Conseil d'État, 5ème chambre, 29/12/2020, 432775, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 5ème chambre, 29/12/2020, 432775, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 5ème chambre
- N° 432775
- ECLI:FR:CECHS:2020:432775.20201229
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
29 décembre 2020
- Rapporteur
- Mme Pearl Nguyên Duy
- Avocat(s)
- SCP LEVIS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 27 mars 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. B... A... dirigées contre l'arrêt n° 17LY04374 du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il se prononce sur le préjudice d'établissement et sur le préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives.
La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du refus de l'administration de réévaluer la rente annuelle dont il bénéficiait depuis 2002 en raison de l'hépatite auto-immune qu'il avait développée après une vaccination obligatoire, M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices résultant de l'aggravation de son état de santé. Par un jugement du 23 octobre 2012, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 12 mai 2016, la cour a condamné l'Etat à verser à l'intéressé une indemnité de 1 124 499,22 euros sous déduction des sommes déjà versées par l'Etat au titre de la rente annuelle servie antérieurement. Par une décision du 18 décembre 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur le pourvoi de M. A..., annulé cet arrêt en tant notamment qu'il avait rejeté ses conclusions relatives au préjudice d'établissement et au préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives. Par l'arrêt du 29 mai 2019 dont M. A... demande l'annulation en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions, la cour administrative d'appel de Lyon a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 561 381,05 euros.
2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à majorer ses prétentions en appel si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là que s'il appartient en principe au juge d'appel de réparer les préjudices invoqués dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges, il peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
3. Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que M. A... n'était pas recevable à demander pour la première fois en appel l'indemnisation de son préjudice d'établissement et de son préjudice spécifique résultant d'une pathologie évolutive, la cour a seulement relevé que ces deux chefs de préjudices ne s'étaient ni aggravés ni révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement du 23 octobre 2012. En se bornant à cette affirmation, alors que le requérant faisait valoir, de façon circonstanciée, que son état de santé s'était dégradé depuis le jugement du 23 octobre 2012, du fait, d'une part, en 2013, d'une récidive de cholangite sclérosante, du rejet de la greffe hépatique réalisée en 2008 et de la nécessité de subir une nouvelle transplantation en 2013 et en 2016 et, d'autre part, des complications résultant des traitements des lésions hépatiques et de la polyarthrite rhumatoïde dont il souffre, qui se sont traduits par une cataracte opérée en 2012, elle-même à l'origine d'une perte d'acuité visuelle, ainsi qu'au développement d'un diabète insulino-dépendant à compter de 2013, la cour a insuffisamment motivé son arrêt. Ce dernier doit, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, être annulé en tant qu'il statue sur le préjudice d'établissement et le préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives subis par M. A....
4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la limite de la cassation prononcée.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A..., né en 1972, dont les capacités physiques sont fortement limitées du fait de l'aggravation continue de son état de santé, en particulier postérieurement au jugement du 23 octobre 2012, ne peut mener avec ses deux enfants une vie familiale normale. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice d'établissement en mettant à ce titre à la charge de l'Etat une somme de 25 000 euros.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction que, si son hépatite auto-immune et sa polyarthrite rhumatoïde, diagnostiquées respectivement en 1994 et en 2001, contraignent M. A... à subir de lourds traitements médicaux et chirurgicaux et le font vivre dans la crainte constante d'une dégradation de son état, ce n'est qu'à la suite du développement de nouvelles pathologies liées aux traitements dont il fait l'objet, et de l'échec de ses deux greffes hépatiques, qui ont amenuisé ses espoirs de guérison, que le requérant, dont le pronostic vital est désormais engagé à court ou moyen terme, a été mis à même de mesurer toute l'étendue de son préjudice. Dans ces conditions, il en sera fait une juste appréciation en condamnant l'Etat à lui verser, à ce titre, une somme de 35 000 euros.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 60 000 euros. M. A... ayant, par un courrier dont le ministre chargé de la santé a accusé réception le 21 juin 2005, présenté une première demande préalable d'indemnisation des conséquences dommageables de l'aggravation de son état de santé, en relation avec sa vaccination contre le virus de l'hépatite B, il a droit aux intérêts au taux légal calculés sur cette somme à compter du 21 juin 2005. La capitalisation des intérêts a été demandée le 1er octobre 2010. A cette date, il était dû plus d'une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande et d'accorder la capitalisation tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros que demande M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A... tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser son préjudice d'établissement et son préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... une somme de 60 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2005. Les intérêts échus seront capitalisés à compter du 1er octobre 2010, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.
