Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 28/01/2021, 439936

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des médecins d'Aix et région (SMAER), M. C... F... et M. A... D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le a) du 3° de l'article 1er du décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au syndicat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... E..., auditrice,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;





Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique dispose que : " Toute spécialité pharmaceutique (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. L'autorisation peut être assortie de conditions appropriées (...) ". L'article L. 5121-12-1 du même code prévoit que : " I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. (...) / En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. / (...) ".

2. En deuxième lieu, l'article L. 3131-12 inséré dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 prévoit que : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". D'une part, aux termes de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire (...) / " Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Ces dispositions étaient applicables à la date d'édiction des dispositions attaquées par l'effet de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Sur les circonstances :

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus.

4. Le sulfate d'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d'une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004, avec pour indications thérapeutiques le traitement symptomatique d'action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.

5. A la suite d'un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19 du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique, le Premier ministre, par un décret du 25 mars 2020 a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine peut être prescrite, dispensée et administrée aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil. A ce titre, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il a autorisé la prescription, la dispensation et l'administration sous la responsabilité d'un médecin, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. Le a) du 3° de l'article 1er du décret du 26 mars 2020 a complété le premier alinéa de cet article 12-2 du décret du 23 mars 2020 pour préciser que : " Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe ". Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions ainsi insérées.

Sur la légalité des dispositions attaquées :

En ce qui concerne la légalité externe :

6. Ni les dispositions citées au point 2, ni aucune autre disposition n'imposaient au pouvoir réglementaire de solliciter les avis de l'académie de médecine, de l'académie de pharmacie, de la Haute autorité de santé et de l'Agence nationalité de sécurité des médicaments et des produits de santé avant l'édiction des dispositions contestées. Le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées seraient illégales pour ne pas avoir été précédées d'une telle consultation ne peut par suite qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. Les requérants soutiennent que les dispositions contestées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et portent atteinte au droit à la vie, au droit à la protection de la santé et au droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé ainsi qu'au principe de précaution au motif qu'elles réservent l'usage de l'hydroxychloroquine aux cas les plus avancés ou les plus graves de covid-19, alors qu'il ressort, selon eux, de la littérature scientifique qu'elle n'est utile qu'à un stade plus précoce et qu'elle peut être dangereuse lorsqu'elle est administrée à un stade avancé de cette maladie.

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l'activité in vitro de l'hydroxychloroquine sur le virus responsable du covid-19. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020 par une équipe de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection en utilisant l'hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l'azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid-19 et que cet effet est renforcé par l'azithromycine. A la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il estime que les résultats de l'étude menée au sein de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l'étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l'absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique, ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine ou de l'association hydroxychloroquine et azithromycine, et justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique. Par ailleurs, cet avis souligne que l'hydroxychloroquine comporte des contre-indications notamment en cas d'association à d'autres médicaments et qu'un surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il indique qu'il est impératif de bien prendre connaissance de ces contre-indications avant toute prescription et que le patient en soit éclairé. Enfin il recommande de surveiller les concentrations plasmatiques et d'assurer un monitoring cardiaque chez les patients recevant ce traitement pour covid-19.

9. En deuxième lieu, d'une part, si les requérants produisent, outre des articles de presse, un commentaire du professeur Raoult de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection et un communiqué de presse des académies nationales de médecine et de pharmacie insistant sur le fait que l'administration de l'hydroxychloroquine à un stade trop avancé de la maladie du covid19, notamment en situation de détresse respiratoire, n'est pas adaptée dès lors que la charge virale est, alors, le plus souvent inexistante, il résulte des recommandations mêmes du Haut Conseil de la santé publique, reprises par les dispositions attaquées, que, compte tenu des contre-indications connues de l'hydroxychloroquine pouvant entraîner des effets indésirables graves justifiant une surveillance constante des patients recevant ce traitement pour covid-19 à la dose maximale autorisée par l'autorisation de mise sur le marché, l'indication du traitement à l'hydroxychloroquine est posée dès le premier stade de la maladie nécessitant l'hospitalisation des patients, accompagné, dans la mesure du possible, d'un suivi de l'excrétion virale. Il en résulte également que, lorsque l'indication du traitement à l'hydroxychloroquine est retenue, le traitement doit être initié le plus rapidement possible, dans le but d'éviter le passage à une forme grave nécessitant un transfert en réanimation. Par ailleurs, ces recommandations ne font en rien obstacle, ainsi que le préconise le Haut Conseil, à l'inclusion de patients dans des essais cliniques pour disposer des données permettant d'envisager, en cas d'efficacité et de rapport bénéfice/risque favorable démontrés, une prescription plus large, sur le fondement de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19.

10. D'autre part, dès lors que la légalité des dispositions contestées en excès de pouvoir s'apprécie à la date à laquelle elles ont été prises, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir pour contester les dispositions attaquées, édictées le 26 mars 2020, d'un extrait du site internet Vidal.fr daté du 3 avril 2020 relatant les premiers résultats d'une étude randomisée conduite par l'hôpital Renmin de Wuhan en Chine sur 62 patients, dont les résultats ont été rendus publics le 30 mars 2020 sur une plateforme de prépublication. Au demeurant, cette étude comporte des limites méthodologiques du fait de sa petite taille, du changement de critères en cours d'étude et de l'absence de certaines informations, notamment quant à l'homogénéité du traitement " standard " administré aux patients et ne permet pas de conclure à l'efficacité de l'hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19.

11. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, comme il a été dit au point 8, que si, comme le font valoir les requérants, l'usage de l'hydroxychloroquine dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché est bien documenté, il peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d'engager le pronostic vital et il présente des risques importants en cas d'interaction médicamenteuse. Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi non seulement le respect de précautions particulières mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque.

12. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils attaquent, en ce qu'elles réservent l'usage de l'hydroxychloroquine aux cas les plus avancés ou les plus graves de covid-19, porteraient atteinte, pour ce motif, au droit à la vie, au droit à la protection de la santé et au droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé non plus, en tout état de cause, qu'au principe de précaution, ou seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratives font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans le présent litige.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Syndicat des médecins d'Aix et région et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des médecins Aix et région, premier requérant dénommé, et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.

ECLI:FR:CECHR:2021:439936.20210128
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