que la procédure de passation du marché en cause était irrégulière.
En ce qui concerne la validité du contrat :
12. Dans le cas où le contrat a un contenu illicite ou se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité devant être relevé d'office, le juge peut prononcer son annulation, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
13. En l'espèce, d'une part, l'irrégularité de la méthode de notation du sous-critère lié à l'engagement des candidats ne révèle aucune illicéité du contenu du contrat en cause. D'autre part, la nature de cette irrégularité ne révèle, par elle-même, aucun vice du consentement du département ni, en l'absence de circonstances particulières, et notamment d'éléments révélant une volonté de la commune de favoriser la société attributaire, ne correspond à un vice d'une particulière gravité. Il suit de là que les conclusions de la société Cars Annequin tendant à l'annulation du contrat doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
14. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation.
15. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, compte tenu de la pondération à 60 % du critère du prix et compte tenu de l'écart important de note sur ce critère prépondérant en faveur de la société attributaire du marché, l'irrégularité de la méthode de notation du sous-critère lié à l'engagement des candidats, lequel était pondéré à 20 % et auquel la société Cars Annequin a d'ailleurs obtenu la meilleure note, n'a pu avoir d'incidence sur le classement des offres. Il suit de là que l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction de la société requérante. Il n'y a, dès lors, pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par celle-ci à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée, quand bien-même elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché.
16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur fin de non-recevoir opposée par la société des Cars Philibert à la requête, que la société Cars Annequin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions à fin d'annulation du marché passé pour le lot n° 10 et d'indemnisation des préjudices qu'elle soutient avoir subis du fait de son éviction. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées. Il n'y a, par ailleurs, pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en revanche, de mettre à la charge de la société Cars Annequin quelque somme que ce soit au titre des frais exposés respectivement par la société Cars Philibert et le département de l'Isère et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Cars Annequin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif sont rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cars Annequin, au département de l'Isère et à la société Cars Philibert.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard présidente-assesseure,
Mme Vinet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021.
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N° 19LY04314
gt
Procédure contentieuse antérieure
La société Cars Annequin a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le marché de services réguliers de transports publics non urbains de personnes par voie terrestre conclu, pour le lot n° 22, entre le département de l'Isère et la société Cars Philibert et de condamner le département de l'Isère à lui verser une indemnité de 160 103,22 euros en réparation de son préjudice.
Par un jugement n° 1305847 du 1er juillet 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15LY03031 du 21 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Cars Annequin contre ce jugement.
Par une décision n° 418461 du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon et lui a renvoyé l'affaire pour qu'elle y statue de nouveau.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 septembre 2015, 7 septembre 2016, 7 octobre 2016, 3 novembre 2016 et 9 octobre 2017, le 31 janvier 2020 et le 24 novembre 2020, la société Cars Annequin, représentée par Me Delaire, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er juillet 2015 ;
2°) d'annuler ce marché ;
3°) de condamner le département de l'Isère à lui verse, à titre principal, la somme de 142 103,22 euros en réparation de la perte de chance d'obtenir le marché, subsidiairement la somme de 18 000 euros correspondant aux frais engagés pour présenter son offre, ces sommes étant assorties des intérêts légaux ;
4°) de mettre à la charge du département de l'Isère la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est recevable à former un recours de plein contentieux après le rejet du référé précontractuel ;
- l'offre de la société Cars Philibert qui ne chiffrait pas la totalité des coûts de la prestation étant anormalement basse, le département de l'Isère était tenu soit de l'éliminer en tant qu'offre irrégulière au sens de l'article 35 du code des marchés publics, soit de la rejeter sur le fondement de l'article 55 du même code en conduisant jusqu'à son terme la procédure de détection des offres anormalement basses et ne pouvait accepter la régularisation de l'offre ;
- s'agissant du sous-critère lié au " niveau d'engagement du candidat en matière de notation de la qualité du service rendu ", le département de l'Isère s'est irrégulièrement déchargé de l'obligation que fait peser l'article 53 du code des marchés publics sur le pouvoir adjudicateur d'apprécier de noter lui-même la valeur des offres et a ainsi privé les candidats d'une appréciation objective, impartiale et égalitaire des mérites respectifs de leurs offres ; il s'est également déchargé de son obligation de contrôler la conformité en cours d'exécution du marché au regard des besoins et obligations préalablement définis par lui et non par l'attributaire du marché lui-même ;
- la méthode de notation du critère prix est irrégulière en ce qu'elle revient à neutraliser les autres critères portant sur la valeur technique des prestations pour permettre au pouvoir adjudicateur de retenir l'offre la moins-disante et non la mieux-disante au regard de l'ensemble des critères d'attribution définis dans les documents de la consultation ;
- le contrat en cause est irrégulier en ce qu'il impliquerait l'exercice d'une gestion de fait par le titulaire du marché ;
- elle disposait d'une chance sérieuse de se voir attribuer le marché ;
- le manque à gagner lié à cette perte de chance sérieuse s'établit à la somme de 142 103,22 euros ;
- elle a droit à tout le moins à une réparation au titre des frais d'un montant de 18 000 euros engagés pour participer à l'appel d'offre ;
- le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur les moyens autres que celui tiré de l'irrégularité du mécanisme d'auto-notation, elle les maintient ;
- l'irrégularité d'un critère pondéré à 20 % portant, au surplus sur la valeur technique de l'offre a eu une influence déterminante sur le choix de l'attributaire, de sorte que, classée en seconde position, elle a été privée d'une chance sérieuse d'obtenir le contrat et, à tout le moins, elle n'était pas dépourvue de toute chance de l'obtenir ;
- l'annulation du contrat ne porterait pas à l'intérêt général une atteinte excessive.
