CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 10/11/2020, 19VE02065, Inédit au recueil Lebon
CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 10/11/2020, 19VE02065, Inédit au recueil Lebon
CAA de VERSAILLES - 3ème chambre
- N° 19VE02065
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
10 novembre 2020
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de
43 724 292 euros.
Par un jugement n° 1309259 du 4 mai 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à cette demande.
Procédure initiale devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 août 2015 et le 12 février 2016, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS a demandé à la Cour :
1° d'annuler l'article 1er de ce jugement ;
2° de remettre à la charge de M. C... les impositions et pénalités dont la décharge a été prononcée en première instance.
Il soutenait que :
- la qualification fiscale du gain résultant de la levée d'option réalisée par M. C... est celle d'un complément de salaire tant en application du droit interne que de l'article 17 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 ;
- à titre subsidiaire, l'article 18 de la même convention attribue à la France l'imposition de la plus-value d'acquisition réalisée par M. C... ;
- la durée de l'examen de sa situation fiscale personnelle a été prorogée par le droit de communication exercé auprès de l'autorité judiciaire ;
- le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;
- il est établi que M. C... a cédé les actions qu'il avait acquises en levant les options qui lui ont été attribuées.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 décembre 2015, le 20 mai 2016 et le 24 mai 2017, M. et Mme C..., représentés par Me Gibert, avocat, ont conclu :
1° au rejet du recours ;
2° à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils faisaient valoir que :
- l'article 17 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 est inapplicable à la situation de M. C... qui était un mandataire social non salarié ;
- l'article 18 de la convention franco-suisse n'est pas applicable à toutes les rémunérations perçues par les membres des conseils d'administration des sociétés mais seulement à celles perçues en qualité de membre d'un conseil d'administration ; M. C... n'a pu se voir attribuer des options en cette qualité car la loi française l'interdit ; il les a reçues en sa qualité de directeur général de Vinci ;
- à titre subsidiaire, en ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition, les dispositions combinées des articles L. 12 et L. 101 du livre des procédures fiscales ont été détournées par l'administration dans la mesure où, d'une part, l'article L. 101 a été mis en oeuvre à l'extrême limite du délai d'un an prévu par l'article L.12, l'administration fiscale ayant ainsi commis un détournement de procédure et où, d'autre part, l'enquête préliminaire dont il faisait l'objet ne contenait aucun élément laissant présumer une fraude fiscale ;
- à titre subsidiaire, l'administration n'établit pas l'existence de cessions des actions acquises lors de la levée d'options.
Par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017, contre lequel le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS s'est pourvu en cassation, la Cour a rejeté la requête de ce dernier.
Procédure devant le Conseil d'État :
Le Conseil d'État, par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé le jugement de l'affaire, réenregistrée sous le n° 19VE02065.
Procédure devant la Cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires, enregistrés les 22 juillet et 15 octobre 2019, 7 janvier et 2 juin 2020, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS conclut aux mêmes fins que sa requête introductive d'instance, par les mêmes moyens que précédemment.
Il soutient, en outre, que :
- le Conseil d'Etat s'est définitivement prononcé sur les questions relatives au fait générateur du revenu imposable et de l'imposition, à leur date, à la preuve de la cession des titres acquis par voie d'option par M. C..., au montant des revenus résultant de ces opérations et aux conditions d'application de la convention franco-suisse en ce qui concerne le caractère imposable en France de ces revenus avant et après que M. C... est devenu résident fiscal suisse, de telle sorte que les intimés ne peuvent plus sérieusement contester le bien-fondé des impositions litigieuses ;
- le droit de communication intervenu en vertu de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales a été réalisé avant l'expiration du délai d'un an prévu par l'article L. 12 du même livre et ne révèle, par suite, aucun détournement de procédure ; en outre, la circonstance qu'il a porté sur des documents détenus par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une enquête préliminaire est sans incidence sur sa régularité ;
- le directeur juridique de la société Vinci ayant commis une opposition à fonctions au sens de l'article 1746 du code général des impôts en refusant de communiquer les relevés du registre des titres au porteur identifiés en sa possession, le service était fondé à saisir l'autorité judiciaire de ce délit ; c'est, par suite, sans commettre de détournement de procédure que l'administration a pu obtenir du Parquet, dans le cadre de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, les documents saisis dans le cadre de la procédure ainsi diligentée.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Mes Gibert et Bailleul-Mirabaud, avocats, représentant
