Conseil d'État, , 12/08/2020, 442658, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... D..., M. K... G..., Mme N... J..., Mme H... C..., Mme A... I..., Mme B... L..., et M. F... M... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution, d'une part, des dispositions des articles 2 et 3 de l'arrêté interministériel du 10 juin 2020 portant adaptation des épreuves de certaines sections du concours interne de recrutement de professeurs agrégés de l'enseignement du second degré ouvert au titre de l'année 2020 en raison de la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 et, d'autre part, des opérations du concours interne de l'agrégation ainsi que des admissions à ce concours au titre de la session 2020 ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et au ministre de l'économie, des finances et de la relance de suspendre les mesures individuelles prises sur le fondement de ces dispositions, de modifier les dispositions des articles 2 et 3 de l'arrêté du 10 juin 2020 en organisant des épreuves orales selon des modalités sanitaires similaires à celles retenues pour certaines sections du concours externe, dans un délai de dix jours à compter de la présente ordonnance, et de convoquer les jurys en vue de la tenue des épreuves orales dans un délai de trois mois à compter de la présente ordonnance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Mme D... et autres soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie ;
- les dispositions contestées sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir, l'arrêté ayant eu pour finalité principale de répondre à des revendications syndicales.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2020-774 du 9 juin 2020 ;
- l'ordonnance 2020-251 du 27 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-437 du 16 avril 2020 ;
- le code de justice administrative ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d' une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur les circonstances et le cadre juridique du litige :

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12 heures, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département.

3. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Par décrets du 11 mai 2020, pris sur le fondement de la loi du 11 mai 2020, le Premier ministre a abrogé l'essentiel des mesures précédemment ordonnées par le décret du 23 mars 2020 et a prescrit les nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Par un décret du 31 mai 2020, le Premier ministre a mis fin, à compter du 2 juin 2020, à une partie des mesures restrictives jusqu'alors en vigueur. Enfin, par un décret du 21 juin 2020, le Premier ministre a modifié le décret du 31 mai 2020.

4. Le législateur a ensuite, par la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence, autorisé le Premier ministre à prendre, à compter du 11 juillet 2020, et jusqu'au 30 octobre 2020 inclus, diverses mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Le Premier ministre peut notamment, dans ce cadre, ordonner la fermeture provisoire d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunions lorsqu'ils accueillent des activités qui, par leur nature même, ne permettent pas de garantir la mise en oeuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu'ils se situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 5 de l'ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 : " Les voies d'accès aux corps, cadres d'emplois, grades et emplois des agents publics de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique des communes de la Polynésie française peuvent être adaptées, notamment s'agissant du nombre et du contenu des épreuves./ Nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, peuvent être prévues des dérogations à l'obligation de la présence physique des candidats ou de tout ou partie des membres du jury ou de l'instance de sélection, lors de toute étape de la procédure de sélection. / Les garanties procédurales et techniques permettant d'assurer l'égalité de traitement des candidats et la lutte contre la fraude sont fixées par décret... ". Aux termes notamment de l'article 24 du décret du 16 avril 2020 pris pour l'application des articles 5 et 6 de cette ordonnance : " Lorsque l'organisation des voies d'accès mentionnées en annexe, incluant notamment la publication des listes de lauréats, n'est pas achevée au 12 mars 2020, le nouveau calendrier et les nouvelles conditions d'organisation peuvent faire l'objet, le cas échéant, d'un arrêté ou d'une décision de l'autorité organisatrice reportant les épreuves concernées, publiés dans les mêmes conditions que celles applicables à l'ouverture ". Et aux termes de son article 25 : " Sans préjudice des dispositions du titre Ier, lorsqu'une épreuve de l'une des voies d'accès mentionnées en annexe a été interrompue ou n'a pu donner lieu, à compter du 12 mars 2020, à l'examen de la totalité des candidats par le jury ou l'instance de sélection, cette épreuve peut être annulée et reportée pour l'ensemble des candidats à une date fixée par l'arrêté ou la décision mentionnée à l'article 24 ".

Sur la demande en référé :

6. Par un arrêté du 10 juin 2020, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et le ministre de l'action et des comptes publics ont adapté les épreuves dans seize des sections du concours interne de recrutement de professeurs agrégés de l'enseignement du second degré ouvert au titre de l'année 2020, en raison de la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19. Les articles 2 et 3 de cet arrêté prévoient seulement deux ou trois épreuves d'admission en leur affectant les résultats d'épreuves d'admissibilité. Ces dispositions ont ainsi pour effet de supprimer les oraux d'admission dans seize des sections de l'agrégation interne, ces oraux étant remplacés par les résultats d'épreuves d'admissibilité.

7. Pour demander la suspension de l'exécution de cet arrêté, Mme D... et autres soutiennent qu'il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir en ce qu'il aurait pour finalité réelle de répondre à des demandes syndicales. Toutefois, compte tenu des incertitudes affectant la circulation du virus et de la nécessité de clore les opérations de ce concours ouvert au titre de l'année 2020 sans pouvoir prévoir la situation sanitaire en septembre-octobre, la seule circonstance que cet arrêté aurait pour effet de donner satisfaction à certaines revendications syndicales hostiles au déplacement des épreuves à la rentrée n'est pas de nature à établir qu'il n'aurait pas eu une finalité d'intérêt général. Le moyen tiré de ce que les dispositions contestées seraient entachées de détournement de pouvoir ou, pour ce même motif, d'erreur manifeste d'appréciation, n'est, par suite, en l'état de l'instruction, pas de nature à créer un doute sérieux quant à leur légalité.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il est manifeste que la requête de Mme D... et autres n'est pas fondée et peut être rejetée par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme D... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée Mme E... D..., première requérante dénommée.
Copie en sera transmise au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CEORD:2020:442658.20200812
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