Par des mémoires enregistrés les 7 juillet 2016, 10 octobre 2016, 25 octobre 2017 et le 30 janvier 2020, le département de l'Isère, représenté par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Cars Annequin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par la société Cars Annequin ne sont pas fondés ; les vices invoqués ne sont pas susceptibles d'entraîner l'annulation ni la résiliation du contrat ;
- la requérante n'établit pas de lien de causalité entre l'irrégularité alléguée de la procédure de passation et le préjudice dont elle demande la réparation ;
- les deux chefs de préjudice dont elle demande réparation sont exclusifs l'un de l'autre ;
- si le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Cars Philibert en ce qu'elle n'a pas intégré certains coûts de production dans la grille de décomposition des coûts était accueilli par la cour, elle devrait constater l'irrégularité de l'offre présentée par la société Cars Annequin qui a usé de la même faculté ; elle serait dès lors dépourvue de toute chance d'obtenir le marché ou, à tout le moins, de chances sérieuses et ne pourrait prétendre qu'au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ;
- elle ne justifie pas des sommes réclamées au titre de son manque à gagner et des frais de présentation de son offre.
Par des mémoires, enregistrés les 5 septembre 2016, 18 novembre 2016, 25 octobre 2017 et 15 janvier 2020, la société Cars Philibert, représentée par Me Camière, conclut au rejet de la requête et, dans le dernier état de ses écritures, à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Cars Annequin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête de la société Cars Annequin est irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée par l'ordonnance du 2 juillet 2013 du juge du référé précontractuel ;
- le Conseil d'Etat n'a pas tranché le fond du litige et n'a accueilli qu'un seul des moyens soulevés par la requérante ; les autres moyens ne sont pas fondés ;
- l'illégalité relevée n'est pas susceptible d'entraîner l'annulation ni la résiliation du contrat.
Par ordonnance du 9 novembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 24 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vinet, première conseillère,
- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique,
- et les observations de Me Delaire, représentant la société des Cars Annequins, et de Me Malle, représentant la société des Cars Philibert ;
Considérant ce qui suit :
1. Le département de l'Isère a lancé, en novembre 2012, une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un marché alloti de services réguliers de transports publics non urbains de personnes par voie terrestre, dans le cadre du réseau " Transisère ". L'offre présentée par la société Cars Annequin pour le lot n° 22, relatif à la ligne départementale de desserte de Satolas et Bonce, a été classée en seconde position. Le contrat a été conclu le 19 juillet 2013 avec la société Cars Philibert. Par un jugement du 1er juillet 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la société Cars Annequin tendant, d'une part, à l'annulation de ce marché et, d'autre part, à la condamnation du département de l'Isère à l'indemniser du préjudice résultant de son éviction. Par un arrêt du 21 décembre 2017, la présente cour administrative d'appel a rejeté son appel contre ce jugement. Par une décision du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour pour qu'elle y statue de nouveau.
Sur les conclusions en contestation de la validité du contrat :
2. Il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
En ce qui concerne la procédure de passation du contrat :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 35 du code des marchés publics, alors en vigueur : " (...) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer (...) ". Aux termes de l'article 55 du même code : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...). Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) ". Aux termes de l'article 59 de ce code : " I. - Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre (...) ".
