Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 29/06/2020, 423673
Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 29/06/2020, 423673
Conseil d'État - 4ème - 1ère chambres réunies
- N° 423673
- ECLI:FR:CECHR:2020:423673.20200629
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
lundi
29 juin 2020
- Rapporteur
- M. Eric Thiers
- Avocat(s)
- SCP DIDIER, PINET ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 14 novembre 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de Haute-Savoie a autorisé la société Papeteries du Léman à le licencier ainsi que la décision du 10 mai 2013 par laquelle, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail du 14 novembre 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé son licenciement. Par un jugement n° 1303748 du 11 juillet 2016, le tribunal administratif a, d'une part, rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2013.
Par un arrêt n° 16LY02796 du 28 juin 2018, la cour administrative d'appel de Lyon, sur appel de la société Papeteries du Léman, a annulé ce jugement en tant qu'il annulait la décision du ministre du 10 mai 2013.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 août et 21 novembre 2018 et le 9 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la société Papeteries du Léman et de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Thiers, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. B... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Papeteries du Léman ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Papeteries du Léman (PDL) a demandé l'autorisation de licencier pour motif économique M. B..., salarié protégé. Par une décision du 14 novembre 2012, l'inspecteur du travail lui a accordé l'autorisation de procéder à ce licenciement. Saisi par M. B... d'un recours dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail, le ministre chargé du travail a, par une décision du 10 mai 2013, d'une part, annulé la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, à nouveau autorisé son licenciement. M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de l'inspecteur du travail et du ministre. Par un jugement du 16 juillet 2016, le tribunal administratif a, d'une part, rejeté les conclusions de la demande dirigée contre la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, annulé la décision du ministre du travail. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif, en tant que ce jugement annulait la décision du ministre du travail.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause. A ce titre, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Toutes les entreprises ainsi placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante sont prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège, tant que ne sont pas applicables à la décision attaquée les dispositions introduites par l'article 15 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail à l'article L. 1233-3 du code du travail en vertu desquelles seules les entreprises implantées en France doivent alors être prises en considération.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, après avoir rappelé que l'autorité administrative ne pouvait " se borner à prendre en considération la seule situation de la société demanderesse pour apprécier la situation économique " et qu'elle était " tenue de faire porter son appréciation sur l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause sans qu'il y ait lieu de limiter cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France ", la cour administrative d'appel a examiné la nature des activités de la société PDL et de plusieurs autres sociétés, en particulier les sociétés Papeteries des Vosges (PDV) et Republic technologie France (RTF), toutes détenues par une même personne physique, M. A... D... et dont elle a estimé, par une appréciation non contestée en cassation, qu'elles constituaient un groupe. Ayant estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, après avoir examiné la part occupée par l'activité de production de papier et plus spécifiquement de " papier mince " dans le chiffre d'affaires des sociétés PDL et RTF, que la société PDL fournissait de la matière première sous la forme de rouleaux de papier mince à son client alors que la société RTF ne fabriquait pas un tel papier mais des produits finis destinés aux fumeurs, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'appréciation de la réalité des motifs économiques allégués à l'appui du projet de licenciement de M. B... ne pouvait porter sur des sociétés qui, bien qu'elles étaient placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante, n'intervenaient pas dans le même secteur d'activité.
4. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel a pris en considération les échanges intervenus entre M. B... et la société PDL aux fins de lui proposer des offres de reclassement. Elle a notamment estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société PDL avait identifié plusieurs postes en son sein ainsi que dans la société PDV alors qu'aucun poste correspondant aux qualifications de M. B... n'avait pu finalement être identifié au sein de la société RTF, comme l'employeur du requérant l'en a informé par une lettre du 25 juin 2012. Dès lors, en estimant que la société PDL avait ainsi satisfait à l'obligation de recherche de reclassement qui lui incombait, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier.
5. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société PDL au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette société, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées au même titre à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie à l'instance, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la société Papeteries du Léman présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... et à la société Papeteries du Léman.
Copie en sera adressée à la ministre du travail.
ECLI:FR:CECHR:2020:423673.20200629
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 14 novembre 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de Haute-Savoie a autorisé la société Papeteries du Léman à le licencier ainsi que la décision du 10 mai 2013 par laquelle, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail du 14 novembre 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé son licenciement. Par un jugement n° 1303748 du 11 juillet 2016, le tribunal administratif a, d'une part, rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2013.
Par un arrêt n° 16LY02796 du 28 juin 2018, la cour administrative d'appel de Lyon, sur appel de la société Papeteries du Léman, a annulé ce jugement en tant qu'il annulait la décision du ministre du 10 mai 2013.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 août et 21 novembre 2018 et le 9 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la société Papeteries du Léman et de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Thiers, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. B... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Papeteries du Léman ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Papeteries du Léman (PDL) a demandé l'autorisation de licencier pour motif économique M. B..., salarié protégé. Par une décision du 14 novembre 2012, l'inspecteur du travail lui a accordé l'autorisation de procéder à ce licenciement. Saisi par M. B... d'un recours dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail, le ministre chargé du travail a, par une décision du 10 mai 2013, d'une part, annulé la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, à nouveau autorisé son licenciement. M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de l'inspecteur du travail et du ministre. Par un jugement du 16 juillet 2016, le tribunal administratif a, d'une part, rejeté les conclusions de la demande dirigée contre la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, annulé la décision du ministre du travail. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif, en tant que ce jugement annulait la décision du ministre du travail.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause. A ce titre, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Toutes les entreprises ainsi placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante sont prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège, tant que ne sont pas applicables à la décision attaquée les dispositions introduites par l'article 15 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail à l'article L. 1233-3 du code du travail en vertu desquelles seules les entreprises implantées en France doivent alors être prises en considération.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, après avoir rappelé que l'autorité administrative ne pouvait " se borner à prendre en considération la seule situation de la société demanderesse pour apprécier la situation économique " et qu'elle était " tenue de faire porter son appréciation sur l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause sans qu'il y ait lieu de limiter cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France ", la cour administrative d'appel a examiné la nature des activités de la société PDL et de plusieurs autres sociétés, en particulier les sociétés Papeteries des Vosges (PDV) et Republic technologie France (RTF), toutes détenues par une même personne physique, M. A... D... et dont elle a estimé, par une appréciation non contestée en cassation, qu'elles constituaient un groupe. Ayant estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, après avoir examiné la part occupée par l'activité de production de papier et plus spécifiquement de " papier mince " dans le chiffre d'affaires des sociétés PDL et RTF, que la société PDL fournissait de la matière première sous la forme de rouleaux de papier mince à son client alors que la société RTF ne fabriquait pas un tel papier mais des produits finis destinés aux fumeurs, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'appréciation de la réalité des motifs économiques allégués à l'appui du projet de licenciement de M. B... ne pouvait porter sur des sociétés qui, bien qu'elles étaient placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante, n'intervenaient pas dans le même secteur d'activité.
4. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel a pris en considération les échanges intervenus entre M. B... et la société PDL aux fins de lui proposer des offres de reclassement. Elle a notamment estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société PDL avait identifié plusieurs postes en son sein ainsi que dans la société PDV alors qu'aucun poste correspondant aux qualifications de M. B... n'avait pu finalement être identifié au sein de la société RTF, comme l'employeur du requérant l'en a informé par une lettre du 25 juin 2012. Dès lors, en estimant que la société PDL avait ainsi satisfait à l'obligation de recherche de reclassement qui lui incombait, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier.
5. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société PDL au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette société, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées au même titre à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie à l'instance, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la société Papeteries du Léman présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... et à la société Papeteries du Léman.
Copie en sera adressée à la ministre du travail.