Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 21/12/2020, 441399

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

1° Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la juridiction administrative (SJA) demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions des articles 4-1, 6, 7, 8, 9, 12 et 14 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, le cas échéant, dans leur rédaction issue des ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 la modifiant, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

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2° Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la juridiction administrative demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de la même requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

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3° Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 septembre et 16 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la juridiction administrative demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de la même requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, dans sa rédaction initiale et dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2020-558 du 13 mai 2020.

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4° Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 septembre et 18 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la juridiction administrative (SJA) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de la même requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 9 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

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5° Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le syndicat de la juridiction administrative (SJA) demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de la même requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, notamment son article 11 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dorothée Pradines, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;




Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français à compter du début de l'année 2020 ont conduit les pouvoirs publics à prendre diverses mesures de lutte contre l'épidémie. Par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, le Premier ministre a interdit, à compter du lendemain midi, le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées. Dans le même temps, l'activité de nombreuses institutions et administrations a été réduite aux missions les plus essentielles dans le cadre de la mise en oeuvre de plans de continuité d'activité, les agents dont la présence sur leur lieu de travail n'était pas nécessaire à cette fin étant invités à télétravailler ou, en cas d'impossibilité, placés en autorisation spéciale d'absence. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. L'article 11 de la même loi a autorisé le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, diverses mesures relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de l'épidémie. Cette habilitation concerne notamment " 2° (...) toute mesure : (...) c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d'organisation du contradictoire devant les juridictions ".

2. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif. Cette ordonnance a été modifiée à deux reprises, par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020. Des projets de loi de ratification de ces trois ordonnances ont été déposés à l'Assemblée nationale le 13 mai 2020, s'agissant des deux premières, et le 24 juin 2020, s'agissant de la troisième. Ces ordonnances n'ont pas été ratifiées à la date de la présente décision. Le syndicat de la juridiction administrative demande l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions des articles 4-1, 6, 7, 8, 9, 12 et 14 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, dans leur rédaction résultant, le cas échéant, des ordonnances du 8 avril et 13 mai 2020. A l'appui de sa requête, il soulève cinq questions prioritaires de constitutionnalité, la première étant dirigée contre les dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 et les quatre autres contre certaines des dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 qu'il attaque.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 :

4. Les dispositions du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ont habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi, afin de faire face aux conséquences, notamment économiques, financières, sociales, ou encore de nature administrative ou juridictionnelle, de cette épidémie ainsi qu'aux conséquences des mesures prises pour limiter sa propagation. Aux termes du II de cet article 11 : " Les projets d'ordonnance pris sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire ".

5. Le syndicat requérant soutient que ces dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, en tant qu'elles dispensent de la consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, sont contraires au principe fondamental reconnu par les lois de la République de l'indépendance de la juridiction administrative et au principe de participation des travailleurs protégé par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

6. En vertu de l'article L. 232-3 du code de justice administrative, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, qui comprend, notamment, des représentants des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, " connaît des questions intéressant le fonctionnement et l'organisation des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'Etat " et est notamment " consulté sur toute question relative à la compétence, à l'organisation et au fonctionnement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ainsi que sur les dispositions qui prévoient la participation de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à l'exercice de fonctions autres que celles qu'ils exercent au sein de ces juridictions ".

7. En premier lieu, il résulte des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, depuis la loi du 24 mai 1872, que l'indépendance de la juridiction administrative est garantie ainsi que le caractère spécifique de ses fonctions, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement. Il n'appartient ainsi ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions administratives, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence.

8. Toutefois, en dispensant du respect de la consultation préalable du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel prévue à l'article L. 232-4 du code de justice administrative l'édiction de celles des ordonnances, prévues au I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, qui sont relatives à la procédure contentieuse applicable devant les juridictions administratives, les dispositions du II de ce même article ne peuvent être regardées comme portant atteinte à l'indépendance de la juridiction administrative.

9. En second lieu, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose, en son huitième alinéa, que " tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ", l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la fixation des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l'État ainsi que la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre.

