Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 27/11/2020, 431748

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 17 juin et 16 septembre 2019 et les 6 juillet et 30 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, SNCF Réseau demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis n° 2019-005 du 7 février 2019 de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAFER) relatif à la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national pour l'horaire de service 2020 en tant qu'il refuse d'émettre un avis favorable sur la redevance de marché payée par les services conventionnés TER ainsi que sur la redevance de marché et la redevance d'accès payées par les services conventionnés en Ile-de-France et émet un avis favorable à hauteur d'une évolution globale maximale des redevances, entre les horaires de service 2019 et 2020, de + 1,8 % au lieu des 2,4 % demandés par SNCF Réseau, ensemble la décision en date du 18 avril 2019 portant rejet du recours gracieux contre cet avis ;

2°) d'enjoindre à l'ARAFER d'émettre un avis favorable sur la proposition d'évolution de la redevance de marché payée par les services conventionné TER, la redevance de marché et la redevance d'accès payées par les services conventionnés en Ile-de-France telle que présentée par SNCF Réseau, soit à hauteur de + 2,4 % ;

3°) de condamner l'ARAFER au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 ;
- le code des transports ;
- l'ordonnance n° 2019-183 du 11 mars 2019 ;
- le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 ;
- le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 novembre 2020, présentée par l'Autorité de régulation des transports ;





Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique applicable :

1. La directive n° 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen définit notamment le cadre de tarification de l'infrastructure ferroviaire par des redevances, selon des principes énoncés à son article 31. Le paragraphe 3 de cet article prévoit ainsi que : " les redevances perçues pour l'ensemble des prestations minimales et pour l'accès à l'infrastructure reliant les installations de service sont égales au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire. ". Par exception à ce principe le 1. de l'article 32 dispose : " Un État membre peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l'infrastructure et si le marché s'y prête, percevoir des majorations sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. ".

2. Selon l'article L. 2111-9 du code des transports : " La société SNCF Réseau a pour mission d'assurer (...): 1° L'accès à l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, comprenant la répartition des capacités et la tarification de cette infrastructure ; (...) ". L'article L. 2133-5 du même code dispose : " I.- L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières émet un avis conforme sur la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national tenant compte : / 1° Des principes et des règles de tarification applicables sur ce réseau, prévus notamment, dans le cas de SNCF Réseau, à l'article L. 2111-25 ; / 2° De la soutenabilité de l'évolution de la tarification pour le marché du transport ferroviaire, et en considération de la position concurrentielle du transport ferroviaire sur le marché des transports ; / 3° Des dispositions du contrat, mentionné à l'article L. 2111-10, conclu entre l'Etat et SNCF Réseau (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2111-25 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, applicable au présent litige, le calcul des redevances d'infrastructure " tient notamment compte du coût de l'infrastructure, de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ; il tient également compte de la nécessité de tenir les engagements de desserte par des trains à grande vitesse pris par l'État dans le cadre de la construction des lignes à grande vitesse et de permettre le maintien ou le développement de dessertes ferroviaires pertinentes en matière d'aménagement du territoire ; enfin, il tient compte, lorsque le marché s'y prête, et sur le segment de marché considéré, de la soutenabilité des redevances et de la valeur économique, pour l'attributaire de la capacité d'infrastructure, de l'utilisation du réseau ferré national et respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. Tant que le coût complet du réseau n'est pas couvert par l'ensemble de ses ressources, SNCF Réseau conserve le bénéfice des gains de productivité qu'il réalise. Les principes et montants des redevances peuvent être fixés de façon pluriannuelle, sur une période ne pouvant excéder cinq ans. (...) ". Le troisième alinéa de cet article précise que, pour les services de transport ferroviaire faisant l'objet d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", " la soutenabilité des redevances est évaluée selon des modalités permettant de prendre en compte les spécificités de tels services, en particulier l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation, en vue d'assurer, le cas échéant, que les majorations sont définies sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires ".

4. En application de l'article 31 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire, le gestionnaire d'infrastructure " peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par lui et si le marché s'y prête, percevoir des majorations des redevances d'infrastructure pour des segments particuliers de marché (...). 2° Le gestionnaire d'infrastructure définit la liste des segments de marché. Elle contient au moins les trois segments suivants : (...) services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public (...) ". Enfin, il résulte des dispositions des articles 6 et 6-1 du décret du 5 mai 1997 relatif aux redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national perçues par SNCF Réseau que constituent des majorations de redevances d'infrastructure au sens des dispositions de l'article 31 du décret du 7 mars 2003, la redevance de marché due par toute entreprise ferroviaire utilisant le réseau ferré national et la redevance d'accès au réseau ferré national des services publics de transport de voyageurs assurés en exécution d'un contrat conclu par une autorité organisatrice de transports, à la charge d'Ile-de-France Mobilités pour ceux de ces services dont il est l'autorité organisatrice et de l'Etat pour les autres.

Sur le litige :

5. En application des dispositions du décret du 5 mai 1997, SNCF Réseau a publié un projet de tarification de l'infrastructure ferroviaire pour l'horaire de service 2020, dont le caractère exécutoire était subordonné à l'avis conforme de l'ARAFER.

6. L'ARAFER, devenue Autorité de régulation des transports (ART), a rendu un avis conforme le 7 février 2019, sauf en ce qui concerne " la redevance de marché payée par les services conventionnés TER, pour laquelle [elle a émis] un avis favorable à hauteur d'une évolution globale maximale des redevances, hors redevance d'accès payée par l'Etat, entre les horaires de service 2019 et 2020, de + 1,8 % " ainsi que " la redevance de marché et la redevance d'accès payées par les services conventionnés en Ile-de-France pour lesquelles l'Autorité émet un avis favorable à hauteur d'une évolution globale maximale des redevances, entre les horaires de service 2019 et 2020, de + 1,8 % ".

