CAA de MARSEILLE, 2ème chambre, 15/10/2020, 19MA04416, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, l'arrêté du 12 février 2014 du maire de la commune de Saint-Bauzille-de-Putois lui ayant infligé, à titre disciplinaire, une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de trois mois du 26 janvier au 26 avril 2014, et, d'autre part, l'arrêté du 8 avril 2014 de cette même autorité ayant retiré l'arrêté du 12 février 2014 et prononcé une nouvelle sanction d'exclusion temporaire de fonctions de trois mois du 1er mai au 31 juillet 2014.

Par un jugement n° 1402615 du 21 mai 2015, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, annulé l'arrêté du 8 avril 2014 en tant qu'il prononce l'exclusion temporaire de fonctions de M. B... du 1er mai au 31 juillet 2014, et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.


Procédures devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 juillet 2015 sous le n° 15MA02818, la commune de Saint-Bauzille-de-Putois, représentée par la SCP Margall D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 mai 2015 en tant qu'il a annulé l'arrêté du 8 avril 2014 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la minute du jugement n'est pas signée, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la légalité d'une sanction s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, le maire a pu légalement décider que la période d'exclusion de fonctions de trois mois courrait du 1er mai au 1er août 2014, dès lors qu'à la date de l'arrêté du 8 avril 2014 le congé de maladie dont bénéficiait le destinataire de la sanction expirait le 30 avril 2014 et que le nouveau congé de maladie à compter du 1er mai 2014 est sans incidence sur la légalité de cet arrêté du 8 avril 2014 et s'oppose juste à l'exécution de la sanction au cours de ce congé de maladie ;
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les autres demandes de M. B....


Par un mémoire en défense enregistré le 21 septembre 2015, M. B..., représenté par la SCP Armandet-Le Targat-A..., conclut au rejet de la requête, à ce que la cour condamne la commune de Saint-Bauzille-de-Putois au paiement des salaires indûment retenus à la suite de la sanction disciplinaire illégale prononcée le 8 avril 2014, à ce qu'elle ordonne la liquidation de la créance des salaires qui lui sont dus au titre des mois de mai, juin et juillet 2014 et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les moyens de la requête sont infondés ;
- en conséquence de l'annulation prononcée par le tribunal administratif, il a vocation à obtenir le paiement des trois mois de traitement dont il a été illégalement privé.


Par un arrêt n° 15MA02818 du 24 juin 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.


Par une décision n° 402496 du 26 septembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi de M. B..., annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille et renvoyé l'affaire devant la même cour, où elle a été de nouveau enregistrée le 26 septembre 2019 sous le n° 19MA04416.


Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2019, la commune de Saint-Bauzille-de-Putois, représentée par la SCP Territoires Avocats, conclut aux mêmes fins que sa requête.

Elle soutient, en outre, que :
- l'expédition du jugement attaqué n'est pas signée par le greffier en chef ;
- les premiers juges ont méconnu leur office de juges de l'excès de pouvoir en prenant en compte des circonstances postérieures au 8 avril 2014, date à laquelle l'arrêté du 8 avril a été prononcé ;
- la demande présentée devant le tribunal à l'encontre de l'arrêté du 8 avril 2014 en tant qu'il a retiré le précédent arrêté d'exclusion temporaire de trois mois du 12 février 2014 était irrecevable en l'absence d'intérêt à agir de M. B... à l'encontre de cette décision de retrait qui lui est favorable ;
- le moyen soulevé par M. B... devant le tribunal relatif à l'absence de caractère raisonnable du délai écoulé entre les faits reprochés et la sanction est inopérant ;
- la sanction prononcée ne porte pas atteinte à ses droits à congé de maladie ;
- elle ne constitue pas une sanction pécuniaire révélant une double peine ;
- elle est suffisamment motivée ;
- elle a été prise au terme d'une procédure régulière ;
- les faits se trouvant à l'origine de la sanction sont établis et de nature à la justifier.


Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2019, M. B..., représenté par Me A..., conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures et porte ses prétentions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 4 000 euros.

Il soutient que les moyens soulevés par la commune de Saint-Bauzille-de-Putois ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la commune de Saint-Bauzille-de-Putois.


Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., agent territorial affecté au poste de secrétaire de la mairie de Saint-Bauzille-de-Putois depuis le 1er septembre 2008, a été placé en congé de maladie ordinaire pendant un an à compter du 25 janvier 2010, puis en disponibilité d'office pour maladie du 25 janvier 2011 au 24 janvier 2014. Il a de nouveau été placé, au terme de sa mise en disponibilité d'office, en congé de maladie dans l'attente de la réponse à sa demande de mise à la retraite anticipée pour invalidité, qui a fait l'objet d'un avis favorable du comité départemental le 24 avril 2014 et a été prononcée par un arrêté du 3 novembre 2014 à compter du 1er mai 2014.
Par un arrêté du 12 février 2014, le maire de la commune de Saint-Bauzille-de-Putois a prononcé à l'encontre de M. B... une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de trois mois et a fixé sa période d'exécution du 26 janvier au 26 avril 2014. Par un second arrêté du 8 avril 2014, le maire a retiré l'arrêté du 12 février 2014 et a prononcé à l'encontre de M. B... une nouvelle sanction d'exclusion temporaire de fonctions de trois mois, en fixant la période d'exécution du 1er mai au 31 juillet 2014. La commune de Saint-Bauzille-de-Putois relève appel du jugement du 21 mai 2015 en tant que par l'article 1er de ce jugement, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 8 avril 2014 en tant qu'il prononce l'exclusion temporaire de fonctions de M. B... du 1er mai au 31 juillet 2014.



Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 56 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Tout fonctionnaire est placé dans une des positions suivantes : / 1° Activité à temps complet ou à temps partiel ; / 2° Détachement ; / 3° Position hors cadres ; / 4° Disponibilité ; / 5° Accomplissement du service national et des activités dans la réserve opérationnelle, dans la réserve sanitaire et dans la réserve civile de la police nationale ; / 6° Congé parental. / Les décisions relatives aux positions sont prises par l'autorité territoriale ". Aux termes de l'article 57 de cette loi : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie (...) ". Aux termes de l'article 89 de la même loi : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité territoriale après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline. Ce pouvoir est exercé dans les conditions prévues à l'article 19 du titre Ier du statut général ". Il résulte de ces dispositions que le pouvoir disciplinaire peut être exercé à l'encontre d'un fonctionnaire placé dans l'une des cinq positions prévues à l'article 56 de la loi du 26 janvier 1984. En revanche, le placement d'un fonctionnaire en congé de maladie le fait bénéficier du régime de rémunération attaché à cette situation et fait donc obstacle à ce qu'il exécute pendant son congé de maladie une sanction disciplinaire prononcée à son encontre.


3. L'arrêté du 8 avril 2014, en fixant la prise d'effet de la sanction de M. B... au 1er mai 2014, soit après l'expiration des congés de maladie dont l'intéressé bénéficiait alors, n'a pas méconnu les dispositions précitées. La circonstance que, postérieurement à la date de l'arrêté litigieux, le congé de maladie de l'intéressé a été prolongé au-delà de la date prévue pour la prise d'effet de sa sanction, n'a pas eu pour effet de rendre rétroactivement illégal cet arrêté, mais a seulement fait obstacle à ce que l'administration puisse légalement l'exécuter au cours de cette période.


4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, la commune de Saint-Bauzille-de-Putois est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés, pour annuler l'arrêté du 8 avril 2014 en tant qu'il prononce l'exclusion temporaire de fonctions du 1er mai au 31 juillet 2014, sur la circonstance, postérieure à la date de cet arrêté, que M. B... a été de nouveau placé en congé de maladie à compter du 1er mai 2014.




5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.


6. Aucun texte ni aucun principe général du droit n'enfermaient, à la date de l'arrêté contesté, dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire à l'égard d'un fonctionnaire. Il appartient seulement au juge administratif, saisi d'une demande tendant à l'annulation d'une sanction prononcée pour des faits anciens, d'apprécier, eu égard notamment au temps écoulé depuis que la faute a été commise, à la nature et à la gravité de celle-ci et au comportement ultérieur de l'agent, si la sanction prononcée présente un caractère proportionné. En l'espèce, le moyen tiré par M. B... du dépassement d'un délai raisonnable pour sanctionner des faits qu'il estime anciens doit être écarté dès lors que, comme cela a été rappelé au point 1, l'intéressé a été placé en congé de maladie ordinaire pendant un an à compter du 25 janvier 2010, puis en disponibilité d'office pour maladie du 25 janvier 2011 au 24 janvier 2014.


