Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 30/11/2020, 432095

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la délibération du 9 décembre 2011 du conseil municipal de Batz-sur-Mer (Loire Atlantique) approuvant l'avant-projet du maître d'oeuvre relatif au réaménagement de la rue des Goélands, la création d'une liaison douce entre les villages et le centre bourg et le retraitement de la route départementale 245 en traversée des villages de Roffiat et Kermoisan et, d'autre part, les décisions du maire de Batz-sur-Mer et du président du conseil général de Loire-Atlantique du 28 avril 2013 rejetant implicitement leurs demandes du 27 février 2013 tendant à la modification de ces aménagements. Par un jugement n° 1305195 du 30 septembre 2015, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 17NT00346 du 30 avril 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur l'appel de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs, annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Batz-sur-Mer sur sa demande du 27 février 2013, annulé cette décision et enjoint au maire de réexaminer la demande de l'association dans un délai de deux mois.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juillet et 2 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Batz-sur-Mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1 à 4 cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs ;

3°) de mettre à la charge de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Buk-Lament-Robillot, avocat de la commune de Batz-sur-Mer et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs et de Mme A... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 9 décembre 2011, le conseil municipal de Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique) a approuvé l'avant-projet de trois opérations d'aménagement portant, en premier lieu, sur le réaménagement de la rue des Goélands, en deuxième lieu, sur la création d'une liaison douce entre les villages et le centre bourg de la commune et, en troisième lieu, sur le réaménagement, sur une portion de 1 200 mètres, de la route départementale (RD) 245 en traversée des villages de Roffiat et Kermoisan. Par une délibération du 6 juillet 2012, le conseil municipal a attribué le marché de travaux à un groupement d'entreprises et autorisé le maire à signer les pièces constitutives du marché de travaux pour la réalisation des opérations, dont la commune assure la maîtrise d'ouvrage par délégation du département en tant qu'ils portent sur des portions de voirie départementale. Par deux courriers datés du 27 février 2013, adressés, pour l'un, au maire de la commune et, pour l'autre, au président du conseil général de Loire-Atlantique, l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs a sollicité la modification du projet de réaménagement de la RD 245. Par un jugement du 30 septembre 2015, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de l'association tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal du 9 décembre 2011 et des décisions implicites de rejet des demandes de modification adressées à la commune et au département. La commune de Batz-sur-Mer se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 avril 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2015 en tant qu'il statuait sur la décision implicite de rejet du maire, a annulé cette décision et enjoint à ce dernier de réexaminer la demande de modification du projet d'aménagement de la RD 245.

2. En annulant le jugement attaqué devant elle en tant qu'il avait statué sur les conclusions de l'association requérante dirigées contre la décision implicite de refus du maire et en faisant droit à ces conclusions d'annulation sans se prononcer sur la fin de non-recevoir, soulevée en défense devant le tribunal administratif par la commune de Batz-sur-Mer et qui n'avait pas été expressément abandonnée en appel, tirée de ce que cette association ne s'était pas acquittée de la contribution pour l'aide juridique alors prévue à l'article 1635 Q bis du code général des impôts, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la commune de Batz-sur-Mer est fondée à demander l'annulation des articles 1er à 4 de l'arrêt qu'elle attaque.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité de l'appel :

4. En premier lieu, en vertu des principes généraux de la procédure tels qu'ils sont rappelés à l'article R. 811-1 du code de justice administrative, le droit de former appel des décisions de justice est ouvert aux personnes qui ont été parties à l'instance sur laquelle la décision qu'elles attaquent a statué. En l'espèce, l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs était l'auteur de la demande sur laquelle le tribunal administratif de Nantes s'est prononcé par le jugement attaqué du 30 septembre 2015. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de ce que l'association ne serait pas recevable à relever appel de ce jugement au motif qu'elle n'aurait pas eu intérêt pour agir en première instance ne peut qu'être écartée.