7. SNCF Réseau demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis en tant qu'il n'est pas conforme à son projet pour ces deux catégories de redevances ainsi que de la décision du 18 avril 2019 portant rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions d'annulation :

8. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 3 et 4 que des majorations de redevances pour les services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", ayant pour but de couvrir, en plus du coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire, tout ou partie des coûts fixes du réseau, peuvent être instituées sous réserve de leur soutenabilité, c'est-à-dire de la capacité du marché à les supporter. Il résulte en particulier du troisième alinéa de l'article L. 2111-25 du code des transports, avant comme après l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 11 mars 2019, interprété conformément aux objectifs de l'article 32 la directive 2012/34/UE, que, pour se prononcer sur le projet de tarification, en particulier sur ces majorations, l'Autorité doit tenir compte de l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à l'exploitation de ces services ; il lui appartient de s'assurer que les tarifs projetés ne remettent pas en cause l'équilibre économique des contrats de service public du segment de marché considéré, en faisant peser sur les entreprises ferroviaires des majorations qu'elles ne peuvent pas supporter ou, en cas de compensation des redevances par les autorités organisatrices, en prévoyant des majorations à un niveau de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment.

9. Il ressort des pièces du dossier que la proposition tarifaire de SNCF Réseau pour l'horaire de service 2020 comportait une augmentation de 2,4 % de la redevance de marché, dont les autorités organisatrices de transport ferroviaire assument la charge en vertu des contrats de service public qui les lient actuellement aux entreprises ferroviaires, et une augmentation de 2,4 % de la redevance d'accès. Pour estimer que ces augmentations, qui correspondaient aux évolutions prévisionnelles définies dans le contrat de performance conclu entre l'État et la SNCF, n'étaient pas soutenables et qu'elles ne pouvaient être regardées comme soutenables qu'à la condition d'être ramenées à un niveau inférieur ou égal à 1,8 %, l'Autorité s'est fondée, d'une part, sur l'impossibilité pour le contrat de performance de prévaloir sur les règles et principes de tarification résultant de la directive 2012/34/UE et de ses textes de transposition, d'autre part, sur la circonstance que ces augmentations excédaient tant le plafond d'augmentation des dépenses de fonctionnement des régions, fixé à 1,2 % par l'Etat, que l'évolution de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), établie à 1,8 %, alors que SNCF Réseau ne démontrait pas la capacité financière des régions et d'Ile-de-France Mobilités à les assumer.

10. Contrairement à ce que soutient SNCF Réseau, il était loisible à l'Autorité, dont la mission n'est pas limitée sur ce point à l'approbation ou au refus des projets tarifaires, dès lors qu'elle estimait ne pas pouvoir émettre d'avis conforme favorable au projet d'augmentation qui lui était soumis, d'émettre un avis conforme favorable sous réserve que l'augmentation soit ramenée à un niveau inférieur au seuil à partir duquel elle estimait devoir émettre un avis défavorable au vu des critères d'appréciation à mettre en oeuvre selon les dispositions citées ci-dessus des articles L. 2111-25 et L. 2133-5 du code des transports, en particulier du critère de soutenabilité. En outre, elle n'était pas tenue de regarder les évolutions de redevance projetées comme soutenables au seul motif qu'elles correspondaient à l'augmentation du " barème des péages voyageurs " prévue par le contrat de performance conclu entre SNCF Réseau et l'État en vertu de l'article L. 2111-10 du code, dès lors qu'il lui appartient seulement de tenir compte de ce contrat et elle pouvait prendre en considération l'IPCH dans son analyse de la capacité du marché à supporter les majorations projetées.

11. Toutefois, en exigeant que SNCF Réseau démontre la capacité financière des autorités organisatrices à faire face aux majorations projetées, en faisant du plafond d'augmentation des dépenses de fonctionnement des régions un élément déterminant pour l'appréciation de la soutenabilité de l'augmentation des majorations et en estimant que toute augmentation des majorations à un niveau supérieur à l'évolution de l'indice des prix à la consommation ne pourrait être regardée comme soutenable, alors qu'il lui appartenait uniquement, s'agissant de services de transport conventionnés, pour lesquels la capacité du marché à supporter les majorations ne peut être évaluée comme pour les services librement organisés soumis à concurrence, de tenir compte des éléments d'appréciation mentionnés au point 8 ci-dessus, l'Autorité a commis une erreur de droit. SNCF Réseau est ainsi fondée à demander l'annulation de l'avis du 7 février 2019 en tant qu'il porte sur la redevance de marché pour les services conventionnés TER ainsi que sur la redevance de marché et la redevance d'accès pour les services conventionnés en Ile-de-France.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

12. Ces annulations impliquent seulement que l'ART réexamine, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, le projet de tarification de l'infrastructure ferroviaire pour l'horaire de service 2020sur les éléments mentionnés au point 11 ci-dessus.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ART la somme de 3 000 euros à verser à SNCF Réseau, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'avis n° 2019-005 du 7 février 2019 de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAFER) relatif à la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national pour l'horaire de service 2020 est annulé en tant qu'il porte sur la redevance de marché pour les services conventionnés TER ainsi que sur la redevance de marché et la redevance d'accès pour les services conventionnés en Ile-de-France.

Article 2 : Il est enjoint à l'Autorité de régulation des transports de procéder à un nouvel examen des propositions formulées par SNCF Réseau dans la mesure de l'annulation prononcée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Autorité de régulation des transports versera à SNCF Réseau la somme de 3 000euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de SNCF Réseau est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à SNCF Réseau, à l'Autorité de régulation des transports et à la ministre de la transition écologique.

ECLI:FR:CECHR:2020:431748.20201127
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