M. et Mme C....
Une note en délibéré présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance a été enregistrée le 7 octobre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... s'est vu attribuer des options de souscriptions d'actions de la société Vinci, dont il était le président directeur général, dans le cadre de plusieurs plans s'étalant de 2000 à 2003. Ces options ont été levées. Au cours du mois de juin 2006, M. C... a quitté ses fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général de la société Vinci et est devenu résident fiscal suisse à compter du 25 de ce même mois. A la suite d'un examen de situation fiscale personnelle, l'administration fiscale a estimé que M. C... avait cédé au cours de l'année 2007 ses actions de la société Vinci et que l'avantage correspondant à la différence entre la valeur des actions à la date de la levée d'options et le prix d'achat de ces actions constituait un complément de salaire imposable en France. Elle a en conséquence assujetti M. et Mme C... à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu assortie de pénalités au titre de l'année 2007. Par un jugement n°1309259 du 4 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil a accordé à M. et Mme C... la décharge de cette cotisation et des pénalités correspondantes. Sur appel du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, la Cour a rejeté sa requête par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017. Par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, le Conseil d'État, statuant au contentieux et saisi par le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour, où elle a été enregistrée de nouveau sous le n° 19VE02065.
2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". L'article L.82 C de ce livre prévoit quant à lui : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " et l'article L. 101 du même livre prévoit que : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un
non-lieu ".
3. Aux termes, d'autre part, de l'article 49 du code de procédure pénale : " Le juge d'instruction est chargé de procéder aux informations (...) ". Aux termes de l'article 75 du même code : " Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire (...) procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d'office. / Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général. (...) ".
4. Il résulte des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, précédemment citées, dans leur rédaction applicable au présent litige, que les renseignements recueillis dans le cadre d'une procédure judiciaire ne peuvent être transmis à l'administration fiscale que dans le cadre d'une instance civile ou commerciale ou lorsqu'une information judiciaire avait été ouverte par un juge d'instruction et non dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite.
5. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a exercé, le 28 juin 2010, sur le fondement de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, son droit de communication auprès du procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée contre la société Vinci à la suite d'une plainte déposée par l'administration fiscale pour opposition à fonctions, en application du 1 de l'article 1746 du code général des impôts. L'administration a ainsi obtenu la communication des extraits de registre de titres au porteur identifiable (TPI) de la société Vinci, que celle-ci s'était refusée de communiquer au service, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales, au motif que ces documents auraient été couverts par le secret professionnel. Il est toutefois constant que ces documents, obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République, ne provenaient dès lors pas du dossier d'une instance civile ou pénale en cours, et ne pouvaient ainsi être régulièrement communiqués à l'administration fiscale sur le fondement des dispositions de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, et pas davantage en tout état de cause, contrairement à ce que soutient le ministre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 101 du même code. Or, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 20 juillet 2010, que le vérificateur s'est effectivement fondé sur les renseignements irrégulièrement obtenus dans le cadre de son droit de communication pour établir l'imposition en litige, en particulier pour déterminer l'année de cession des titres et par conséquent l'année d'imposition des gains d'acquisition correspondants, à savoir l'année 2007. Dans ces conditions, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance, alléguée par le ministre, tirée de ce que ce droit de communication exercé auprès du parquet n'avait pour objet que de permettre au service de corriger un manquement initial de la société Vinci, M. et Mme C... sont fondés à soutenir que, dès lors que le droit de communication a été irrégulièrement exercé dans le cadre d'une enquête préliminaire et que les redressements ont été fondés sur des documents obtenus dans ce cadre, la procédure d'imposition suivie à leur encontre est viciée, cette irrégularité étant de nature à elle seule à justifier la décharge des impositions contestées.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge de l'imposition en litige et des pénalités correspondantes.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
N° 19VE02065 2
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de
43 724 292 euros.
