CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 25/01/2021, 19MA01665, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le compte-rendu de l'entretien professionnel de l'année 2015 en tant qu'il fait référence à d'éventuels conflits d'intérêts ou à un conflit d'intérêt potentiel, ainsi qu'à ses mandats électifs et syndicaux. Il a également demandé au tribunal d'enjoindre à l'université de Toulon de supprimer, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, toute mention à d'éventuels conflits d'intérêts, aux mandats électifs et à son engagement syndical dans le compte-rendu de l'entretien professionnel, dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement à intervenir, et de mettre à la charge de l'université de Toulon le versement de la somme de 2 300 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n° 1504012 du 11 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande. Procédure devant la Cour : Par une requête enregistrée le 10 avril 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 7 août 2020, M. A..., représentée par Me F..., demande à la Cour : 1°) d'ordonner la jonction de la présente instance avec les instances n° 1903923, 1903924 et 1900811 ; 2°) d'annuler ce jugement ; 3°) d'annuler le compte-rendu de son entretien professionnel pour l'année 2015 ; 4°) de mettre à la charge de l'université de Toulon la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a jugé que le compte-rendu d'entretien professionnel présentait le caractère d'un acte indivisible. - c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a n'a pas fait usage de son pouvoir d'annulation conditionnelle ; - ses conclusions présentées en première instance tendaient à purger l'acte attaqué de tous ses vices ; les conclusions formulaient clairement une demande d'annulation du compte-rendu ; - la décision attaquée est entachée de discrimination syndicale et de violation du droit au recours ; - la décision, en tant qu'elle fait référence à des conflits d'intérêt, est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et de détournement de procédure. Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2019, l'université de Toulon, représentée par la SCP Borel et I..., demande à la Cour : 1°) de rejeter la requête ; 2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le jugement est fondé ; - l'acte attaqué a un caractère indivisible ; - la discrimination syndicale alléguée n'est pas établie ; - la mention de conflits d'intérêts dans l'évaluation en litige ne remettait pas en question la valeur du travail de l'agent. Par ordonnance en date du 25 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 octobre 2020. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de l'éducation ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; - le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ; - le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, modifié par le décret n° 2013-451 du 31 mai 2013 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. G... Point, rapporteur, - les conclusions de M. E... Angeniol, rapporteur public, - et les observations de Me D... pour M. A..., de Me I... et Me J... pour l'université de Toulon et de M. B... pour l'UFSE C.G.T. Considérant ce qui suit : 1. M. A..., ingénieur d'études de première classe, a été affecté à l'université de Toulon à compter du 1er septembre 2010 en tant que chargé d'affaires juridiques puis en tant que responsable du service des affaires juridiques et contentieuses. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le compte-rendu de son entretien professionnel pour l'année 2015 et, en conséquence, d'enjoindre à l'université de Toulon de supprimer toute mention relative à d'éventuels conflits d'intérêts, à ses mandats électifs et à son engagement syndical dans le compte-rendu de l'entretien professionnel. Par jugement n° 1504012 du 11 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande. M. A... fait appel de ce jugement. Sur la jonction : 2. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de joindre cette instance avec les instances n° 19MA03923, 19MA03924 et 19MA00811. Sur la régularité du jugement : 3. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. ". Aux termes de son article R. 613-3 : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. ". 4. Il ressort de l'examen des pièces du dossier que, dans son mémoire introductif d'instance devant le tribunal administratif de Toulon enregistré le 23 novembre 2015, M. A... a présenté des conclusions tendant à l'annulation de son compte-rendu d'entretien professionnel pour l'année 2015. Il résulte de l'examen de ce mémoire que les conclusions à fin d'annulation visaient l'ensemble de l'acte attaqué, ainsi que M. A... l'a précisé ultérieurement dans ses observations en réponse au moyen d'ordre public soulevé par le tribunal. Par un mémoire en réplique enregistré au greffe du tribunal le 21 juillet 2017, M. A... a toutefois limité la portée de ses conclusions en demandant l'annulation de l'arrêté attaqué " en ce qu'il est fait référence à d'éventuels conflits d'intérêts ou à un conflit d'intérêt potentiel " et " en ce qu'il est fait référence aux mandats électifs et syndicaux du requérant sans aucun lien avec la valeur
