CAA de MARSEILLE, 9ème chambre, 24/11/2020, 20MA01116, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2019 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.

Par un jugement n° 1906729 du 11 février 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 mars et 3 septembre 2020, M. D..., représenté par la SCP Dessalces, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 11 février 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 28 novembre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à venir ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à venir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle est fondée sur l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la mesure d'éloignement en litige est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- cette mesure d'éloignement est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2020, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par M. D... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que M. D... ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français à la date de l'arrêté attaqué dès lors qu'il était alors titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle en cours de validité.

Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.



Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant marocain né en 1987 et entré régulièrement en France le 13 avril 2017, s'est vu délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " valable jusqu'au 12 avril 2020. L'intéressé a sollicité, le 3 juin 2019, un changement de statut et la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ". Par un arrêté du 28 novembre 2019, le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé. M. D... relève appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Hérault a demandé, dans son mémoire en défense de première instance, que soit substitué au fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, retenu dans la décision contestée, celui de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987. Contrairement à ce que soutient M. D..., les premiers juges, qui ont fait droit à cette demande de substitution de base légale, ont suffisamment motivé leur jugement sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision de refus de titre de séjour :

4. En premier lieu, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

5. M. D... persiste à soutenir en appel que le préfet de l'Hérault a entaché sa décision d'une erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que sa situation entre dans le champ des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987. Toutefois, comme l'ont à juste titre indiqué les premiers juges, la décision de refus de titre de séjour en litige trouve son fondement légal dans cet article 3 dont les stipulations peuvent être substituées aux dispositions de l'article L. 31310 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que cette substitution de base légale, sur laquelle M. D... a pu présenter des observations, ne prive l'intéressé d'aucune garantie. Il y a donc lieu de confirmer la substitution de base légale à laquelle il a été procédé et d'écarter le moyen tiré de l'erreur de droit.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

7. Si M. D... se prévaut de son mariage, célébré le 28 juillet 2018, avec une compatriote titulaire d'une carte de résident, il n'établit pas, par les seules pièces qu'il produit, l'existence d'une vie commune avec cette dernière antérieurement à leur mariage qui était encore récent à la date de l'arrêté contesté. L'appelant invoque inutilement la circonstance, postérieure à l'arrêté attaqué, qu'un enfant soit né de leur union. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de l'épouse de M. D... rendrait indispensable la présence permanente de ce dernier à ses côtés. Par ailleurs, si l'intéressé fait état de la présence régulière en France de ses parents ainsi que de deux membres de sa fratrie, il n'établit pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, pays dont son épouse est originaire et dans lequel il a vécu la majeure partie de sa vie. Dans ces conditions, compte tenu des conditions du séjour en France de M. D... et en dépit de ses efforts d'insertion sociale et professionnelle, la décision de refus de titre de séjour en litige ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le préfet de l'Hérault n'a pas, en édictant cette décision, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En troisième et dernier lieu, M. D... reprend en appel le moyen tiré de ce que la décision de refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle. Il n'apporte toutefois aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges. Il y a donc lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit au point 8 du jugement contesté.

En ce qui concerne la légalité de la mesure d'éloignement :

9. L'arrêté contesté, s'il contient notamment une décision portant rejet de la demande de titre de séjour portant la mention " salarié " présentée par M. D..., n'a eu ni pour objet ni pour effet de retirer ou d'abroger la carte de séjour pluriannuelle évoquée au point 1 dont l'intéressé était alors titulaire. Cette carte de séjour étant encore en cours de validité à la date de l'arrêté attaqué, M. D... ne pouvait pas légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement à cette date. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés à son encontre, la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée. Doivent également être annulées, par voie de conséquence, les décisions subséquentes accordant un délai de départ volontaire à M. D... et fixant le pays de destination.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 28 novembre 2019 lui faisant obligation de quitter le territoire français, lui accordant un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

11. L'exécution du présent arrêt, qui prononce seulement l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ainsi que celle des décisions subséquentes, n'implique pas que le préfet de l'Hérault délivre un titre de séjour à M. D..., ni qu'il procède au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par l'intéressé. Par suite, les conclusions de l'appelant à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.



Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 11 février 2020 est annulé en tant qu'il rejette la demande d'annulation des décisions, contenues dans l'arrêté du préfet de l'Hérault du 28 novembre 2019, faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français, lui accordant un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination.

Article 2 : Les décisions du préfet de l'Hérault du 28 novembre 2019 faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français, lui accordant un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination sont annulées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Chazan, président,
- Mme B..., présidente assesseure,
- M. C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2020.

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N° 20MA01116



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