Par un jugement n° 1309259 du 4 mai 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à cette demande.
Procédure initiale devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 août 2015 et le 12 février 2016, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS a demandé à la Cour :
1° d'annuler l'article 1er de ce jugement ;
2° de remettre à la charge de M. C... les impositions et pénalités dont la décharge a été prononcée en première instance.
Il soutenait que :
- la qualification fiscale du gain résultant de la levée d'option réalisée par M. C... est celle d'un complément de salaire tant en application du droit interne que de l'article 17 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 ;
- à titre subsidiaire, l'article 18 de la même convention attribue à la France l'imposition de la plus-value d'acquisition réalisée par M. C... ;
- la durée de l'examen de sa situation fiscale personnelle a été prorogée par le droit de communication exercé auprès de l'autorité judiciaire ;
- le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;
- il est établi que M. C... a cédé les actions qu'il avait acquises en levant les options qui lui ont été attribuées.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 décembre 2015, le 20 mai 2016 et le 24 mai 2017, M. et Mme C..., représentés par Me Gibert, avocat, ont conclu :
1° au rejet du recours ;
2° à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils faisaient valoir que :
- l'article 17 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 est inapplicable à la situation de M. C... qui était un mandataire social non salarié ;
- l'article 18 de la convention franco-suisse n'est pas applicable à toutes les rémunérations perçues par les membres des conseils d'administration des sociétés mais seulement à celles perçues en qualité de membre d'un conseil d'administration ; M. C... n'a pu se voir attribuer des options en cette qualité car la loi française l'interdit ; il les a reçues en sa qualité de directeur général de Vinci ;
- à titre subsidiaire, en ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition, les dispositions combinées des articles L. 12 et L. 101 du livre des procédures fiscales ont été détournées par l'administration dans la mesure où, d'une part, l'article L. 101 a été mis en oeuvre à l'extrême limite du délai d'un an prévu par l'article L.12, l'administration fiscale ayant ainsi commis un détournement de procédure et où, d'autre part, l'enquête préliminaire dont il faisait l'objet ne contenait aucun élément laissant présumer une fraude fiscale ;
- à titre subsidiaire, l'administration n'établit pas l'existence de cessions des actions acquises lors de la levée d'options.
Par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017, contre lequel le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS s'est pourvu en cassation, la Cour a rejeté la requête de ce dernier.
Procédure devant le Conseil d'État :
Le Conseil d'État, par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé le jugement de l'affaire, réenregistrée sous le n° 19VE02065.
Procédure devant la Cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires, enregistrés les 22 juillet et 15 octobre 2019, 7 janvier et 2 juin 2020, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS conclut aux mêmes fins que sa requête introductive d'instance, par les mêmes moyens que précédemment.
Il soutient, en outre, que :
- le Conseil d'Etat s'est définitivement prononcé sur les questions relatives au fait générateur du revenu imposable et de l'imposition, à leur date, à la preuve de la cession des titres acquis par voie d'option par M. C..., au montant des revenus résultant de ces opérations et aux conditions d'application de la convention franco-suisse en ce qui concerne le caractère imposable en France de ces revenus avant et après que M. C... est devenu résident fiscal suisse, de telle sorte que les intimés ne peuvent plus sérieusement contester le bien-fondé des impositions litigieuses ;
- le droit de communication intervenu en vertu de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales a été réalisé avant l'expiration du délai d'un an prévu par l'article L. 12 du même livre et ne révèle, par suite, aucun détournement de procédure ; en outre, la circonstance qu'il a porté sur des documents détenus par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une enquête préliminaire est sans incidence sur sa régularité ;
- le directeur juridique de la société Vinci ayant commis une opposition à fonctions au sens de l'article 1746 du code général des impôts en refusant de communiquer les relevés du registre des titres au porteur identifiés en sa possession, le service était fondé à saisir l'autorité judiciaire de ce délit ; c'est, par suite, sans commettre de détournement de procédure que l'administration a pu obtenir du Parquet, dans le cadre de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, les documents saisis dans le cadre de la procédure ainsi diligentée.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Mes Gibert et Bailleul-Mirabaud, avocats, représentant
