CAA de VERSAILLES, 6ème chambre, 21/01/2021, 19VE04249, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a rejeté sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1907354 du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2019, M. A... B..., représenté par Me Besse, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° d'annuler, pour excès de pouvoir, à titre principal, l'arrêté du 10 mai 2019 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ou, à titre subsidiaire, l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans ;

3° d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui délivrer, pendant cet examen, une autorisation provisoire de séjour ;

4° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa demande au regard de sa situation professionnelle, qui révèle une erreur de droit dans l'exercice du pouvoir de régularisation du préfet ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et professionnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette mesure est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et professionnelle ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'un défaut d'examen constitutif d'une erreur de droit ;
- elle méconnaît aussi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est en outre entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et professionnelle.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. C... A... B..., ressortissant marocain né le 11 octobre 1981, entré en France le 28 avril 2010 muni d'un visa de court séjour, a sollicité, le 28 février 2019, son admission au séjour en qualité de salarié. Par un arrêté du 10 mai 2019, le préfet des Hauts-de-Seine a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 26 novembre 2019, dont M. A... B... relève appel, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. ".

3. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant par là-même des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient en effet à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger, ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... s'est prévalu, à l'appui de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, de l'ancienneté de son séjour en France et de l'activité salariée d'ouvrier couvreur qu'il justifie y exercer depuis octobre 2013, au sein de la société Couvetanche, implantée à Sucy-en-Brie et immatriculée au registre du commerce et des sociétés en 2012. L'intéressé établit en outre sa présence continue en France depuis avril 2010, principalement par la production de relevés bancaires, attestant de retraits réguliers et de ses bulletins de paie. M. A... B... justifie également, à la date de la décision en litige, de sept ans et demi de travail quasiment ininterrompu en qualité d'ouvrier couvreur, en produisant un premier contrat de travail à durée déterminée, pour la période du 21 novembre 2011 au 30 septembre 2012, auprès de la société Pro Bat, un autre contrat, conclu pour la période du 5 novembre 2012 au 30 septembre 2013, auprès de la société Mobine, puis chaque bulletin de paie mensuel délivré à compter de la conclusion de son contrat à durée indéterminée, le 22 octobre 2013, jusqu'en mars 2019, au sein de la société Couvetanche, qui déclarait toujours l'employer dans une attestation de février 2019. Le requérant produit également le formulaire de demande d'autorisation de travail pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger complété par le gérant de la société Couvetanche, le registre du personnel de ladite société ainsi qu'un relevé de situation comptable concernant sa situation auprès de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). Par ailleurs, si M. A... B... a conclu en 2013 son contrat à durée indéterminée sous couvert d'une fausse carte d'identité française, cette circonstance est sans incidence sur l'appréciation du caractère effectif du travail, qui n'est pas contesté par l'autorité préfectorale, et celui-ci ne l'a pas dissimulée en produisant ladite carte au moment du dépôt de sa demande d'admission au séjour, ce que relève le préfet dans ses écritures de première instance. M. A... B... a en outre déclaré ses revenus d'activité et il démontre aussi avoir suivi des cours de langue française au sein d'une association, pendant deux ans, entre 2016 et 2018. Par suite, alors que le requérant doit être regardé comme établissant des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de l'ancienneté de son séjour en France et de la stabilité de sa situation professionnelle, le refus de titre de séjour que lui a opposé le préfet des Hauts-de-Seine est entaché d'une appréciation manifestement erronée de sa situation et M. A... B... est fondé à en demander l'annulation. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, lui interdisant le retour sur le territoire français et fixant le pays de destination de son éloignement doivent être annulées comme prises sur le fondement d'une décision de refus elle-même illégale.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, que M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Le jugement n° 1907354 du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a rejeté la demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée par M. A... B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination doivent, par suite, être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, un délai d'exécution ".

7. Compte tenu des motifs d'annulation de l'arrêté en litige et en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de délivrer à M. A... B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", et, dans cette attente, de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 700 euros au titre des frais exposés par M. A... B... et non compris dans les dépens.


DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907354 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 26 novembre 2019 et l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine du 10 mai 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de délivrer à M. A... B... un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'État versera à M. A... B... la somme de 700 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 19VE04249



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