10. En prévoyant, dans le contexte dans lequel les dispositions en cause ont été adoptées, que les projets d'ordonnance pris sur le fondement de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter sa propagation sont dispensés des consultations préalables prévues par la loi, telle que celle du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le législateur n'a pas méconnu le principe énoncé au huitième alinéa du Préambule de 1946.

11. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

12. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité portant sur des dispositions, le cas échéant modifiées, de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 :

13. Une question prioritaire de constitutionnalité, présentée par un mémoire distinct et portant sur les dispositions d'une ordonnance prise par le Gouvernement sur le fondement d'une habilitation donnée par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, est recevable si le délai d'habilitation est expiré et qu'elle porte sur la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, de dispositions de l'ordonnance qui relèvent du domaine de la loi. Elle doit alors être transmise au Conseil constitutionnel si les conditions fixées par les articles 23-2, 23-4 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont remplies.

14. Lorsque la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions d'une ordonnance, prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, qui ne relèvent pas du domaine de la loi, ces dispositions, dès lors qu'elles sont réglementaires, ne sont pas au nombre des dispositions législatives susceptibles d'être renvoyées au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution. La question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée ne peut faire l'objet d'une transmission au Conseil constitutionnel, sans préjudice de l'examen par le juge des moyens soulevés à l'appui du recours pour excès de pouvoir formé contre l'ordonnance ou à l'appui de la contestation par voie d'exception de la légalité de l'ordonnance, mettant en cause la conformité à la Constitution de ces dispositions réglementaires.

15. Le syndicat de la juridiction administrative soulève quatre questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles 6, 7, 9 et 12 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, le cas échéant, dans leur rédaction issue des ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020.

16. L'ordonnance du 25 mars 2020 et les ordonnances des 8 avril et 13 mai 2020 qui l'ont modifiée ont été prises sur le fondement des dispositions de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020. Le délai d'habilitation fixé par ces dispositions, qui était de trois mois à compter de la publication de la loi, est expiré à la date de la présente décision.

17. Si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer notamment les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et la création de nouveaux ordres de juridiction, les dispositions de la procédure applicable devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle.

18. Il appartient au Conseil d'Etat, statuant sur la transmission au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre de dispositions d'une ordonnance, de déterminer si les dispositions critiquées de l'ordonnance relèvent du domaine de la loi ou de la compétence réglementaire.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 :

19. Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, applicable à l'ensemble des juridictions de l'ordre administratif entre le 12 mars 2020 et le 10 juillet 2020, date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 : " Le président de la formation de jugement peut décider que l'audience aura lieu hors la présence du public ou que le nombre de personnes admises à l'audience sera limité ". Il résulte de ce qui a été dit au point 17 que ces dispositions, qui fixent des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, relèvent du domaine de la loi.

20. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi est " la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". S'il en résulte le principe de publicité des audiences devant les juridictions administratives, il est loisible au législateur d'apporter à ce principe des limitations liées à des exigences constitutionnelles, justifiées par l'intérêt général ou tenant à la nature de l'instance ou aux spécificités de la procédure, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

21. Les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ont pour objet de permettre au président d'une formation de jugement d'une juridiction relevant de l'ordre administratif de limiter, en tout ou partie, l'accès du public à une audience se tenant entre le 12 mars 2020 et le 10 juillet 2020, lorsqu'il paraît nécessaire, au vu de la situation sanitaire, de limiter les contacts entre les personnes et que la nature et les enjeux de l'affaire en cause n'y font pas obstacle. Ainsi ces dispositions temporaires, qui permettent notamment d'éviter le report de certaines audiences, visent, dans le contexte sanitaire particulier résultant de l'épidémie de covid-19, à concilier l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice et le respect du droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable. Il ne résulte pas de leurs dispositions d'atteinte disproportionnée au principe de publicité des audiences au regard des objectifs poursuivis. Par suite, le grief tiré par le syndicat requérant de la méconnaissance par ces dispositions du principe de publicité des audiences garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui ne soulève pas une question nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux.

22. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 dans leur rédaction initiale et dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 :

S'agissant des dispositions de l'article 7 de cette ordonnance dans leur rédaction initiale :

23. Le syndicat de la juridiction administrative n'ayant pas demandé dans sa requête l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 dans leur rédaction initiale et ces dispositions n'étant pas, pour un autre motif, applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que ces dispositions portent, dans leur rédaction initiale, atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté, sans qu'il y ait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité.

S'agissant des dispositions de l'article 7 de cette ordonnance dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 mai 2020 :

24. Aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 mai 2020 : " Sur décision du président de la formation de jugement insusceptible de recours, les audiences des juridictions de l'ordre administratif peuvent se tenir en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. / En cas d'impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d'entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s'assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges. / Lorsqu'une partie est assistée d'un conseil ou d'un interprète, il n'est pas requis que ce dernier soit physiquement présent auprès d'elle. / Avec l'autorisation du président de la formation de jugement, les membres de la juridiction peuvent participer à l'audience depuis un lieu distinct de la salle d'audience en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de leur identité et garantissant la qualité de la transmission ainsi que le secret du délibéré. / Le président de la formation de jugement, présent dans la salle d'audience, organise et conduit la procédure. Il s'assure du bon déroulement des échanges entre les parties et veille au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats. Il s'assure également, le cas échéant, du caractère satisfaisant de la retransmission dans la salle d'audience des conclusions du rapporteur public ainsi que des prises de parole des parties ou de leurs conseils. / Le président de la juridiction peut autoriser un magistrat statuant seul à tenir l'audience par un moyen de télécommunication audiovisuelle depuis un lieu distinct de la salle d'audience. / Le greffe dresse le procès-verbal des opérations. / Le rôle des audiences peut être publié sur le site internet de la juridiction ". Compte tenu de ce qui a été dit au point 17, les dispositions des premier à sixième alinéas de l'article 7, qui fixent des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, relèvent du domaine de la loi, tandis que ses autres alinéas relèvent de la compétence réglementaire.

Quant à celles de ses dispositions relevant du domaine de la loi :

25. Les dispositions des premier à sixième alinéas de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 mai 2020 ont pour objet, pour la période allant du 12 mars 2020 à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020, de permettre au président de la formation de jugement d'une juridiction relevant de l'ordre administratif de recourir pour la tenue des audiences à des moyens de télécommunication audiovisuelle permettant de certifier l'identité des personnes et d'assurer la qualité et la confidentialité des échanges, voire, en cas d'impossibilité technique ou matérielle d'user de tels moyens, à d'autres moyens de communication électronique, y compris téléphonique, dès lors qu'ils présentent les mêmes garanties. Il appartient au président de la formation de jugement de ne recourir à ces moyens dérogatoires de communication que pour autant que certaines parties ou leurs conseils ou encore certains membres de la formation de jugement ou le rapporteur public sont dans l'incapacité, pour des motifs liés à la crise sanitaire, d'être physiquement présents dans la salle d'audience et que la nature et les enjeux de l'affaire n'y font pas obstacle. En outre, lorsqu'il décide d'y recourir, il lui incombe de s'assurer que l'audience se déroule dans des conditions propres à satisfaire les exigences du caractère contradictoire de la procédure et le respect des droits de la défense. Enfin, si les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 permettent également au président d'une juridiction d'autoriser un magistrat statuant seul à tenir une audience par un moyen de télécommunication audiovisuelle depuis un lieu distinct de la salle d'audience, cette autorisation ne peut être délivrée qu'à titre exceptionnel lorsque le magistrat est, pour des motifs liés à la crise sanitaire, dans l'incapacité de tenir autrement cette audience et que la nature et les enjeux des affaires inscrites au rôle de l'audience imposent que l'audience se tienne sans délai et ne font pas obstacle à ce que l'audience se déroule ainsi.