professionnelle de l'agent ". Par ces mentions, M. A... a indiqué sans ambiguïté qu'il sollicitait désormais l'annulation partielle du compte-rendu d'évaluation pour l'année 2015. Il devait dès lors être regardé comme se désistant purement et simplement d'une partie de ses conclusions initiales. Toutefois, par une lettre du 7 janvier 2019, le tribunal administratif de Toulon a informé les parties qu'il était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions du requérant tendant à l'annulation partielle d'un acte indivisible, moyen finalement retenu par les premiers juges pour rejeter la demande de M. A.... Dans ses observations présentées le 11 janvier 2019 en réponse au moyen d'ordre public soulevé par le tribunal, le requérant a expressément mentionné qu'il entendait maintenir les conclusions par lesquelles il demandait " depuis novembre 2015 " l'annulation du compte rendu d'entretien professionnel pour l'année 2015 dans son intégralité. M. A... doit ainsi être regardé comme ayant repris les conclusions présentées dans les délais de recours par son mémoire introductif, et comme ayant procédé au retrait du désistement partiel qui résultait de son mémoire complémentaire du 21 juillet 2017. Un tel retrait pouvait intervenir tant que le tribunal administratif de Toulon n'avait pas pris acte de son désistement. En outre, en vertu des dispositions précitées de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, et contrairement à ce qu'a décidé le tribunal administratif de Toulon dans le jugement attaqué, la clôture de l'instruction intervenue le 6 avril 2018 ne pouvait faire obstacle à la prise en compte des écritures dans lesquelles M. A... exposait de façon non ambigüe sa volonté de ne pas se désister de ses conclusions aux fins d'annulation totale de l'acte attaqué. Les premiers juges étaient ainsi tenus de prendre en compte ces écritures pour interpréter la portée des conclusions présentées par le requérant. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Toulon a procédé à une interprétation erronée du sens des conclusions qu'il avait présentées et que les premiers juges, considérant à tort que sa demande tendait à l'annulation partielle d'un acte indivisible, ont omis de statuer sur les conclusions dont ils étaient réellement saisis. 5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué dans son intégralité et de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions présentées par M. A.... Sur le défaut d'habilitation du président de l'université de Toulon à la représenter en justice : 6. Lorsqu'une partie est une personne morale, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. L'article L. 712-2 § 4 du code de l'éducation dispose que : " Le président assure la direction de l'université. A ce titre : / (...) 2° Il représente l'université à l'égard des tiers ainsi qu'en justice. ". L'article L. 712-3 IV 6° précise en outre que : " Le conseil d'administration détermine la politique de l'établissement. A ce titre : / (...) 6° Il autorise le président à engager toute action en justice.". Si M. A... soutient que le président de l'université ne justifie pas d'une habilitation pour représenter l'établissement en justice, l'administration produit cependant une délibération en date du 10 avril 2015 du conseil d'administration relative à la délégation de compétences de ce conseil au président par laquelle ce dernier est " autorisé à engager toute action en justice, y compris le dépôt de plainte, en première instance, appel et cassation et à représenter les intérêts de l'université dans le cadre de toutes actions qui se seraient engagées contre elle, devant toutes les juridictions (...) ". Par conséquent, contrairement à ce que soutient M. A..., il n'y a pas lieu d'écarter des débats les mémoires en défense présentés au nom de l'université de Toulon, qui est dûment représentée, dans le cadre de la présente instance, par son président. Sur la légalité de l'acte attaqué : 7. Aux termes du premier alinéa de l'article 17 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées. ". Aux termes de l'article 55 de la loi du 11 juillet 1984 : " Par dérogation à l'article 17 du titre Ier du statut général, l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct. (...).". Aux termes de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010 : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu (...). " et aux termes de l'article 4 de ce décret : " Le compte rendu de l'entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. / Il est communiqué au fonctionnaire qui le complète, le cas échéant, de ses observations. (...). ". 