Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 29/05/2020, 424367

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 20 septembre 2018, 13 mars 2019, 12 août 2019 et 27 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2018-45 du 1er juin 2018 par laquelle le conseil d'administration de l'université de Bordeaux a émis un avis défavorable à la liste des candidats proposée par le conseil académique siégeant en formation restreinte pour le poste ouvert en histoire du droit et des institutions sous le n° 339 ;

2°) d'enjoindre au conseil d'administration de l'université de Bordeaux de délibérer à nouveau sur la liste proposée par le conseil académique et de la transmettre au président de l'université en vue de sa nomination, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'université de Bordeaux la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Thiers, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boulloche, avocat de l'université de Bordeaux.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'université de Bordeaux a ouvert au recrutement par voie de mutation, sous le n° 339, un poste de professeur des universités en histoire du droit et des institutions. Par une délibération du 18 mai 2018, le comité de sélection de cette université a établi une liste de deux candidats sur laquelle Mme A..., professeur des universités en fonctions à l'université de Rouen, figurait en première position. Par une délibération du 1er juin 2018, le conseil académique de l'université siégeant en formation restreinte a émis un avis favorable à ces candidatures et les a transmises dans cet ordre au conseil d'administration de l'université. Toutefois, par une délibération du même jour, le conseil d'administration de l'université siégeant en formation restreinte a émis un avis défavorable sur la liste proposée par le conseil académique et décidé de ne pas la transmettre au président de l'université, au motif que le comité de sélection n'avait pu délibérer sans manquer à son devoir d'impartialité, compte tenu des liens, tenant aux activités professionnelles, entre six de ses huit membres et Mme A.... Cette dernière demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 1er juin 2018 du conseil d'administration.

2. Aux termes de l'article L. 712-3 du code de l'éducation : " Sous réserve des dispositions statutaires relatives à la première affectation des personnels recrutés par concours national d'agrégation de l'enseignement supérieur, aucune affectation d'un candidat à un emploi d'enseignant-chercheur ne peut être prononcée si le conseil d'administration, en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés, émet un avis défavorable motivé ". Aux termes de l'article L. 712-6-1 du même code : " (...) IV. En formation restreinte aux enseignants-chercheurs, [le conseil académique] est l'organe compétent, mentionné à l'article L. 952-6 du présent code, pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs. (...). Lorsqu'il examine en formation restreinte des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs, autres que les professeurs des universités, il est composé à parité d'hommes et de femmes et à parité de représentants des professeurs des universités et des autres enseignants-chercheurs, dans des conditions précisées par décret ". Aux termes de l'article 51 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences : " Les mutations des professeurs des universités sont prononcées par arrêté du président ou du directeur de l'établissement d'accueil après application de la procédure prévue aux articles 9, 9-1, 9-2 et 9-3 ". Enfin, aux termes de l'article 9-2 du même décret : " Le comité de sélection examine les dossiers des maîtres de conférences ou professeurs postulant à la nomination dans l'emploi par mutation. (...). Après avoir procédé aux auditions, le comité de sélection délibère sur les candidatures et, par un avis motivé unique portant sur l'ensemble des candidats, arrête la liste, classée par ordre de préférence, de ceux qu'il retient (...). Au vu de l'avis motivé émis par le comité de sélection, le conseil académique ou l'organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l'article L. 712-6-1 du code de l'éducation, siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, propose le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. Il ne peut proposer que les candidats retenus par le comité de sélection. En aucun cas, il ne peut modifier l'ordre de la liste de classement. (...) Sauf dans le cas où le conseil d'administration émet un avis défavorable motivé, le président ou directeur de l'établissement communique au ministre chargé de l'enseignement supérieur le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. En aucun cas, il ne peut modifier l'ordre de la liste de classement ".

3. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que le conseil d'administration, saisi de la proposition du conseil académique, ne peut émettre un avis défavorable, hors le cas où il estime, sans remettre en cause l'appréciation des mérites scientifiques des candidats par le comité de sélection, que leurs candidatures ne sont pas en adéquation avec le profil du poste ouvert au recrutement ou avec la stratégie de l'établissement, que si la procédure de recrutement par voie de mutation à un emploi de professeur des universités est entachée d'irrégularité. A ce titre il lui appartient, notamment, de veiller au respect du principe d'impartialité.

4. En deuxième lieu, le respect du principe d'impartialité fait obstacle à ce qu'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur puisse régulièrement siéger, en qualité de jury de concours, si l'un de ses membres a, avec l'un des candidats, des liens tenant aux activités professionnelles dont l'intensité est de nature à influer sur son appréciation. A ce titre, toutefois, la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline susceptibles de participer au comité de sélection doivent être pris en considération pour l'appréciation de l'intensité des liens faisant obstacle à une participation au comité de sélection.

5. Il ressort en l'espèce des pièces du dossier que Mme A... et les membres du comité de sélection ont participé ensemble, à plusieurs reprises, à divers colloques ou journées d'étude consacrés à l'histoire du droit, que plusieurs des membres du comité de sélection étaient membres du comité de rédaction d'une revue relative à l'histoire du droit dont Mme A... est la rédactrice en chef ou avaient publié avec elle des contributions dans différents ouvrages et que Mme A... a également publié une contribution dans un ouvrage dont la publication était dirigée par un membre du comité de sélection. Par ailleurs, il est soutenu que Mme A... aurait figuré sur la même liste de membres élus au Conseil national des universités que deux membres du comité de sélection. Les liens résultant de ces relations professionnelles entre Mme A... et les membres du comité de sélection, dans une discipline qui compte peu de spécialistes, ne pouvaient à eux seuls, dans les circonstances de l'espèce, être regardés comme révélant une collaboration scientifique dont l'étroitesse aurait fait obstacle à ce que ces membres participent régulièrement au comité de sélection pour se prononcer sur les mérites de la candidature de Mme A.... Dès lors, en se fondant, pour émettre un avis défavorable à la liste de candidats retenue par le conseil académique, sur le manquement du comité de sélection au principe d'impartialité, le conseil d'administration de l'université de Bordeaux a entaché sa délibération d'erreur d'appréciation. Mme A... est par suite fondée à demander l'annulation de cet avis pour ce motif, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête.

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

7. L'annulation de la décision mentionnée au point 5 implique seulement que, si le recrutement est maintenu, le conseil d'administration délibère à nouveau sur la liste proposée par le conseil académique. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à l'université de Bordeaux de réunir son conseil d'administration à cette fin dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. En revanche, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A..., tendant à ce que le conseil d'administration transmette au président de l'université une délibération permettant sa nomination, ne peuvent qu'être rejetées.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'université de Bordeaux une somme de 200 euros à verser à Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.





D E C I D E :
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Article 1er : La délibération du 1er juin 2018 du conseil d'administration de l'université de Bordeaux est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à l'université de Bordeaux, si le recrutement est maintenu, de réunir son conseil d'administration afin qu'il délibère à nouveau sur la liste proposée par le conseil académique aux fins de recrutement par voie de mutation d'un professeur des universités pour le poste ouvert en histoire du droit et des institutions sous le n° 339, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'université de Bordeaux versera à Mme A... une somme de 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par l'université de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à l'université de Bordeaux.
Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et à la section du rapport et des études.

ECLI:FR:CECHR:2020:424367.20200529
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