26. Par suite, ces dispositions, applicables pour un temps limité, visent, dans le contexte général de la crise sanitaire, à concilier l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice et le respect du droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable, dès lors qu'elles permettent, notamment, d'éviter le report du jugement de certaines affaires. En outre, alors même qu'elles ne prévoient pas que le recours à ces modes dérogatoires de tenue d'une audience est subordonné à l'accord des parties et qu'elles n'imposent pas la présence physique de l'avocat aux côtés de son client, il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen au regard des objectifs ainsi poursuivis. Par suite, le grief tiré par le syndicat requérant de la méconnaissance par ces dispositions des droits de la défense et du droit à un procès équitable garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et notamment du principe de publicité des audiences que ce dernier principe inclut, ne soulève pas une question nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du grief tiré de la méconnaissance combinée des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789.

27. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions des premier à sixième alinéas de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 mai 2020 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Quant à celles de ses dispositions relevant du domaine réglementaire :

28. Les dispositions des septième et huitième alinéas de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 mai 2020, en vertu desquelles, en cas de recours à un mode de télécommunication audiovisuelle ou à un autre mode de communication électronique pour la tenue d'une audience, ou en cas, sur autorisation du président de la juridiction, de tenue d'une audience dans un lieu autre qu'une salle d'audience, le greffe dresse le procès-verbal des opérations et le rôle des audiences peut être publié sur le site internet de la juridiction, relèvent, ainsi qu'il a été dit au point 24, de la compétence réglementaire. Par suite, elles ne sont pas au nombre des dispositions législatives susceptibles de faire l'objet d'un renvoi au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 :

29. Aux termes de l'article de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 : " Outre les cas prévus à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Le juge des référés informe les parties de l'absence d'audience et fixe la date à partir de laquelle l'instruction sera close. / Ainsi qu'il est dit à l'article L. 523-1, les décisions prises sans audience, en application du premier alinéa, par le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative peuvent faire l'objet d'un appel lorsqu'elles n'ont pas été rendues en application de l'article L. 522-3 du même code ". Il résulte de ce qui a été dit au point 17 que ces dispositions, qui fixent des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, relèvent du domaine de la loi.

30. Les dispositions de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ont pour objet, pour la seule période courant entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020, de permettre au juge des référés de se prononcer, par une ordonnance motivée, sur une requête présentée en référé sans tenir d'audience publique, lorsque la nature et les enjeux de l'affaire n'y font pas obstacle. Sauf si les conditions prévues à l'article L. 522-3 du code de justice administrative sont remplies, cette requête doit faire l'objet d'une instruction contradictoire écrite. Le juge des référés doit informer les parties de l'absence d'audience et de la date à laquelle la clôture de l'instruction interviendra.

31. Si ces dispositions étendent, à titre temporaire, le champ des affaires pouvant être jugées sans audience, elles ne sont susceptibles de s'appliquer qu'aux affaires de référé, pour lesquelles l'article L. 511-1 du code de justice administrative prévoit que ne sont prises que des mesures qui présentent un caractère provisoire, lorsque le juge des référés estime que la nature et les enjeux de l'affaire n'y font pas obstacle. En outre, elles ne dérogent pas au principe du caractère contradictoire de la procédure. Enfin, dans le contexte particulier résultant de l'épidémie de covid-19, imposant de limiter les occasions de contacts entre les personnes, elles contribuent au jugement à bref délai de ces affaires, qui exigent une célérité particulière. Dans ces conditions, les dispositions de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ne privent pas de garanties légales les exigences constitutionnelles des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Par suite, le grief tiré par le syndicat requérant de la méconnaissance par ces dispositions des principes garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui ne soulève pas une question nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

32. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité sur les dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 25 mars 2020 :

33. Aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 25 mars 2020 : " Par dérogation aux articles R. 741-7 à R. 741-9 du code de justice administrative, la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement ". Compte tenu de ce qui a été dit au point 17, ces dispositions, dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, présentent un caractère réglementaire et ne sont pas au nombre des dispositions législatives susceptibles de faire l'objet d'un renvoi au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution.

34. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le syndicat requérant.




D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le syndicat de la juridiction administrative.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat de la juridiction administrative, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.

ECLI:FR:CECHR:2020:441399.20201221
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