CAA de NANTES, 4ème chambre, 02/10/2020, 20NT00065, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions du 27 décembre 2018 par lesquelles le préfet de la Sarthe a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un jugement n° 1904793 du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2020, M. B... D... E..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1904793 du tribunal administratif de Nantes du 5 décembre 2019 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 27 décembre 2018 par lesquelles le préfet de la Sarthe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe à titre principal de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai d'un mois, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour pendant cette période, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de mille cinq cents euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat, ou subsidiairement à son profit s'il ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle, tant pour la première instance que l'appel.
Il soutient que :
. en ce qui concerne le refus de séjour :
- il n'est pas établi que le secrétaire général de la préfecture de la Sarthe, signataire de la décision, soit compétent ; l'autorité compétente pour délivrer un titre de séjour est le préfet du département en application des dispositions de l'article 11-1 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets et de l'article R. 311-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la délégation de signature doit être expresse, nominative et publiée préalablement à la décision contestée et viser spécialement les mesures d'éloignement ; le préfet n'a pas produit la nomination de M. A... aux fonctions de secrétaire général de la préfecture, ne permettant pas de vérifier que cet agent est au nombre de ceux qui peuvent régulièrement recevoir une délégation de signature de la part du préfet ; cette nomination n'est pas visée par la décision attaquée ; le tribunal n'a pas vérifié que les décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays d'éloignement relevaient des décisions entrant dans le cadre des missions du service du signataire ;
- la décision est insuffisamment motivée en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; la décision ne comporte aucune mention des articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur le fondement desquelles elle a été prise ni ne fait référence à leur contenu ; la décision est également insuffisamment motivée en fait ;
- le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit d'être entendu avant l'édiction de toute décision défavorable, dont s'inspire l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a été méconnu ; ce droit implique pour un étranger le droit d'exprimer avant l'adoption d'une décision de retour son point de vue sur la légalité de son séjour ; le fait qu'il a déposé une nouvelle demande de titre de séjour sur un nouveau fondement justifiait qu'il soit à nouveau entendu par les autorités préfectorales ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le centre de ses intérêts se situe en France compte tenu du temps passé en France régulièrement, sans séjourner à nouveau dans son pays d'origine, des attaches familiales fortes qu'il a en France, et de son insertion dans la société française ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le centre de ses attaches familiales, au sens de la circulaire du 28 novembre 2012, et de ses intérêts se situe en France ; une partie de sa famille se trouve en France, où il s'investit professionnellement ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; il a établi ses repères familiaux, amicaux, professionnels et médicaux en France, où il réside depuis plus de sept ans ; la situation des enseignants en République démocratique du Congo est précaire ;
. en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- il n'est pas établi que le signataire de la décision soit compétent ;
- le jugement ne répond pas au moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision est insuffisamment motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la motivation est stéréotypée et ne lui permet pas de connaitre les motifs précis de la décision prise à son encontre ;
- la décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour, l'obligation de quitter le territoire français ne pouvant exister en dehors du refus de séjour en application de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est illégale en application de l'article L. 511-1 3°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile puisque le refus de séjour méconnait les dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et comporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le retour en République démocratique du Congo risque de l'empêcher de poursuivre sa carrière professionnelle dans l'enseignement dans des conditions acceptables ; une partie de sa famille vit en France, pays dans lequel il a longuement vécu ;
. en ce qui concerne le pays d'éloignement :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2020, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... E... ne sont pas fondés.
Par un courrier du 9 septembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions de M. D... E... tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2018 portant fixation du pays d'éloignement qui constituent des conclusions nouvelles en appel.
M. D... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 18 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ; relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D... E..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo) né en octobre 1991, est entré en France en septembre 2012 muni d'un visa de long séjour en qualité d'étudiant. Il a bénéficié de titres de séjour en cette qualité renouvelés jusqu'en septembre 2018. En mars 2018, M. D... E... a demandé à se voir délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 27 décembre 2018, le préfet de la Sarthe a refusé de délivrer à M. D... E... un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation. M. D... E... relève appel du jugement du 5 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 27 décembre 2018.
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 27 décembre 2018 portant fixation du pays d'éloignement :
2. Les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2018 portant fixation du pays d'éloignement de M. D... E..., qui n'ont pas été soumises aux premiers juges, ont le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel et sont, par suite, irrecevables.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Par ailleurs, l'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
4. Il ressort des pièces du dossier que si le refus de séjour opposé à M. D... E... est motivé en fait, l'arrêté du 27 décembre 2018, qui se borne à viser les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'entrée en France (article L. 211-1 du code), relatives au prononcé d'une obligation de quitter le territoire français (articles L. 511-1 et L. 512-1 du code) ou relatives à la décision fixant le pays d'éloignement (article L. 512-3 du code), ne comporte aucune mention ni aucun rappel des dispositions fondant le refus de délivrance d'une carte de séjour mention " vie privée et familiale " opposé à M. D... E.... Dans ces conditions, ce dernier est fondé à soutenir, en appel, que le refus de séjour qui lui a été opposé est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et à en demander pour ce motif l'annulation. L'annulation du refus de séjour du 27 décembre 2018 entraine, par voie de conséquence, l'annulation de la décision du même jour portant à l'encontre de M. D... E... obligation de quitter le territoire français.
5. Il résulte de ce qui précède que M. D... E... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français qui ont été prononcées à son encontre le 27 décembre 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. L'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".
7. Eu égard au motif qui le fonde, l'exécution du présent arrêt n'implique pas que soit délivré à M. D... E... le titre de séjour qu'il a sollicité. Elle implique en revanche qu'il soit enjoint au préfet de la Sarthe de statuer à nouveau sur le cas de l'intéressé dans un délai de trois mois, en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour conformément à l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais du litige :

8. M. D... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me C... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1904793 du tribunal administratif de Nantes du 5 décembre 2019 et les décisions du 27 décembre 2018 par lesquelles le préfet de la Sarthe a refusé de délivrer un titre de séjour à M. D... E... et l'a obligé à quitter le territoire français sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer la situation de M. D... E... dans un délai de trois mois et de lui délivrer entre-temps une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me C... la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. D... E... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... E... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Lu en audience publique le 2 octobre 2020.
La rapporteure,




M. F...Le président,




L. LAINÉ
La greffière,

V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00065



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