CAA de LYON, 4ème chambre, 24/09/2020, 18LY00510, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Lyon, en application de l'article L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales, d'annuler la délibération du 9 février 2017 du conseil régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes approuvant le dispositif régional de lutte contre le travail détaché.

Par un jugement n° 1704697 du 13 décembre 2017, le tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 9 février 2018, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement et de rejeter le déféré présenté par le préfet de région devant le tribunal administratif de Lyon ou, à tout le moins, de réformer le jugement en ce qu'il a annulé la clause d'interprétariat ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- les premiers juges ont annulé la délibération litigieuse pour détournement de pouvoir alors qu'elle était sans portée normative et elle n'y mettait en oeuvre aucun pouvoir spécifique ;
- l'ordonnance du 23 juillet 2015 s'applique aux seuls marchés publics et à leur procédure de passation ;
- la délibération n'était pas illégale en tant qu'elle prévoyait la mise en oeuvre alternative d'une clause d'interprétariat qui était divisible des autres propositions de clause ;
- les autres moyens soulevés par le préfet en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2018, le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la région Auvergne-Rhône-Alpes ne sont pas fondés.


Par une ordonnance du 23 juillet 2019, l'instruction a été close au 13 septembre 2019.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 92/57/CEE du Conseil du 24 juin 1992 ;
- la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ;
- la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du travail ;
- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, alors en vigueur ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, alors en vigueur ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la région Auvergne-Rhône-Alpes ;


Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 9 février 2017, le conseil régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes a approuvé un dispositif régional de lutte contre le travail détaché. Après le rejet le 26 avril 2017 de son recours gracieux, le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler cette délibération. Par un jugement du 13 décembre 2017 dont la région Auvergne-Rhône-Alpes relève appel, le tribunal a fait droit à sa demande.


2. La région Auvergne-Rhône-Alpes soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce que le tribunal administratif de Lyon s'est fondé de manière subjective sur certains termes de la délibération litigieuse pour juger qu'elle était entachée de détournement de pouvoir alors qu'elle avait pour motif, déterminant selon elle, la sécurité des travailleurs. Ce moyen, qui touche au bien-fondé du jugement, est sans incidence sur sa régularité.


3. Par la délibération litigieuse, l'assemblée plénière du conseil régional a approuvé des modifications aux cahiers des clauses administratives particulières (CCAP) des marchés de travaux de la région qui y étaient annexées et qui avaient vocation à régir ces marchés. Cette délibération présentait ainsi un caractère décisoire et était par suite susceptible d'être le cas échéant déférée par le préfet au juge de l'excès de pouvoir.


4. Aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement (...) ". Aux termes de l'article L. 4531-1 du même code : " Afin d'assurer la sécurité et de protéger la santé des personnes qui interviennent sur un chantier de bâtiment ou de génie civil, le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre et le coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé (...) mettent en oeuvre, pendant la phase de conception, d'étude et d'élaboration du projet et pendant la réalisation de l'ouvrage, les principes généraux de prévention énoncés aux 1° à 3° et 5° à 8° de l'article L. 4121-2. Ces principes sont pris en compte notamment lors des choix architecturaux et techniques ainsi que dans l'organisation des opérations de chantier (...) ".


5. Aux termes du I de l'article 38 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au litige : " Les conditions d'exécution d'un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social ou à l'emploi, à condition qu'elles soient liées à l'objet du marché public. Elles peuvent aussi prendre en compte la politique menée par l'entreprise en matière de lutte contre les discriminations. / Sont réputées liées à l'objet du marché public les conditions d'exécution qui se rapportent aux travaux, fournitures ou services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n'importe quel stade de leur cycle de vie, y compris les facteurs intervenant dans le processus spécifique de production, de fourniture ou de commercialisation de ces travaux, fournitures ou services ou un processus spécifique lié à un autre stade de leur cycle de vie, même lorsque ces facteurs ne ressortent pas des qualités intrinsèques de ces travaux, fournitures ou services (...) ".


6. Il ressort des pièces du dossier que la " clause de langue française " et la " clause d'interprétariat " introduites par la délibération litigieuse dans les CCAP des marchés de travaux de la région Auvergne-Rhône-Alpes prévoyaient que, pour assurer la bonne compréhension des règles de sécurité sur les chantiers et ainsi garantir la sécurité de tous les intervenants, le titulaire du marché s'engageait à ce que tous ses personnels, quel que soit leur niveau de responsabilité et quelle que soit la durée de leur présence sur le site, maîtrisent la langue française ou à mettre à leur disposition un traducteur. Cependant, ces clauses étaient assorties de l'obligation pour les entreprises attributaires de fournir une attestation sur l'honneur de non-recours au travail détaché et de sanctions propres en cas de constat par les services de la région de leur méconnaissance, sous forme de pénalités d'un montant proportionnel à celui du marché. Il ressort expressément des termes de la délibération en cause et de son annexe qu'elle avait été adoptée par l'assemble plénière du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes afin de lutter contre le travail détaché sur les chantiers régionaux. Ces modifications aux CCAP des marchés de la région étaient ainsi motivées non par le souci de garantir la sécurité des personnes intervenant à quelque titre que ce soit sur les chantiers, mais par la volonté d'exclure le recours à des travailleurs détachés dans l'exécution des marchés de la région. La délibération en litige, qui ne poursuivait pas un objectif d'intérêt général, était par suite et comme l'a jugé à juste titre le tribunal, entachée de détournement de pouvoir.


7. Il résulte de ce qui précède que la région Auvergne-Rhône-Alpes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Lyon a annulé la délibération du 9 février 2017. Sa requête doit être rejetée, en toutes ses conclusions.
DECIDE :


Article 1er : La requête de la région Auvergne-Rhône-Alpes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la région Auvergne-Rhône-Alpes et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes.


Délibéré après l'audience du 3 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme B..., président assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 septembre 2020.

B...

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N° 18LY00510



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