7. Il résulte de ses termes que l'arrêté contesté vise les dispositions textuelles applicables ainsi que l'avis motivé du conseil de discipline du 30 juin 2011, dont M. B... n'allègue au demeurant pas ne pas avoir été destinataire au préalable, et indique qu'il est reproché à celui-ci d'avoir manqué à ses obligations professionnelles en qualité de secrétaire de mairie, en particulier par l'absence de formalisation de délibérations du conseil municipal et de transmission des actes à l'autorité chargée du contrôle de légalité, d'avoir dissimulé ses manquements professionnels et d'avoir également, de manière répétée, manqué à son obligation de moralité et à son devoir de se consacrer à ses fonctions. La sanction infligée est ainsi suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.


8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... n'a pas rédigé les procès-verbaux des délibérations du conseil municipal du 18 septembre 2008, 27 mars, 1er octobre , 8 octobre, 19 novembre, 12 et 28 décembre 2009, qu'il n'a, de ce fait, pas transmis à l'autorité chargée du contrôle de légalité, et qu'il a signé à la place du maire une lettre adressée le 24 juillet 2009 à Pôle Emploi, dissimulant ainsi ses manquements professionnels. Il ressort également de ces mêmes pièces, ainsi d'ailleurs qu'il l'a admis lors d'un premier conseil de discipline du 11 mai 2010, que M. B... a consulté de manière répétée des sites internet à caractère pornographique pendant son temps de travail, sur son lieu de travail à partir de son ordinateur professionnel sur lequel étaient enregistrées environs 2 000 photographies téléchargées depuis de tels sites, manquant ainsi à son obligation de moralité et à son devoir de se consacrer à ses fonctions. De tels manquements dont l'existence, qui n'est pas sérieusement contestée par l'intéressé, est suffisamment établie par les pièces du dossier, constituent des fautes de nature à justifier qu'une sanction disciplinaire soit infligée à leur auteur.


9. Eu égard à leur nature, à leur gravité et à leur répétition, les manquements décrits au point précédent justifient, en dépit du temps qui s'est écoulé depuis leur commission alors que l'intéressé était en congé de maladie puis en disponibilité, le niveau de sanction qui lui a été infligé.



10. Il y a lieu, enfin, d'écarter le moyen tiré de ce que la privation de toute rémunération attachée à la sanction d'exclusion temporaire de fonctions en application de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 constituerait une " double peine ".


11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 8 avril 2014 en tant qu'il a prononcé son exclusion temporaire de fonctions du 1er mai au 31 juillet 2014.


Sur les conclusions à fin d'injonction et de condamnation présentées par M. B... devant la cour :

12. D'une part, le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées devant le tribunal administratif par M. B... à l'encontre de l'arrêté du 8 avril 2014, n'appelle aucune mesure d'exécution. D'autre part, cet arrêté n'étant pas entaché d'illégalité, M. B... n'est pas fondé, en tout état de cause, à solliciter la condamnation de la commune au paiement de salaires dont il aurait été, selon lui, illégalement privé du fait de celui-ci. Les conclusions ci-dessus mentionnées présentées par M. B... doivent donc être rejetées.


Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise sur leur fondement à la charge de la commune qui n'a pas la qualité de partie perdante à la présente instance. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Bauzille-de-Putois et non compris dans les dépens.
D É C I D E :



Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 mai 2015 est annulé.


Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 avril 2014 en tant que qu'il prononce l'exclusion temporaire de fonctions de M. B... du 1er mai au 31 juillet 2014 est rejetée.


Article 3 : M. B... versera à la commune de Saint-Bauzille-de-Putois une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : Les conclusions à fin d'injonction et de condamnation présentées devant la Cour par M. B... ainsi que celles fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Bauzille-de-Putois et à M. C... B....

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme E..., présidente assesseure,
- M. Sanson, conseiller.

Lu en audience publique, le15 octobre 2020.
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