Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 24/02/2021, 429647

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la somme de 280 790 euros correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SARL Fellous au titre de la période du 1er janvier 2007 au 30 juin 2009 ainsi qu'aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la même société a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008, assorties de pénalités, au paiement desquels il est solidairement tenu. Par un jugement no 1606896 du 19 septembre 2017, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA03574 du 6 février 2019, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par M. C... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 avril et 10 juillet 2019 et le 4 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme D... B..., maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme E... A..., rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de M. C... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, la société Fellous a été assujettie, selon la procédure de taxation d'office, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2007 au 30 juin 2009 et à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2007 et 2008. Par un jugement du 5 septembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré M. F... C... solidairement tenu avec la société Fellous au paiement des impôts fraudés et des pénalités y afférentes. Par un jugement du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. C... tendant à la décharge de la somme de 280 790 euros correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi qu'aux cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés, assorties de pénalités, au paiement desquels il était solidairement tenu. Par une décision du 18 mai 2018, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés à hauteur de 121 258 euros en droits et 48 504 euros en pénalités. Par un arrêt du 6 février 2019, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de ce dégrèvement, a rejeté le surplus des conclusions de la requête tendant à l'annulation de ce jugement. M. C... se pourvoit en cassation contre cet arrêt, dont il doit être regardé comme demandant l'annulation du seul article 2 qui rejette le surplus des conclusions de sa requête.

2. Aux termes du 2 de l'article 269 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " La taxe est exigible : / (...) c. Pour les prestations de services, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions, à la lumière de l'interprétation de l'article 65 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dont elles assurent la transposition, retenue par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans ses arrêts Firin OOD du 13 mars 2014 (aff. C-107/13) et Kollross et Wirtl du 31 mai 2018 (aff. C-660/16 et C-661/16), que, si le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée et son exigibilité interviennent en principe au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée, la taxe devient toutefois exigible dès l'encaissement, à concurrence du montant encaissé, lorsque des acomptes sont versés avant que la prestation de services ne soit effectuée. Pour que la taxe sur la valeur ajoutée soit exigible sans que la prestation ait encore été effectuée, il faut, d'une part, que tous les éléments pertinents du fait générateur, c'est-à-dire de la future prestation, soient déjà connus et donc, en particulier, que, au moment du versement de l'acompte, les biens ou les services soient désignés avec précision et, d'autre part, que la réalisation de la prestation ne soit pas incertaine.

4. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que la société Fellous avait encaissé le 20 août 2007 la somme de 436 226,38 euros hors taxes à titre d'acompte pour l'exécution de travaux consistant en l'aménagement en quinze appartements d'un corps de ferme situé à Montlouet (Eure-et-Loire). En jugeant que cette somme devait être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée au moment de son encaissement au motif qu'elle constituait le paiement anticipé d'une partie du montant des travaux, alors que M. C... soutenait, sans être contredit sur ce point, que cette somme avait été versée avant la délivrance du permis de construire, de telle sorte que la réalisation des travaux envisagés restait incertaine à la date de ce versement, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. C... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 6 février 2019 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. F... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:429647.20210224
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