CAA de NANTES, 3ème chambre, 15/01/2021, 20NT00062, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les arrêtés du 30 octobre 2019 et du 3 novembre 2019 par lesquels le préfet du Loiret l'a obligé à quitter le territoire français et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1904209 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 7 janvier 2020 sous le n° 20NT00062 M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 6 décembre 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés du préfet du Loiret.

Il soutient que :
- la mesure d'éloignement contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision d'assignation à résidence n'est pas justifiée.

La requête a été communiquée au préfet du Loiret qui n'a pas produit de mémoire en défense.

La présente affaire a été dispensée d'instruction, en application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.


II - Par une requête et un mémoire (non communiqué) enregistrés les 18 mars et
13 décembre 2020 sous le n° 20NT01008 M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 6 décembre 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés du préfet du Loiret ;

3°) d'enjoindre au préfet du Loiret de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Il soutient que :
- la mesure d'éloignement contestée n'est pas suffisamment motivée et révèle un défaut d'examen de sa situation particulière ;
- le préfet du Loiret a méconnu les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ont été méconnues ;
-la décision portant assignation à résidence doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement qui la fonde.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 octobre 2020 le préfet du Loiret conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 février 2020.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant congolais (République du Congo) né le 4 décembre 1974, déclare être entré en France le 7 février 2013. Par un arrêté du 30 octobre 2019, le préfet du Loiret l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office. Par un arrêté du 3 décembre 2019, le préfet l'a également assigné à résidence. M. D... relève appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté son recours tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité des arrêtés contestés du préfet du Loiret :

2. En premier lieu, le préfet du Loiret a indiqué dans la mesure d'éloignement contestée que : " Considérant d'une part que l'intéressé déclare vivre en concubinage et être le père de trois enfants à charge ; que dans ces conditions, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale ". Une telle motivation, succincte et incohérente, ne permettait pas à M. D... de comprendre pourquoi il pouvait légalement être éloigné de France sans qu'y fasse obstacle sa situation familiale. L'arrêté contesté est donc entaché d'un vice de forme.
3. En deuxième lieu, le même arrêté indique que M. D... s'est maintenu en France " sans jamais avoir effectué aucune démarche administrative auprès d'une préfecture en vue de régulariser sa situation administrative (...) ", alors qu'il est constant qu'il a séjourné régulièrement en France du 9 mai 2016 au 8 novembre 2018 sous couvert d'une carte de séjour temporaire d'un an et de plusieurs récépissés de demande de renouvellement de ce titre. Le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de M. D... doit donc également être accueilli.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la mesure d'éloignement contestée M. D... avait fondé une famille avec une compatriote en situation régulière, rencontrée en 2013, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2026, avec laquelle il a eu trois enfants nés en France en 2014, 2015 et 2017. Par suite, et alors même qu'il ressort également des pièces du dossier que M. D... et sa compagne ne résidaient pas ensemble pendant la période où ils ont eu leurs enfants, l'arrêté contesté a porté au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant une atteinte disproportionnée, contraire aux stipulations rappelées au point précédent.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. La mesure d'éloignement contestée aurait nécessairement pour effet de priver les enfants du requérant de la présence de leur père, dans le cas où ils se maintiendraient en France avec leur mère, ou de leur mère, dans le cas où ils suivraient leur père. Elle est donc contraire aux stipulations rappelées ci-dessus.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'arrêté du 30 octobre 2019 obligeant M. D... à quitter le territoire français doit être annulé ainsi que, par voie de conséquence, celui du 3 décembre 2019 l'assignant à résidence, et que M. D... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
10. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique que le préfet du Loiret délivre à M. D..., comme il le demande, une autorisation provisoire de séjour et réexamine sa situation. Il y a lieu d'adresser au préfet du Loiret une injonction en ce sens et de fixer à deux mois, à compter de la date de notification du présent arrêt, le délai accordé au préfet pour réexaminer la situation de l'intéressé. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette mesure d'exécution de l'astreinte demandée par le requérant.
Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.


DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1904209 du tribunal administratif d'Orléans du 6 décembre 2019 et les arrêtés du 30 octobre 2019 et du 3 décembre 2019 du préfet du Loiret sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Loiret de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation administrative selon les modalités fixées au point 10.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros au conseil de M. D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du
19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet du Loiret.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président,
- M. C..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2021.


Le rapporteur
E. C...Le président
C. BrissonLe greffier
R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 20NT00062, 20NT01008



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