4. Si la requérante soutient que l'offre de la société Cars Philibert, attributaire du marché, était irrégulière à défaut d'avoir comporté une grille de décomposition des coûts complète, celle-ci n'ayant pas comporté le coût des kilomètres à vide, dits " haut-le-pied " et faisant apparaître des frais de marge et aléas nuls, il résulte de l'instruction que l'offre de la société attributaire était assortie d'une grille de décomposition des prix globalisant le coût des kilomètres à vide et celui des kilomètres en charge et que les frais de marge et aléas avaient été intégrés dans les frais de structure. En précisant ces points, en réponse à un courrier du 5 avril 2013 du pouvoir adjudicateur, par courrier du 9 avril 2013 la société Cars Philibert n'a pas régularisé une offre qui aurait été irrégulière à défaut d'être complète mais a seulement clarifié l'interprétation de son offre sur l'intégration de certaines dépenses dans certains types de frais, sans en modifier le montant. Le département n'a par ailleurs pas tenu compte des nouveaux bordereaux de prix unitaires et détails des quantités estimatives joints au courrier du 9 avril 2013 dans le respect du principe d'intangibilité de l'offre et des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics. Le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Cars Philibert doit être écarté.
5. Par ailleurs, le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Par ailleurs, le seul écart de prix avec une offre concurrente ne signifie pas qu'une offre était anormalement basse, le juge devant seulement rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.
6. Il résulte de l'instruction qu'invitée par le département de l'Isère à compléter ses justifications, la société Cars Philibert, dans un courrier du 19 avril 2013, a notamment justifié le caractère très compétitif de son offre par la cohérence de l'implantation de ses sites en Isère par rapport au lot choisi, l'affectation de véhicules neufs acquis au meilleur prix et la mutualisation des véhicules. La commission d'appel d'offres a jugé les réponses de la société Cars Philibert cohérentes et satisfaisantes pour le lot pour l'attribution duquel elle s'était portée candidate. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les circonstances que le prix proposé par la société Cars Philibert serait inférieur de 27 % à l'offre du groupement Cars Annequin et de 35 % à l'estimation réalisée par le département de l'Isère, ne sauraient établir, à elles seules, que l'offre de la société Cars Philibert était anormalement basse. Par ailleurs, si la requérante soutient que les chiffres avancés par la société attributaire pour justifier son prix seraient insincères, une telle circonstance ne saurait résulter des calculs approximatifs et dépourvus de pièce justificative auxquels la société requérante s'est livrée, consistant à rapprocher le chiffre d'affaires de la société Cars Philibert et le nombre de ses véhicules ou de ses licences communautaires, ou à se référer à d'autres marchés dont la société Cars Philibert est attributaire. Au demeurant, ces calculs ne prennent pas en compte la diversité des conditions économiques dans lesquelles sont assurées les prestations de cette société, cette dernière pouvant, par exemple, choisir d'équilibrer ses comptes sur l'ensemble de ses activités et compenser un éventuel déficit d'exploitation sur les prestations faisant l'objet du lot en compétition par les bénéfices engendrés par d'autres de ses activités. Le moyen tiré du caractère anormalement bas de l'offre doit, par suite, être écarté.
7. En deuxième lieu, pour la notation sur le critère du prix, le règlement de la consultation prévoyait l'attribution de la note maximale à l'offre la moins-disante et l'attribution de notes aux autres offres en fonction de l'écart constaté par rapport au meilleur prix proposé, selon une formule non linéaire, conduisant à augmenter l'écart des notes entre les candidats corrélativement à l'importance du montant du marché et à l'écart entre les notes des candidats. Contrairement à ce que soutient la société Cars Annequin, le département de l'Isère pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité entre les candidats ni les obligations de publicité et de mise en concurrence, choisir, s'agissant de l'évaluation du critère prix, une méthode de notation non linéaire qui permettait une différenciation des notes attribuées aux candidats par l'attribution automatique de la note maximale à l'offre la moins-disante et l'application d'un coefficient inversement proportionnel au montant du marché, dès lors que cette méthode n'avait pas pour effet de conduire automatiquement à l'attribution de la note 0 à l'offre la plus onéreuse quel que soit l'écart entre son prix et celui des autres offres. Cette formule n'avait ainsi ni pour effet, ni pour objet de priver les autres critères d'attribution du marché de toute portée, les candidats pouvant présenter des offres d'un montant voisin. La société des Cars Annequin n'est dès lors pas fondée à soutenir que la méthode de notation des offres adoptée par le département de l'Isère en matière de prix conduisait à neutraliser des autres critères en méconnaissance des dispositions du 1° de l'article 53 du code des marchés publics.
8. En troisième lieu, la société requérante soutient que le marché litigieux est irrégulier en ce qu'il implique l'exercice d'une gestion de fait par son titulaire compte tenu du caractère public des recettes qui sont issues de la prestation offerte aux usagers du service public de transport. Toutefois, le contrat conclu par la société Cars Philibert ne lui confiait pas le recouvrement de sommes dues par des tiers en contrepartie de biens ou services fournis par le département de l'Isère mais la chargeait du service régulier de transport public non urbain de personnes par voie terrestre à titre onéreux. Les recettes de billetteries découlant de l'activité de la société titulaire du contrat sont des recettes commerciales de cette société dans le cadre du marché de services et ne peuvent être qualifiées de recettes publiques.