M. et Mme C....
Une note en délibéré présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance a été enregistrée le 7 octobre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... s'est vu attribuer des options de souscriptions d'actions de la société Vinci, dont il était le président directeur général, dans le cadre de plusieurs plans s'étalant de 2000 à 2003. Ces options ont été levées. Au cours du mois de juin 2006, M. C... a quitté ses fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général de la société Vinci et est devenu résident fiscal suisse à compter du 25 de ce même mois. A la suite d'un examen de situation fiscale personnelle, l'administration fiscale a estimé que M. C... avait cédé au cours de l'année 2007 ses actions de la société Vinci et que l'avantage correspondant à la différence entre la valeur des actions à la date de la levée d'options et le prix d'achat de ces actions constituait un complément de salaire imposable en France. Elle a en conséquence assujetti M. et Mme C... à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu assortie de pénalités au titre de l'année 2007. Par un jugement n°1309259 du 4 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil a accordé à M. et Mme C... la décharge de cette cotisation et des pénalités correspondantes. Sur appel du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, la Cour a rejeté sa requête par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017. Par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, le Conseil d'État, statuant au contentieux et saisi par le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour, où elle a été enregistrée de nouveau sous le n° 19VE02065.
2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". L'article L.82 C de ce livre prévoit quant à lui : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " et l'article L. 101 du même livre prévoit que : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un
non-lieu ".
3. Aux termes, d'autre part, de l'article 49 du code de procédure pénale : " Le juge d'instruction est chargé de procéder aux informations (...) ". Aux termes de l'article 75 du même code : " Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire (...) procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d'office. / Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général. (...) ".
4. Il résulte des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, précédemment citées, dans leur rédaction applicable au présent litige, que les renseignements recueillis dans le cadre d'une procédure judiciaire ne peuvent être transmis à l'administration fiscale que dans le cadre d'une instance civile ou commerciale ou lorsqu'une information judiciaire avait été ouverte par un juge d'instruction et non dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite.
5. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a exercé, le 28 juin 2010, sur le fondement de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, son droit de communication auprès du procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée contre la société Vinci à la suite d'une plainte déposée par l'administration fiscale pour opposition à fonctions, en application du 1 de l'article 1746 du code général des impôts. L'administration a ainsi obtenu la communication des extraits de registre de titres au porteur identifiable (TPI) de la société Vinci, que celle-ci s'était refusée de communiquer au service, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales, au motif que ces documents auraient été couverts par le secret professionnel. Il est toutefois constant que ces documents, obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République, ne provenaient dès lors pas du dossier d'une instance civile ou pénale en cours, et ne pouvaient ainsi être régulièrement communiqués à l'administration fiscale sur le fondement des dispositions de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, et pas davantage en tout état de cause, contrairement à ce que soutient le ministre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 101 du même code. Or, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 20 juillet 2010, que le vérificateur s'est effectivement fondé sur les renseignements irrégulièrement obtenus dans le cadre de son droit de communication pour établir l'imposition en litige, en particulier pour déterminer l'année de cession des titres et par conséquent l'année d'imposition des gains d'acquisition correspondants, à savoir l'année 2007. Dans ces conditions, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance, alléguée par le ministre, tirée de ce que ce droit de communication exercé auprès du parquet n'avait pour objet que de permettre au service de corriger un manquement initial de la société Vinci, M. et Mme C... sont fondés à soutenir que, dès lors que le droit de communication a été irrégulièrement exercé dans le cadre d'une enquête préliminaire et que les redressements ont été fondés sur des documents obtenus dans ce cadre, la procédure d'imposition suivie à leur encontre est viciée, cette irrégularité étant de nature à elle seule à justifier la décharge des impositions contestées.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge de l'imposition en litige et des pénalités correspondantes.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
N° 19VE02065 2