Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 27/11/2020, 426091

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) Lips a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 et, à titre subsidiaire, de reconnaître la possibilité d'assimiler chacun de ses immeubles à une immobilisation pour les besoins de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Par un jugement n° 1622255 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18PA00066 du 10 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Lips contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés le 7 décembre 2018, le 7 mars 2019 et le 27 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lips et la société Financière Lord Byron venant aux droits de la société Lips demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Dans l'hypothèse de l'acquisition par un marchand de biens d'un immeuble construit depuis plus de cinq ans et loué nu sous le régime de la TVA, la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, et notamment son article 168, lorsque ce marchand de bien poursuit la location de l'immeuble jusqu'à sa revente, en optant pour la TVA sur les loyers : / - permettent-ils (i) de refuser toute déduction de la TVA acquittée sur l'achat de l'immeuble par le marchand de biens, qui réalise des opérations taxables de façon continue (à savoir la location dudit immeuble en TVA), et (ii) de reporter la naissance du droit à déduction de la totalité de cette TVA au moment de la revente dudit immeuble, en subordonnant entièrement et uniquement cette déduction à l'option par le marchand de biens, pour le paiement de la TVA sur la revente ' - s'opposent-ils donc à la déduction immédiate, par ce marchand de biens, de la TVA qu'il a acquittée sur l'acquisition d'un tel immeuble, alors qu'il a opté pour le paiement de la TVA sur les loyers perçus à compter de cette acquisition ' " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Financière Lord Byron, venant aux droits de la société Lips ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 novembre 2020, présentée par la société Financière Lord Byron, venant aux droits de la société Lips ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Lips, qui exerçait une activité de marchand de biens, a acquis le 31 janvier 2014 vingt-quatre immeubles achevés depuis plus de cinq ans. Ces acquisitions ont été placées, compte tenu de l'option exercée par les vendeurs en application du 5° bis de l'article 260 du code général des impôts, sous le régime d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé le coût d'acquisition de ces immeubles n'était pas immédiatement déductible et a assujetti la société Lips à un rappel de taxe au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004. La société Financière Lord Byron venant aux droits de la société Lips demande l'annulation de l'arrêt du 10 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Lips contre le jugement du 7 novembre 2017 du tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande tendant à la décharge de ce rappel.

2. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) ". Aux termes de l'article 261 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 5. (Opérations immobilières) : / (...) 2° Les livraisons d'immeubles achevés depuis plus de cinq ans (...) ". Aux termes de l'article 260 de ce code dans sa rédaction applicable au litige : " Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 5° bis Les personnes qui réalisent une opération visée au 5 de l'article 261 (...) ". Aux termes de l'article 201 quater de l'annexe II au même code dans sa rédaction applicable au litige : " L'option prévue au 5° bis de l'article 260 du code général des impôts s'exerce distinctement par immeuble, fraction d'immeuble ou droit immobilier mentionné au 1 du I de l'article 257 de ce code, relevant d'un même régime au regard des articles 266 et 268 du même code. Il doit être fait mention de cette option dans l'acte constatant la mutation ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsqu'un immeuble achevé depuis plus de cinq ans est acquis en vue de sa revente, la taxe sur la valeur ajoutée ayant éventuellement grevé le prix d'acquisition n'est pas déductible sauf exercice, au moment de la revente, de l'option prévue au 5° bis de l'article 260 du code général des impôts. Par suite, la taxe acquittée lors de l'acquisition du bien n'est pas déductible avant cette date, quand bien même l'immeuble donnerait lieu, dans l'attente de sa revente, à des opérations de location soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

3. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 ci-dessus qu'après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société Lips avait acquis, dans le cadre de son activité de marchand de biens, les immeubles en litige dans l'intention de les revendre, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni insuffisamment motivé sa décision en jugeant que la taxe sur la valeur ajoutée acquittée lors de l'acquisition des immeubles ne pouvait être déduite qu'au moment de leur revente en cas d'exercice de l'option prévue au 5° bis de l'article 260 du code général des impôts, et non immédiatement sur la taxe collectée afférente aux loyers perçus dans l'attente de cette revente, en l'absence de lien direct et immédiat entre l'achat des immeubles et l'activité intercalaire de location.

4. Il résulte de ce qui précède que la société Financière Lord Byron, venant aux droits de la société Lips, n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Financière Lord Byron est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Financière Lord Byron venant aux droits de la société Lips et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2020:426091.20201127
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