9. En quatrième lieu, toutefois, si le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a retenus et rendus publics, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.
10. Une méthode de notation des offres par laquelle le pouvoir adjudicateur laisse aux candidats le soin de fixer, pour l'un des critères ou sous-critères, la note qu'ils estiment devoir leur être attribuée est, par elle-même, de nature à priver de portée utile le critère ou sous-critère en cause si cette note ne peut donner lieu à vérification au stade de l'analyse des offres, quand bien même les documents de la consultation prévoiraient que le candidat attributaire qui ne respecterait pas, lors de l'exécution du marché, les engagements que cette note entend traduire pourrait, de ce fait, se voir infliger des pénalités.
11. Il ressort des pièces du dossier que le département de l'Isère a retenu trois critères de jugement des offres, à savoir le prix, la valeur technique et les garanties environnementales, pondérés respectivement à 60 %, 25 % et 15 %. La notation de l'un des deux sous-critères de la valeur technique, intitulé " niveau d'engagement du candidat en matière de notation de la qualité du service rendu sur les lignes objet du marché ", pondéré à hauteur de 20 %, dépendait exclusivement du niveau de qualité du service que le candidat s'estimait en mesure de garantir et ne résultait que de l'indication par le candidat lui-même d'une note dite " note qualité " qu'il devait s'attribuer à l'aide d'un outil de simulation. Les éléments mentionnés pour l'auto-évaluation, portant sur la propreté du véhicule, " l'ambiance générale " au sein du véhicule, la ponctualité, la conduite respectueuse du code de la route ou la qualité de l'accueil à bord du véhicule ne pouvaient faire l'objet d'une évaluation objective au stade de l'analyse des offres. La " note qualité " devait être comprise entre 7 et 9 sur 10 et la notation de ce sous-critère pouvait donc aller de 0, pour le candidat s'attribuant une " note qualité " de 7, à 25 points, pour le candidat s'attribuant une " note qualité " de 9. En retenant une telle méthode de notation, le département de l'Isère doit être regardé comme ayant renoncé à apprécier la valeur des offres et comme ayant, par suite, privé de portée utile le sous-critère en cause, cette note ne pouvant donner lieu à vérification au stade de l'analyse des offres. Ce sous-critère étant entaché d'irrégularité, la société Cars Annequin est fondée à soutenir que la procédure de passation du marché en cause était irrégulière.
En ce qui concerne la validité du contrat :
12. Dans le cas où le contrat a un contenu illicite ou se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité devant être relevé d'office, le juge peut prononcer son annulation, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
13. En l'espèce, d'une part, l'irrégularité de la méthode de notation du sous-critère lié à l'engagement des candidats ne révèle aucune illicéité du contenu du contrat en cause. D'autre part, la nature de cette irrégularité ne révèle, par elle-même, aucun vice du consentement du département ni, en l'absence de circonstances particulières, et notamment d'éléments révélant une volonté de la commune de favoriser la société attributaire, ne correspond à un vice d'une particulière gravité. Il suit de là que les conclusions de la société Cars Annequin tendant à l'annulation du contrat doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
14. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation.
15. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, compte tenu de la pondération à 60 % du critère du prix et compte tenu de l'écart important de note sur ce critère prépondérant en faveur de la société attributaire du marché, l'irrégularité de la méthode de notation du sous-critère lié à l'engagement des candidats, lequel était pondéré à 20 % et auquel la société Cars Annequin a d'ailleurs obtenu la meilleure note, n'a pu avoir d'incidence sur le classement des offres. Il suit de là que l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction de la société requérante. Il n'y a, dès lors, pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par celle-ci à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée, quand bien-même elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché.
16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur fin de non-recevoir opposée par la société des Cars Philibert à la requête, que la société Cars Annequin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions à fin d'annulation du marché passé pour le lot n° 10 et d'indemnisation des préjudices qu'elle soutient avoir subis du fait de son éviction. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées. Il n'y a, par ailleurs, pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en revanche, de mettre à la charge de la société Cars Annequin quelque somme que ce soit au titre des frais exposés respectivement par la société Cars Philibert et le département de l'Isère et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Cars Annequin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif sont rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cars Annequin, au département de l'Isère et à la société Cars Philibert.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard présidente-assesseure,
Mme Vinet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021.
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N° 19LY04314
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