8. Aux termes de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " 1. Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité. / Il ne peut être fait état dans le dossier d'un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé. /Tout fonctionnaire a accès à son dossier individuel dans les conditions définies par la loi. /Dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le dossier du fonctionnaire peut être géré sur support électronique s'il présente les garanties prévues par les alinéas précédents. ". Aux termes de l'article 6 de la même loi : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race.". Aux termes de son article 8 : " Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. Ces organisations peuvent ester en justice. /Elles peuvent se pourvoir devant les juridictions compétentes contre les actes réglementaires concernant le statut du personnel et contre les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires. ". A l'effet de faciliter l'exercice de ce droit, le décret n° 82-447 du 28 mai 1982, modifié par le décret n° 2013-451 du 31 mai 2013, prévoit des possibilités d'autorisations spéciales d'absence et de décharges d'activités de service au bénéfice des fonctionnaires investis d'un mandat syndical. 9. Il résulte de ces dispositions combinées qu'il ne saurait être fait grief à un fonctionnaire de distraire une partie de son temps de service pour exercer des activités syndicales dès lors que lui a été accordée une dispense à cet effet. Si, en raison même de l'octroi d'une autorisation spéciale d'absence ou de dispenses d'activité de service, il peut être légalement fait mention de l'existence du mandat syndical ayant motivé l'intervention de telles mesures, le respect dû tant à la liberté d'opinion des fonctionnaires qu'à la liberté syndicale implique qu'une mention de ce type ne puisse s'accompagner d'une quelconque appréciation portée par l'autorité administrative sur la manière dont l'intéressé exerce ses activités syndicales. 10. Il résulte de l'examen du compte-rendu de l'entretien professionnel de M. A... pour l'année 2015 que l'appréciation portée sur sa valeur professionnelle et sa manière de servir comporte, au point 3.1 2 " contribution à l'activité du service ", la mention selon laquelle son activité en matière de droit de la fonction publique a été réduite du fait de la situation de " conflit d'intérêt " entre ses mandats syndicaux et son rôle de conseil du président. Si le compte-rendu précise que M. A... a parallèlement accru son investissement dans le champ des assurances et dans sa fonction de PRADA, la mention des mandats syndicaux exercés par M. A... a toutefois été directement associée à l'existence d'une situation de conflits d'intérêts. En l'absence de toute précision, cette mention peut en l'espèce légitimement être interprétée comme un grief porté sur la manière de servir de l'intéressé. En outre, au point 5.2 du compte-rendu d'évaluation, il est de nouveau fait état des mandats syndicaux de M. A... en des termes qui indiquent qu'au regard de ces mandats, M. A... n'est plus à même d'exercer sa mission de défense des intérêts de l'employeur public. Ces mentions tendent à mettre en doute la manière de servir de M. A.... Ainsi, M. A... est fondé à soutenir que son évaluation comporte des indications sur ses activités syndicales ayant une incidence sur l'appréciation de sa manière de servir. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, il est fondé à demander l'annulation de son compte-rendu d'évaluation pour l'année 2015. Sur les frais liés au litige : 11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par l'université de Toulon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soient mises à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'université de Toulon la somme de 2 000 euros, à verser à M. A.... D É C I D E :Article 1 : Le jugement n° 1504012 du tribunal administratif de Toulon en date du 11 février 2019 est annulé. Article 2 : Le compte-rendu de l'entretien professionnel de M. A... pour l'année 2015 est annulé. Article 3 : Il est mis à la charge de l'université de Toulon le versement à M. A... de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à l'université de Toulon. Copie en sera adressée à l'union nationale des syndicats CGT FERC SUP et au syndicat CGT Educ'Action. Délibéré après l'audience du 11 janvier 2021, où siégeaient : - M. Guy Fédou, président, - Mme H... K..., présidente assesseure, - M. G... Point, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2021. 2N° 19MA01665 MY



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