5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la présidente de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs a été autorisée, par une décision du bureau de l'association en date du 17 novembre 2015, à agir devant la juridiction administrative, conformément à ce que prévoient les stipulations de l'article 9 des statuts de l'association. Il suit de là que la fin de non-recevoir, soulevée en appel, tirée du défaut de qualité de la présidente pour agir en appel au nom de l'association ne peut qu'être écartée.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

6. En premier lieu, eu égard aux changements des circonstances résultant de l'engagement des travaux, la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le maire de Batz-sur-mer sur la demande de l'association du 27 février 2013 tendant à la modification du projet de réaménagement de la RD 45 ne revêt pas le caractère d'une décision confirmative d'une décision implicite du maire rejetant une précédente demande du 5 juillet 2012.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 3 juillet 2013. Par suite, en application des dispositions du III de l'article 1635 Q bis du code général des impôts, elle était dispensée d'acquitter la contribution pour l'aide juridique.

Sur la légalité de la décision implicite de refus du maire :

8. Aux termes de l'article L. 228-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " A l'occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l'exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d'aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. / L'aménagement de ces itinéraires cyclables doit tenir compte des orientations du plan de déplacements urbains, lorsqu'il existe. " Il résulte de ces dispositions que l'itinéraire cyclable dont elles imposent la mise au point à l'occasion de la réalisation ou de la rénovation d'une voie urbaine doit être réalisé sur l'emprise de la voie ou le long de celle-ci, en suivant son tracé, par la création d'une piste cyclable ou d'un couloir indépendant ou, à défaut, d'un marquage au sol permettant la coexistence de la circulation des cyclistes et des véhicules automobiles. Une dissociation partielle de l'itinéraire cyclable et de la voie urbaine ne saurait être envisagée, dans une mesure limitée, que lorsque la configuration des lieux l'impose au regard des besoins et contraintes de la circulation.

9. Il ressort des pièces du dossier que l'opération de réaménagement de la RD 245 en traversée des villages de Kermoisan et de Roffiat a consisté, sur une portion de 1 200 mètres principalement bordée d'habitations, à modifier les carrefours et l'organisation du stationnement, à moderniser le réseau des eaux pluviales, à diminuer la largeur de la chaussée, et à rénover le revêtement et le marquage au sol de la voie. Elle doit être regardée comme une opération de rénovation d'une voie urbaine au sens de l'article L. 228-2 du code de l'environnement.

10. Il ressort également des pièces du dossier que le projet de réaménagement de la RD 245 sur la portion en litige ne prévoit la réalisation d'aucun itinéraire cyclable sur l'emprise de la voie ou le long de celle-ci, la création sur une emprise située à quelques centaines de mètres de celle de la RD 245, d'une " liaison douce " reliant le centre-bourg de Batz-sur-Mer et les villages ne pouvant, en tout état de cause, être regardée comme en tenant lieu. Dès lors, le projet contesté a été arrêté en méconnaissance des dispositions de l'article L. 228-2 du code de l'environnement.

11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, l'association requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de la commune de Batz-sur-Mer sur sa demande de modification du projet d'aménagement en litige.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au maire de Batz-sur-Mer, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre les mesures d'exécution de la présente décision dans un délai de six mois à compter de sa notification, en procédant aux aménagements, conformes aux dispositions actuellement en vigueur de l'article L. 228-2 du code de l'environnement, nécessaires pour assurer la coexistence des cycles et des véhicules automobiles sur la portion de voie réaménagée.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Batz-sur-mer la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. Les dispositions de l'article L. 761-1 font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette association, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 1er à 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 30 avril 2019 sont annulés.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs tendant à l'annulation la décision implicite de rejet née du silence conservé par le maire de Batz-sur-Mer sur sa demande du 27 février 2013.
Article 3 : La décision par laquelle le maire de Batz-sur-Mer a implicitement rejeté la demande de modification du projet de réaménagement de la RD 245 présentée par l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs le 27 février 2013 est annulée.
Article 4 : Il est enjoint à la commune de Batz-sur-Mer, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, de procéder aux aménagements sur la portion de la route départementale 45 qui a fait l'objet de l'opération de réaménagement conformément aux motifs énoncés au point 12 de la présente décision.
Article 5 : La commune de Batz-sur-Mer versera à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs, la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la commune de Batz-sur-Mer, à l'association de défense et de protection des riverains de Kermoisan et ses environs et au département de la Loire-Atlantique.

ECLI:FR:CECHR:2020:432095.20201130
Retourner en haut de la page