ECLI:FR:CECHS:2020:432775.20201229
Par une décision du 27 mars 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. B... A... dirigées contre l'arrêt n° 17LY04374 du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il se prononce sur le préjudice d'établissement et sur le préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives.
La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du refus de l'administration de réévaluer la rente annuelle dont il bénéficiait depuis 2002 en raison de l'hépatite auto-immune qu'il avait développée après une vaccination obligatoire, M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices résultant de l'aggravation de son état de santé. Par un jugement du 23 octobre 2012, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 12 mai 2016, la cour a condamné l'Etat à verser à l'intéressé une indemnité de 1 124 499,22 euros sous déduction des sommes déjà versées par l'Etat au titre de la rente annuelle servie antérieurement. Par une décision du 18 décembre 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur le pourvoi de M. A..., annulé cet arrêt en tant notamment qu'il avait rejeté ses conclusions relatives au préjudice d'établissement et au préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives. Par l'arrêt du 29 mai 2019 dont M. A... demande l'annulation en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions, la cour administrative d'appel de Lyon a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 561 381,05 euros.
2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à majorer ses prétentions en appel si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là que s'il appartient en principe au juge d'appel de réparer les préjudices invoqués dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges, il peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
3. Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que M. A... n'était pas recevable à demander pour la première fois en appel l'indemnisation de son préjudice d'établissement et de son préjudice spécifique résultant d'une pathologie évolutive, la cour a seulement relevé que ces deux chefs de préjudices ne s'étaient ni aggravés ni révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement du 23 octobre 2012. En se bornant à cette affirmation, alors que le requérant faisait valoir, de façon circonstanciée, que son état de santé s'était dégradé depuis le jugement du 23 octobre 2012, du fait, d'une part, en 2013, d'une récidive de cholangite sclérosante, du rejet de la greffe hépatique réalisée en 2008 et de la nécessité de subir une nouvelle transplantation en 2013 et en 2016 et, d'autre part, des complications résultant des traitements des lésions hépatiques et de la polyarthrite rhumatoïde dont il souffre, qui se sont traduits par une cataracte opérée en 2012, elle-même à l'origine d'une perte d'acuité visuelle, ainsi qu'au développement d'un diabète insulino-dépendant à compter de 2013, la cour a insuffisamment motivé son arrêt. Ce dernier doit, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, être annulé en tant qu'il statue sur le préjudice d'établissement et le préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives subis par M. A....
4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la limite de la cassation prononcée.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A..., né en 1972, dont les capacités physiques sont fortement limitées du fait de l'aggravation continue de son état de santé, en particulier postérieurement au jugement du 23 octobre 2012, ne peut mener avec ses deux enfants une vie familiale normale. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice d'établissement en mettant à ce titre à la charge de l'Etat une somme de 25 000 euros.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction que, si son hépatite auto-immune et sa polyarthrite rhumatoïde, diagnostiquées respectivement en 1994 et en 2001, contraignent M. A... à subir de lourds traitements médicaux et chirurgicaux et le font vivre dans la crainte constante d'une dégradation de son état, ce n'est qu'à la suite du développement de nouvelles pathologies liées aux traitements dont il fait l'objet, et de l'échec de ses deux greffes hépatiques, qui ont amenuisé ses espoirs de guérison, que le requérant, dont le pronostic vital est désormais engagé à court ou moyen terme, a été mis à même de mesurer toute l'étendue de son préjudice. Dans ces conditions, il en sera fait une juste appréciation en condamnant l'Etat à lui verser, à ce titre, une somme de 35 000 euros.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 60 000 euros. M. A... ayant, par un courrier dont le ministre chargé de la santé a accusé réception le 21 juin 2005, présenté une première demande préalable d'indemnisation des conséquences dommageables de l'aggravation de son état de santé, en relation avec sa vaccination contre le virus de l'hépatite B, il a droit aux intérêts au taux légal calculés sur cette somme à compter du 21 juin 2005. La capitalisation des intérêts a été demandée le 1er octobre 2010. A cette date, il était dû plus d'une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande et d'accorder la capitalisation tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros que demande M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A... tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser son préjudice d'établissement et son préjudice spécifique résultant des pathologies évolutives.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... une somme de 60 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2005. Les intérêts échus seront capitalisés à compter du 1er octobre 2010, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.