Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 12/10/2020, 428656

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe :

1°) d'annuler la décision contenue dans la réponse du médiateur de l'académie de la Guadeloupe du 5 novembre 2014, refusant de réexaminer le montant de sa rémunération en tant que professeure contractuelle et de fixer la fin de son contrat au 5 août 2014 ;

2°) d'enjoindre au recteur de l'académie de la Guadeloupe, en premier lieu, d'établir de nouveaux contrats tenant compte de sa qualification professionnelle et incluant les congés payés au prorata du service d'enseignement de l'année scolaire 2013-2014, en deuxième lieu, d'établir l'attestation employeur et les attestations de salaires destinées à la sécurité sociale correspondant à la régularisation de ses contrats, enfin, de s'assurer du versement de sa cotisation auprès de l'Ircantec en conséquence de la régularisation de ses contrats ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser des indemnités d'un montant de 4 034,21 euros au titre des rémunérations non perçues, d'un montant de 3 595,47 euros au titre de la fin de son contrat, d'un montant de 4 521,13 euros au titre des indemnités journalières à plein traitement non perçues, d'un montant de 173,25 euros au titre de l'indemnité CCF non perçue et d'un montant de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1401249 du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné l'Etat à verser à Mme A... une indemnité correspondant à la différence entre le traitement qu'elle a perçu durant la période du 30 septembre 2013 au 30 juin 2014 en qualité de professeur contractuel de 2ème classe et celui qu'elle aurait perçu durant la même période en qualité de professeur contractuel de 1ère catégorie, à l'exclusion des périodes d'arrêt maladie, ainsi qu'une indemnité de 500 euros en réparation du préjudice moral et a rejeté ses autres demandes.

Par un arrêt n° 16BX03886 du 18 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par le ministre de l'éducation nationale, a annulé ce jugement et rejeté les demandes présentées par Mme A... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel incident.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mars et 3 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit intégralement à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le décret n° 81-535 du 12 mai 1981 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- l'arrêté du 29 août 1989 fixant la rémunération des professeurs contractuels ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme A... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... A... a été recrutée en qualité de professeur contractuel de 2ème catégorie du 30 septembre 2013 au 26 janvier 2014 au collège Félix Eboué à Petit-Bourg (Guadeloupe), puis du 27 janvier 2014 au 30 juin 2014 au lycée professionnel de Pointe-Noire dans la même académie. Après avoir demandé sans succès au recteur de l'académie de la Guadeloupe que la rémunération afférente à ces deux contrats soit revue pour tenir compte de son niveau de qualification et que son second contrat coure jusqu'à la date du 5 août 2014, Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision, contenue dans la réponse du médiateur de l'académie de la Guadeloupe du 5 novembre 2014, refusant de régulariser ses contrats de travail et de condamner l'Etat à lui verser des indemnités en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un jugement du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné l'Etat à verser à Mme A... une indemnité correspondant à la différence entre le traitement qu'elle a perçu durant la période du 30 septembre 2013 au 30 juin 2014 en qualité de professeur contractuel de 2ème catégorie et celui qu'elle aurait perçu durant la même période en qualité de professeur contractuel de 1ère catégorie, à l'exclusion des périodes d'arrêt maladie, ainsi qu'une indemnité de 500 euros en réparation du préjudice moral. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 décembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel du ministre de l'éducation nationale, annulé ce jugement et rejeté ses demandes.

Sur l'arrêt en tant qu'il se prononce sur la demande d'indemnisation fondée sur la durée de l'engagement contractuel :

2. D'une part, Mme A... ne peut utilement contester le bien-fondé de l'arrêt qu'elle attaque en invoquant, pour la première fois devant le juge de cassation, le moyen tiré de ce qu'en retenant le 30 juin 2014 comme date d'échéance de son contrat relatif à son engagement au lycée professionnel de Pointe-Noire, l'administration aurait modifié la durée de travail initialement convenue dans une proportion supérieure à 10 % sans son consentement. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que s'il mentionnait à titre indicatif un engagement jusqu'au retour du professeur remplacé, l'avis de nomination de Mme A... au lycée professionnel de Pointe Noire daté du 24 janvier 2014 était provisoire, dans l'attente de la conclusion du contrat de travail, et que Mme A... a, en revanche, signé le contrat daté du 10 février 2014 mentionnant le 30 juin 2014 comme date d'échéance. Il s'ensuit que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que Mme A... ne pouvait se prévaloir du principe de " loyauté contractuelle " pour soutenir que la fin de son contrat devait être fixée au 5 août 2014.

Sur l'arrêt en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation représentative de rémunérations non perçues :

3. Aux termes de l'article 4 du décret du 12 mai 1981 relatif au recrutement de professeurs contractuels : " Pour l'établissement des contrats, les candidats sont classés, par l'autorité qui procède à leur engagement en fonction des titres universitaires qu'ils détiennent ou de leur qualification professionnelle antérieure, dans l'une des quatre catégories suivantes ; hors catégorie, première catégorie, deuxième catégorie, troisième catégorie (...)". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Il est créé quatre catégories de rémunération de professeurs contractuels dotés chacune d'un indice minimum, moyen et maximum. Les indices bruts servant à la détermination de la rémunération selon les catégories sont fixés par un arrêté conjoint des ministres chargés de l'éducation nationale, du budget et de la fonction publique. / L'indice attribué à chaque agent est déterminé par l'autorité qui le recrute ". En application de ces dispositions, un arrêté du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, du ministre de la fonction publique et des réformes administratives et du ministre délégué chargé du budget du 29 août 1989 a fixé les indices servant à la détermination de la rémunération des professeurs contractuels, sur la base des quatre catégories mentionnées à l'article 4 du décret.

4. Il résulte de ces dispositions que le classement d'un professeur contractuel dans l'une des quatre catégories mentionnées au point précédent est opéré par l'autorité administrative sur la base exclusive des titres universitaires détenus et de la qualification professionnelle antérieure. Il appartient ensuite à l'autorité administrative de déterminer la rémunération de l'agent en tenant compte, au sein de la catégorie retenue, des indices minimums, moyen et maximum prévus par l'arrêté du 29 août 1989, en fonction notamment de l'expérience de cet agent dans l'enseignement et des caractéristiques particulières du poste pour lequel il est recruté. Il incombe au juge, saisi d'une contestation en ce sens, de vérifier qu'en déterminant, d'une part, la classe de rattachement de l'agent et, d'autre part, sa rémunération, l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

5. Pour juger que le recteur de l'académie de la Guadeloupe avait pu à bon droit classer Mme A... en 2ème catégorie à l'indice brut 408, la cour a relevé que, pour déterminer le classement d'un professeur contractuel dans une catégorie et, au sein de cette catégorie, son niveau de rémunération, il appartenait au recteur de tenir compte de la rémunération des titulaires qu'il remplace. La cour en a déduit que le recteur de l'académie de la Guadeloupe n'avait pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en classant Mme A... en 2ème catégorie à l'indice brut 408 (indice majoré 367) au motif que cet indice se situait entre l'indice de recrutement des professeurs certifiés et celui des professeurs agrégés, " nonobstant les diplômes détenus " par elle. En statuant ainsi, sans rechercher si le classement de Mme A... en 2ème catégorie n'était pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses diplômes et de son expérience professionnelle antérieure, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi dirigé contre la même partie de l'arrêt, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur la demande d'indemnisation relative aux rémunérations non perçues.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative de Bordeaux du 18 décembre 2018 est annulé en tant qu'il statue sur la demande d'indemnisation relative aux rémunérations non perçues.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

ECLI:FR:CECHR:2020:428656.20201012
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